C'est bien de notre vide intérieur dont elle nous parle |
J'ai rencontré Pascale Lafay en 1994 lors de mon séjour à la villa Médicis, lorsque j'y étais pensionnaire. A cette époque elle travaillait sur des objets en volume, puis très vite elle a intégrée des images dans ses œuvres. Elle a ensuite abordée la photographie et a enchaînée un grand nombre de série depuis.
Ce qui est étonnant dans son travail, c'est l'énergie que contient sa présence dans ses œuvres. Rarement j'ai vue une artiste qui s'impliquait autant dans ses recherches. Il me paraît évident que son approche du volume et de la sculpture, est visible, car elle choisit dans chaque série, des supports différents sur lesquels sont tirées ses images et cette préoccupation est peu exploitée chez les photographes. Par exemple, la série des "Camions" présentée aux Ulis et au kremlin-bicêtre est tirée sur plaque d'aluminium. Ces images prennent la forme d'objets photographiques et non plus des photographies à l'état pur. Ces camions ensevelis dans la neige nous renvoient à des objets glacés, emprisonnés. Le même type d'image tiré sur papier photographique ne donnerait pas cette sensation. Ce que je veux dire par là, c'est que Pascale lafay choisit le support sur laquelle l'image va être tirée pour renforcer l'effet, et la sensation qui se dégage de l'image. L'artiste n'est pas attirée par une "belle" qualité d'image, et ces appareils photographiques sont parfois des gadgets, elle recherche surtout une émotion, un rendu formel qui est proche d'elle. Je pense qu'elle désire créer des univers imagés et engagés qui soient en adéquation avec sa vie, avec ce qui l'entoure, avec son univers. Je formulerais l'hypothèse que Pascale Lafay se détache de ces œuvres, et ce qui l'intéresse avant tout, c'est de s'impliquer complètement dans ce qu'elle réalise et l'expérience de la vie que cela va générer. Pour cela, je dirais que son travail plastique n'est pas une finalité en sois, mais un prétexte, une trace et une expérimentation de la vie. La vidéo qu'elle présente au centre culturel André Malraux au Kremlin-Bicêtre est à mon sens l'apologie de cette hypothèse que j'avance. Nous savons que c'est le thème de l'art et la ville qui a été retenu pour ces deux expositions. Hors, la très belle vidéo que l'artiste nous présente se passe en montagne, et nous parle de la trace… d'une trace qui disparaît au rythme d'une musique lancinante. Il faut savoir tout d'abord, que l'artiste est monté à plus de 4000 mètres d'altitude pour réaliser cette vidéo, alors qu'elle aurait pu, avec des images d'archives, réaliser à peu près la même chose. Non ! Pascale Lafay a choisit encore de s'impliquer jusqu'au bout, au point d'avoir mis sa vie en péril à cause de très mauvaises conditions météo. J'ai choisi qu'elle nous présente cette vidéo car je pense que c'est la pièce maîtresse de son exposition, le sujet central de son travail, et la représentation même de son implication. A première vue le sujet nous paraît éloigné du thème de la ville, mais il y a pourtant des parallèles évidents : La ville nous permet une facilité et une douceur dans la vie de tout les jours (proximité des commerces, moyens de transports facilité de communication etc…) et en même temps elle génère un stress et une violence quotidienne. Au même titre, ces images de montagnes aux apparences douces, sont violentes par cette trace qui disparaît, violente aussi, car à cette altitude les conditions de vie sont très rudes et parfois mortelles. La vidéo de pascale Lafay joue de ce paradoxe. Cette trace dans la neige qui disparaît, peut être vue ou perçue comme une perte d'identité que nous connaissons tous dans les grandes villes. C'est ce qui me touche profondément dans son travail : elle conduit notre regard et notre pensée sur autre chose de ce qui est représenté, pour revenir à un dénominateur commun : la trace de la vie, la trace de sa vie, la trace que nous laissons tous de notre vie. Chaque série que l'artiste fabrique, a pour point commun de tisser une toile qui est la représentation du sentiment d'exister. D'ailleurs Pascale Lafay a fait de nombreux autoportraits et ce n'est pas un hasard, ni une coquetterie, mais réellement une quête de l'absolu et une quête de son identité. Ces œuvres sont dénuées de pittoresque, et nous renvoie à un jeu de miroir. La série sur les tunnels qu'elle présentera aussi au Kremlin bicètre est à mon sens une allégorie de l'au-delà, alors qu'il s'agit a première vue d'images prisent à l'intérieur de tunnels parisien. D'autres séries emblématiques comme les vides appréhendent l'espace dans un genre nouveau. Je me souviens d'avoir été décontenancé par ces images tant elles sont abstraites. Le vide est toujours inquiétant pour peu que l'on soit sujet au vertige, alors que l'artiste nous propose une série d'images ou l'abstraction s'impose comme une évidence. C'est bien de notre vide intérieur dont elle nous parle et ce n'est que par ce vide intérieur que nous sommes attirés. Elle aurait pu choisir pour ces travaux, de les tirer en très grand format pour accentuer cette sensation de vertige. Elle a choisit un format presque intime pour nous renvoyer à nous même, à notre intimité. La série "white snow", photographies prisent de chez elle à travers des carreaux de verres sont des abstractions de paysages urbains. Elle nous rappelle me semble t'il par ces images, nos rêves ou nos cauchemars. Là encore nous sommes dans un face à face entre ce qui est représenté et nous même. Je pourrais parler de bien d'autres travaux car Pascale Lafay enchaîne ces séries avec un acharnement déconcertant. Ce qui m'intéresse avant tout c'est d'avoir l'occasion d'exposer une artiste dont l'œuvre prolixe peut se lire à des degrés différents, et qui opère un passage entre le conscient et l'inconscient, tout en faisant référence habilement à la peinture, à la sculpture et à l'histoire de l'art en général. C'est une artiste libre, d'une très grande intégrité, qui ne fait aucune concession et j'ai le sentiment que c'est rare.
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