Simon Mondzain, une identité étoilée, exporevue, magazine, art vivant et actualité

     Simon Mondzain, une identité étoilée
english version
www.mondzain.com
Dans le cadre de la Saison polonaise, le Centre Rachi présente Simon Mondzain. Une exposition rare, qui apparaît avant tout comme un bel accrochage : 56 tableaux tous issus de collections particulières dont beaucoup n'ont pas été montrés à Paris depuis les années cinquante.
ce
mélange
des
genres
et
des
nationalités
via
un
maître
mot :
la
liberté
hors
des
normes
et
des
conventions
de
l'époque
tant
sociales
qu'artistiques
Simon Mondzain
 
 
Simon Mondzain
 
Peintre du Montparnasse des années vingt, auquel il emprunte un temps les styles et les courants, il ne s'inscrit pourtant dans aucun. Seuls les peintres de l'École de Paris - appellation restrictive due au critique André Warnod qui distinguait les artistes français de l'École Française, des artistes étrangers arrivés à Paris vers 1910 - peuvent le compter parmi eux. Un courant porté par la vague d'émigration venue pour la majorité d'Europe de l'Est, qui retient moins par sa spécificité formelle, que comme une étape décisive de la radicalisation du fossé creusé entre l'art officiel et l'art indépendant au début du XXe siècle, hiatus déjà amorcé par les Impressionnistes et les Fauves. Le personnage d'Arlequin au costume bigarré qu'il peint à plusieurs reprises à l'instar de Picasso et de Derain, figure bien ce mélange des genres et des nationalités via un maître mot : la liberté hors des normes et des conventions de l'époque tant sociales qu'artistiques.

De fait, l'homme a côtoyé les plus grands Picasso, Modigliani, Othon Friesz mais aussi Apollinaire pour ne citer que ceux-là. Compagnon de tablée des cafés de Montparnasse, ami fidèle et attentif, il reste un témoin d'exception des prémices de l'art moderne, pour preuve la correspondance pléthorique qu'il a consciencieusement archivée. Nonobstant ce compagnonnage prestigieux, Mondzain n'a pris que très peu de risque formel. Demeuré rétif aux avant-gardes, il a toujours considéré la période classique où trônent Rembrandt et les peintres du Quattrocento comme le maître étalon de sa réflexion picturale. Il écrit dans ses carnets en 1920 : "Je suis resté méfiant envers le monde, j'ai toujours peur d'être renversé, c'est pour cela que dans chaque effort de mon art est souligné avec une force égale, soit un objet, soit un être humain. Il faut que chaque forme, chaque ligne, soit enfermée dans une forme nette, que rien ne la puisse renverser. Les figures doivent être formées d'une construction musculaire solide et où elles sont placés, elles ne peuvent être ailleurs : C'est là et non pas là. La certitude dans la forme est la seule vérité."

Simon Mondzain


Si la galerie Druet et la galerie Paul Guillaume l'exposent dès 1922, il est surtout présent dans les salons parisiens notamment aux Indépendants de 1920 à 1946. À partir de 1950, il s'y fait plus rare. Jean Guéhenno publie en 1930, une étude monographique sur son œuvre dans la collection Les Peintres Nouveaux édités au Mercure de France. Quatre ans après sa mort, survenue en 1979, le Musée Granet d'Aix en Provence lui rend un important hommage. En 1996, le musée Bourdelle présente certains de ses dessins et tableaux pour Paris et les artistes polonais 1900-1918, exposition qui sera reprise en Pologne. Or c'est seulement en 1999, à l'initiative de la critique et historienne d'art polonaise Elzbieta Grabska, qu'il retrouve véritablement Paris, l'Institut Polonais lui consacrant une rétrospective qui voyagera à la galerie d'art contemporain Zach´ta de Varsovie, et au musée de Silésie de Katowice.
Pourquoi ce purgatoire ? Mondzain ne fut pas prolixe, ni en propos ni en exposition, sans doute n'est-ce là qu'un début d'explication.

