Le pouvoir de la presse a parfois quelque chose d'irrationnel, tant les moyens médiatiques mis en uvre pour promouvoir un événement peuvent prendre une importance disproportionnée par rapport à la nature même de cet événement. L'exposition des sculptures d'Ousmane Sow, qui s'achève le 15 juin sur le Pont des Arts à Paris en restera pendant longtemps certainement l'illustration la plus notoire. L'uvre de cet artiste originaire de Dakar, mais vivant depuis longtemps en France, a été révélée au grand public à l'occasion de son exposition lors de la 9e Documenta de Cassel (Allemagne) en 1992, organisée par Jean Clair. On pouvait à cette époque s'émouvoir devant ses grands personnages issus de la culture Peul, ses lutteurs dont le réalisme exacerbé était toujours contrebalancé par une matière brute laissée apparente.
La série de ses sculptures les plus récentes, exposée à Paris avant de parcourir la France, prend sa source dans l'histoire de la bataille de Little Big Horn, en 1876, à l'occasion de laquelle les colons américains furent défaits par les guerriers indiens. Avec cette invocation un peu factice d'une minorité triomphante, la sculpture d'Ousmane Sow revêt un caractère plus anecdotique. La naïveté de son expression, qui pouvait s'apparenter à un style, prend aujourd'hui une tournure grossière. Rien, finalement, ne pourrait justifier l'invraisemblable battage médiatique qui porte aux nues l'exposition d'Ousmane Sow. Le choix de son emplacement est le premier exemple de cette aberration : un pont n'est pas approprié pour montrer de la sculpture, fut-il le Pont des Arts. L'installation d'une exposition de sculptures en plein air implique autant de contraintes, si ce n'est plus, que dans un espace clos, et la configuration du Pont des Arts (par son étroitesse, et la concurrence qu'offrent les bords de la Seine aux uvres exposées) ne permet évidemment pas de s'y soumettre.
Le choix du Pont des Arts est davantage un choix médiatique et politique qu'un choix esthétique. Le plébiscite de l'exposition par l'ensemble de la presse nationale vient confirmer cette observation : en décembre dernier, la plupart des organes médiatiques français a bénéficié d'un voyage de presse au Sénégal, organisé par la Ville de Paris, pour admirer la dernière production de l'artiste, et le rencontrer. Or, il faut bien avouer que la bonne couverture d'une exposition se mesure bien souvent, aujourd'hui, à la quantité de petits fours et à la qualité du Champagne qui accompagnent sa présentation à la presse, et surtout au potentiel exotique du voyage de presse qui en découle.
En définitive, les sculptures d'Ousmane Sow auraient sans doute gagné à être présentées sous leur vrai jour, sans la gloire artificielle dont elles sont aujourd'hui auréolées. Elles n'y auraient peut être pas semblé meilleures, mais elles auraient en tout cas pu faire l'objet d'un regard neutre, voire d'un débat critique qui aurait certainement été utile à l'évolution même de sa sculpture.
L'usage du conditionnel, qui domine ce dernier paragraphe, est malheureusement la seule façon de parler de critique d'art aujourd'hui.
F. D.
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