"If you are dead … So it is" est le titre d'une œuvre que Michel Majerus a réalisée pour le Kölnischer Kunstverein en 2000.
Rien dans son œuvre pourtant ne nous a laissé prévoir une préoccupation particulière de la mort. Au contraire, toujours dynamiques et fortement colorés, ses tableaux peints ou installations témoignent plutôt d'une certaine légèreté de l'être, qu'une accumulation systématique et sans parti pris de signes empruntées à la société de loisirs et de consommation, n'a faits qu'accentuer. Et pourtant, le syndrome de l'appropriation frénétique chez Michel Majerus qui est proche de la démarche d'un Warhol, même si le contexte artistique est différent, n'a-t-il pas caché une certaine nostalgie pour l'image objet voire un souci d'hommage pour la quotidienneté?
Boulimique d'art contemporain, mais surtout de l'art américain des années 60, il a revisité les grands classiques de l'art informel et du pop art tout en les citant de mémoire et en les réinterprétant librement. Comme si chaque coup de pinceau ait pu faire revivre la mémoire d'un De Kooning, d'un Barnett Newman ou d'un Warhol dans un monde informatisé et inondé d'images. La peur de se perdre dans cette jungle contemporaine où prédomine l'esthétique de la consommation et la stratégie des signes lui a inspiré des tableaux dans lesquels le texte a élargi sa palette chromatique.
Pour mieux comprendre ses propres positions par rapport à l'art contemporain il a paraphrasé, avec désinvolture des aphorismes minimalistes qu'il a utilisé comme titres ou comme inscriptions. Ces espèces de "statements" d'artiste comme "the space is where you'll find it" préfigurent comme titre d'une œuvre mais, selon les occasions, il a employé ce même type de définitions aussi comme matériau visuel qui s'ajoute à la peinture, aux signes et aux formes géométriques. Grand consommateur de l'art du xxe siècle et de son discours, il a eu beaucoup de plaisir à se référer à la citation "le silence de Duchamp est surestimé" en répétant avec modestie que "les intentions de l'artiste sont toujours surestimées".
Maître du deejaying visuel il a su le long de ces dernières années construire une œuvre tenant compte de la culture d'aujourd'hui sans se préoccuper d'originalité ni d'authenticité mais en restant fidèle à lui-même et en prônant un style personnalisé composé de figures de jeux vidéo, de citations d'œuvres importantes et de signes du monde de la communication. Cette démarche spontanée, déshiérarchisante mêlant des motifs empruntés à l'histoire de l'art aux visuels éphémères de la culture techno et hip hop lui a valu une reconnaissance mondiale qui depuis sa présence à Manifesta2 et à la Biennale de Venise (grande fresque sur la façade du pavillon central réalisée sur invitation d'Harald Szeeman) n'a fait que grandir. Tout a semblé réussir à ce Luxembourgeois de 35 ans parti de sa ville natale à l'âge de 20 ans pour devenir selon ses propres mots "un grand artiste". Installé à Berlin depuis quelques années il n'a entretenu que peu de contacts avec le Luxembourg ayant rompu avec l'étroitesse de la mentalité de son pays natal depuis ses études en Allemagne. N'a-t-on pas prétendu que son mépris pour le Luxembourg a été tel que sa participation à Manifesta2 a été négociée de sorte à ce qu'il soit présenté en tant qu'artiste berlinois ?
Pourtant le destin aura voulu que sa carrière s'arrête prématurément à Luxembourg dans un avion venant de Berlin qui s'est écrasé à quelques kilomètres de l'aéroport. Prémonitoires ses titres "If you are dead … so it is" de 2000 et "Son thème préféré est la sécurité, sa thèse est qu'elle n'existe pas" de 1999 ? Ou simplement inscrits dans une logique de l'éphémère ? Que des titres anodins ? Ou les signes d'une tentative d'exorciser les propres craintes à travers une œuvre qui n'est peut-être pas si superficielle qu'elle n'en a eu l'air.
Pour nous, en tout cas, voilà une triste occasion pour revoir nos positions sur le plus grand artiste luxembourgeois.Editorial de Paul di Felice
Luxembourg Novembre 2002
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