Simon Mondzain


Il n'est pas inutile ici de faire un détour par sa biographie. Il naît, aux alentours de 1888 sa date de naissance reste incertaine, à Chelm près de Lublin, dans une province de la Pologne orientale sous administration russe, plus rurale que la tranche austro-hongroise, et berceau de l'orthodoxie juive. Mondzain qui s'appelle encore Szamaj Mondszajn, est issu d'une famille juive pieuse. Il se trouve très jeune dans l'obligation de fuir son milieu pour accomplir une vocation de peintre qui apparaît aux yeux de sa famille comme un acte profane. "Tu ne feras pas d'image" est-il écrit dans l'Exode. À partir de 1905, après avoir quitté son village, il vit d'expédients jusqu'à ce qu'il entre, grâce à un protecteur, à l'École des Arts et Métiers de Varsovie. Pour avoir pris part aux révoltes étudiantes contre l'impérialisme tsariste, il est arrêté et emprisonné à la citadelle de Varsovie, il fait la connaissance d'activistes socialistes, qui devenus ses amis lui apportent un soutien financier. En 1908, une bourse lui permet de poursuivre ses études à l'Académie Impériale des Beaux-Arts de Cracovie. Il étudie sous la direction de Józef Pankiewicz, peintre d'influence impressionniste, à rapprocher de Whistler. Il fréquente le milieu intellectuel polonais, fait à l'Académie la connaissance de Kisling qui deviendra un proche, et du peintre polonais Zawado (Waclaw Zawadowski). Il émigre définitivement à Paris en 1912.

Très vite mêlé à la bohème de Montparnasse, il se lie d'amitié avec Modigliani, Zadkine, André Salmon, Max Jacob… Il rencontre André Derain qui devient son maître et exerce sur lui une forte influence. Au Louvre, il copie la Barque de Dante de Delacroix sous sa direction. En 1914, engagé volontaire dans la légion étrangère sous le drapeau polonais, il dessine sa vie de soldat dans les tranchées de Verdun. Évacué pour maladie en 1917, il peint plusieurs toiles marquantes, exposées au Centre Rachi : Pro Patria qu'il présente lors de sa première participation au Salon d'automne en 1919 et L'Homme à la lettre (1915). Bien qu'il se défende de se plier à la doctrine, ce tableau a profité nettement de la leçon de construction cubiste. Mondzain réussit là, à faire entrer l'expression de la durée dans l'unique plan de l'espace. Dans le tableau, sourd la peur, les restrictions de la guerre, autant que la solitude de l'homme en exil en situation de combler le manque par la correspondance. Il exposera ensuite au Fine Art Club de Chicago en 1920, toiles et dessins, dont une première version du Grand Arlequin que l'on peut voir aujourd'hui au Centre Rachi.

Simon Mondzain


En 1925, il voyage pour la première fois en Algérie. Son mariage avec Simone Lemaire, médecin qui dirige un laboratoire d'analyse médicale à Alger, l'amène à partager désormais sa vie entre Paris et Alger et ceci jusqu'à l'Indépendance de l'Algérie en 1962. Il finira sa vie à Paris où il a gardé son atelier de la rue Campagne Première depuis les années 20, jusqu'à sa mort en 1979.
L'actualité de ses expositions fait régulièrement l'objet d'articles dans des revues polonaises. Il tend donc à rester, malgré l'exil, un peintre considéré et reconnu dans sa patrie d'origine. Il codirige d'ailleurs à Alger jusque dans les années 50 le Foyer Polonais, qui accueillait des réfugiés russes et polonais à partir de 1939. Il rompra ce lien avec son pays en raison de ses options politiques résolument antistaliniennes.

Durant le deuxième conflit mondial, il interrompt ses allers-retours et se fixe pour un temps à Alger, il y noue des amitiés durables avec Jean Grenier, essayiste et philosophe, André Gide, ainsi qu'avec le peintre Albert Marquet. Ce dernier qui signe la protestation des artistes et des intellectuels français contre le nazisme quitte Paris pour l'Algérie. C'est dans sa villa sur les hauteurs d'Alger que Mondzain trouvera refuge lorsque les lois raciales de Vichy se feront plus menaçantes.

Simon Mondzain


Après-guerre, il retrouve à Paris les survivants de la bohème artistique, André Salmon, Blaise Cendrars, Charles Vildrac. Tous ressentiront amèrement la perte de leur ami Max Jacob, mort à Drancy en 1944.
Ce peintre sans particularisme identitaire, pas plus peintre Polonais qu'algérois, résout pour lui-même les contradictions d'une identité contrastée, polonaise, russe autant que française, tantôt mystique et gothique, tantôt réaliste et moderne, puis un temps orientaliste, gardant toujours une foi inébranlable en la peinture. Et dès lors que sa judaïté au gré de ses exils successifs se fait moins prégnante, il s'ouvre à une spiritualité puisée à la source des pays et des régions qu'il a traversées. Cet homme, qui fut un proche de Max Jacob, et qui partagea sans doute avec lui certaines interrogations religieuses, trace un parcours souvent sévère où c'est moins l'audace qui prévaut, que le rythme de la forme et de la lumière juste. De la même communauté d'esprit que Cézanne, il reste un artisan de la peinture, œuvrant lentement, pénétré qu'il est de la nécessité de peindre au plus près de la vérité.

