Philip-Lorca DiCorcia

Philip-Lorca diCorcia
chaque image retient notre attention par un détail qui nous semble irréel, hors du commun, qui arrache l'image au monde du quotidien

Le CNP présente jusqu'au 15 mars 2004 une rétrospective consacrée au photographe américain Philip-Lorca DiCorcia. Cette expo réunit plusieurs séries de photographies de l'artiste, de ses séries les plus célèbres telles que Streetwork (1993-1997) ou Hustlers (1990-1992 ; série dans laquelle DiCorcia avait photographié des prostitués du Boulevard Santa Monica, en donnant pour titre à chaque photo le nom et l'âge du modèle), à son dernier travail A StoryBook Life. Une œuvre construite sur plus de 20 ans et qui porte les marques de l'évolution de sa pratique artistique et ses recherches personnelles.

Les séries Two Hours (1999), Streetwork et Heads (2000) ont été conçues à partir de projets esthétiques élaborés. Sa série Two Hours se déploie à l'intérieur d'un cadre spatio-temporel très précis : un lieu unique, un coin de rue à la Havane, une durée très limitée, 2 heures, et un objectif fixe. Il s'agissait de photographier toujours le même endroit, et les gens qui s'y trouvaient, à l'intérieur de ce laps de temps, rassemblant au final plusieurs scènes de rues, toutes aléatoires, uniques, et révélatrice de comportements sociaux. On y surprend des conversations, des regards et des attitudes de personnages qui vont et qui viennent, chaque personnage de ces photos devient, le temps d'un cliché, héros ou héroïne d'une scène de rue immortalisée par l'objectif de DiCorcia.

Toujours dans la rue, mais cette fois-ci en isolant dans chaque image un personnage précis, ses deux séries Streetwork et Heads, sont construits tous deux autour la même démarche artistique basée sur un travail sur la lumière. A l'aide d'un appareil dissimulé, DiCorcia choisi de manière plus ou moins aléatoire des passants qu'il photographie à leur insu. Flashés, illuminés au milieu d'une foule, ils apparaissent dans les images de DiCorcia comme des spectres, ou comme des personnages découpés puis collés dans la photo, ils se démarquent du contexte dans lequel ils ont été photographiés, ressortent en tant qu'individus parmi la masse. On est alors surpris par la présence d'un personnage parmi d'autres, son humanité et son individualité éclipsée par la foule, qui ressort ici dans toute sa force, isolé, dans l'éclat que lui offre DiCorcia. Dans Heads, cette même démarche basée sur la lumière est poussée à l'extrême : le flash de l'artiste n'illumine plus un passant dans une rue mais un seul visage, qui ressort entier sur fond noir. Des visages présentés en grand format, sur lesquels on peut presque lire les pensées derrière l'expression figée par l'artiste : des passants photographiés sortant du bureau, allant à un rendez-vous, ou simplement se promenant, qui offrent au spectateur la vision d'un individu isolé dans ses occupations, dans ses réflexions et ses émotions alors qu'il se trouvait dans la rue, lieu public où l'individuel s'éclipse, disparaît au profit du collectif.

Dans A Storybook Life, son travail le plus récent, le photographe a choisi d'adopter une démarche différente : en privilégiant "l'instinct sur la raison", il a choisi d'ouvrir son projet artistique sur un travail plus intuitif, plus personnel et moins théorique.
76 photos, présentées dans un format plus petit que ses précédentes séries, prises sur une durée de 20 ans et dans de nombreux pays différents appuient l'ambition de constituer "la vie". Un projet vaste et varié qui, comme l'indique le titre de la série et du livre qui est édité par la même occasion, se présente comme un livre d'histoires dans lequel l'ensemble des images "tissent une trame narrative". Entre elles, les photos se répondent, se complètent et parviennent à reconstituer, les unes à côté des autres, l'histoire d'une vie.

Sans être un travail réellement autobiographique, DiCorcia a choisi de photographier les rituels banals du quotidien et les détails d'un monde familier que nous connaissons tous. Cette série nous plonge dans un univers intime qui pourrait être celui de l'artiste comme celui de n'importe qui d'autre. Un travail qui se situe donc au point de jonction entre documentaire et fiction, entre la réalité brute et le récit : tout apparaît "comme dans" une autobiographie, ou album de photo personnel. Paradoxalement, au moment où le travail artistique de DiCorcia se rapproche le plus d'une réalité quotidienne, ses images s'en éloignent aussitôt, afin de rejoindre la fiction, l'art : ses personnages apparaissent comme des mannequins, des statues, ou des poupées, et chaque image retient notre attention par un détail qui nous semble irréel, hors du commun, un détail qui arrache l'image au monde du quotidien connu de tous, pour la projeter dans un univers presque féerique.

Assïa Kettani
Paris, février 2004

Centre national de la photographie, Hôtel Salomon de Rothschild, 11, rue Berryer 75008 Paris
tél.: 00 33 (0)1 53 76 12 31,
www.cnp-photographie.com
Du 14 janvier au 15 mars 2004, tous les jours sauf le mardi de 12h à 19h, le lundi jusqu’à 21h
lire aussi Philip-Lorca diCorcia, du magazine au musée : la part du spectateur par Pauline de Laboulaye

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