Mondzain dont la pensée esthétique tient dans ces quelques phrases : "On ne peut exprimer littérairement une pensée plastique. La peinture trouve son langage propre dans sa matière même, dans le rythme de la forme et de la lumière." Cette lumière, il ne cesse de l'explorer d'abord en Provence, puis en témoin contemplatif de l'Algérie des années coloniales entre 1925 et 1962, peignant ses places et sa médina, mais aussi la darse d'Alger et sa population. Des évocations souvent réalistes au détriment de tout caprice imaginatif, qui le placent dans la lignée des vedustisti vénitiens et de Canaletto en particulier. La vue de la ville de Ghardaïa (1948) et de la rue Horace Vernet à Alger (1947), tableaux que l'on peut voir en ce moment au Centre Rachi, sont l'exemple même de cette recherche sur la luminosité à travers la matière colorante, de celle qui fige ou irradie incandescente les façades des habitations. Il n'en reste pas moins que ses toiles solidement construites épousent la lumière plus qu'elles ne l'affectionnent, forçant la note lumineuse uniquement dans les scènes d'extérieur ou les paysages. Sa palette s'en tient malgré les coloris plutôt vifs des paysages de Provence et d'Auvergne, aux teintes sourdes et aux rehauts noirs. Car de prime abord, les peintures paraissent ternes et un peu massives.

Simon Mondzain


Mondzain n'a ni la vitesse ni la spontanéité de Derain, sa forme brute, son style dépouillé privent parfois ses tableaux de grâce apparente. Mondzain semble ne retenir que la présence de personnages solidement plantés dans un espace que seule une porte ou une fenêtre vienne ajourer. Disposés de façon à ne pas oblitérer l'espace, ils sont d'ailleurs souvent de dos ou de trois quarts, dans une pose méditative, les yeux dans le lointain. Et s'il portraiture en pied Le Guitariste (1920), ou en plan rapproché La Femme au voile (1938) les yeux restent toujours mi-clos ou tournés vers l'intérieur, quand le regard ne coulisse pas légèrement vers un point extérieur au tableau. Sauf qu'il s'agit aussi de voir au-delà. L'héritage de la peinture chinoise fait de netteté dans les contours et de méditation sur le geste du contemplatif a marqué son art. Une ligne claire qui trouve son origine dans son travail de dessinateur. Les dessins qui parsèment l'exposition tout du long viennent le rappeler : Mondzain fut un dessinateur remarquable, et cela, dès ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Cracovie. Il n'est que de voir ce poignant visage d'homme datant de 1907, saisi de stupeur dont on ne sait si c'est l'horreur ou le ravissement qui le paralyse. Les Caprices Diaboliques (1920) présentés en vitrine, qui devaient illustrer les poèmes de Raymond Barrieu, frappent tout autant. Pour la première et la dernière fois sans doute, il se laisse aller à l'outrance expressive d'un Kirchner trouvant là un registre fantastique et symboliste qui l'éloigne, de fait, de l'ironie corrosive des artistes du Die Brücke.

Il reste à souhaiter que l'occasion qui est donnée de faire connaître cette œuvre, décide les institutions à la tenue d'une exposition rétrospective totalement satisfaisante, portant Mondzain hors des seuls circuits confidentiels et des seules salles des ventes.

Raya Baudinet
Paris, décembre 2004

 
Simon Mondzain

Du 3 novembre au 31 décembre 2004, Centre d'Art et de Culture de la rue Broca, Espace Rachi, 39, rue Broca, 75005 Paris
Tél.: +33 1 42 17 10 38 39, tous les jours sauf samedi et fêtes de 10h à 19h, vendredi de 10h à 15h, le dimanche de 10h à 18h

Actualité Simon Mondzain dans les musées
En France
Du 24 juin au 7 novembre 2004, au Musée départemental breton de Quimper, dans le cadre de la Saison Polonaise, "Les peintres polonais en Bretagne (1890-1939)"
Du 26 octobre au 16 janvier 2005, au Musée du Montparnasse à Paris, "Les Saveurs de l'Orient : Les Mille et une nuits et les enchantements du docteur Mardrus"
Du 16 février au 15 mai 2005, au Musée d'Art et d'Histoire du judaïsme à Paris, "Juifs dans la Grande Guerre"
En Pologne
Du 4 février au 20 mars 2005, au Musée national de Varsovie dans le cadre de la Saison Polonaise, "Les peintres polonais en Bretagne (1890-1939)"

lire aussi de Raya Baudinet  Simon Mondzain, à propos de Rembrandt, Simon Mondzain, l'intimité du peintre et voir www.mondzain.com

english version

accueil     vos réactions     haut de page