Libre, "ego", fraternel…
Anish Kapoor, Cloud Gate, Millennium Park, ChicagoFaut-il ranger au placard des belles utopies la notion de démocratie apparue chez les Sumériens, les Mésopotamiens, les Grecs, et puis, moins connus de nos manuels européens, en Inde du sud au VIème siècle. Elle fut remise au goût du jour il y a trois cents ans dans les polders hollandais, avant les Etats-Unis, l'Angleterre et la France. Gardons à l'esprit que c'est Bismark à la fin du XIXème en Allemagne qui mit en place ce qui reste encore le modèle de sécurité sociale actuel de toute la société occidentale…
Mais aujourd'hui le structurel semble grippé et l'idéologique trop vite radicalisable, sinon "fanatisable", étant donné le nombre de ceux qui se trouvent rassurés par les fonctionnements monopolistiques et ceux qui tueraient père et mère pour en être les dirigeants. Le bâteau coule et les rats s'entre-dévorent, notre univers est devenu kafkaïen. Souvenez-vous de think different (film publicitaire d'Apple). Les artistes le crient. Les états sur-légifèrent.
Au passage, il serait aussi bon d'arrêter la confusion entre l'œuvre politique comme celle de Jotta Castro ou Johan Muyle, et sa récupération politisée par les officiels ou les pisse-copie avec leur instrumentation démagogique destinée à leur propre communication carriériste, devenue un objet de pouvoir au détriment même des créateurs, ces derniers allant jusqu'à être "méprisés". Cette appropriation permanente va jusqu'à l'oubli de leur propre fonds de commerce, l'art vivant, en l'absence de tout humanisme. Depuis la mort de la séduction, de l'esthétique et de la matière dans l'œuvre, le maître mot est réseau, le repli est identitaire, sinon dans la revendication nationaliste (Georges Brassens qui aimait tant ces "imbéciles heureux qui sont nés quelque part").
Autant les polémiques sur les droits de diffusion nous amènent à penser que l'idée du copyleft et du "fair use" (usage respectueux anglo-saxon, voir l'édito de "photographie.com" par François Marie d'Andrimont) sont la bonne et unique voie, autant les insipides guerres de pouvoir (frustrations, perversions et maladies mentales s'envolent de façon asymptotique) autour de l'art contemporain nous poussent finalement à prendre sérieusement en considération l'avis de nombreux artistes européens qui pensent que les Etats ne devraient s'occuper que du patrimoine ("La Pétition" et "Le droit aux images à l'ère de la publication électronique" de la "latribunedelart.com")
Notre volonté est d'essayer de remettre à sa juste place, de réhabiliter l'artiste et son travail en tentant de tourner la page avec l'hégémonie de ceux qui en parlent, d'ouvrir une autre voie que le concept désuet de "critique" (Feu la critique de Rainer Rochlitz) à connotation péjorative, au profit de réflexions ou d'analyses (ou même de commentaires "j'aime" légers et poétiques), afin de remettre en son centre l'objet de notre passion, l'art contemporain. Replacer le verbe à sa juste valeur originelle d'admirateur et laisser tout son espace au plastique (visual art) ne peuvent se faire que par un indispensable rajeunissement de tout ce "petit monde", essentiellement en francophonie. Reconnaître et accompagner des artistes étonnants et trop peu connus, comme en ce moment Angel Vergara Santiago (en février au Mac's Grand Hornu) et Pierre Radisic (chez Brachot en mars-avril et Aeroplastics cet été à Bruxelles). Apporter un peu de bonheur dans un monde psychorigide.
Si nous avons tous besoin de reconnaissance, l'artiste lui ne vit et ne se nourrit que de cette reconnaissance. Saluons au passage l'initiative d'un peintre, Blaise Patrix, qui développe une idée nommée "les ateliers partage" où tout est basé sur la reconnaissance de l'autre. Elle va certainement chambouler avec bonheur une voie de garage nommée "social". Dans son articulation, l'artiste n'est plus le fou du roi mais un élément permanent indispensable à l'inter-développement humain sain et pérenne.
"Croyez-moi, être artiste n'est pas un statut social mais un état, loin d'être facile à vivre pour beaucoup" (dit une petite voix)
Mais peut-être que cette gangrène est entièrement logée dans un petit mot : ego. En pensant à l'expo Yves Klein qui se termine à Beaubourg (remise au goût du jour de celle de 1983) et en refaisant un petit survol historique, on apprend qu'Yves Klein est rentré du Japon avec la détermination d'être une star de l'art français de l'époque. Il a tendu toutes les cordes de son arc vers cet unique objectif par le truchement du judo, d'un "spiritualisme" affiché et d'un tissu relationel. Marcel Duchamp avait pensé et agi de même manière après son passage à New York bien des années plus tôt.
Et si l'on opposait à ces egos hypertrophiés la spiritualité (non le spiritualisme) et l'humilité visible malgré le gigantisme de certaines œuvres (Insomnia ou la "quadrature du cercle" à Londres et au Grand Hornu, la Cloud Gate à Chicago…) chez d'immenses artistes comme Anish Kapoor avec son discours sur ce qui ressemble fort à des bardos, des transitions, des passages d'un état à un autre.
"Nul n'est prophète en son pays, mais ne sommes-nous pas dans un seul et immense pays, la terre" (dit une petite voix)
J'écrivais au tout début d'exporevue en 1997 : "l'art est le pouls de la société" et ne vais pas, aujourd'hui, le renier. Souhaitons, comme le dit le philosophe Henri Van Lier (Anthropogénie, Philosophie de la photographie) que nous entrions dans la reconstruction après toutes ces longues années de déconstruction.Editorial de Philippe Agéa,
Bruxelles-Paris, janvier-février 2007
Anish Kapoor, Cloud Gate, Millennium Park, ChicagoAnish Kapoor : www.millenniumpark.org/artandarchitecture/cloud_gate.html
F.M. d'Andrimont : www.photographie.com
Droits image : www.latribunedelart.com
Copyleft : artlibre.org
Copyleft : www.gnu.org/copyleft/copyleft.fr.html
Isy Gabriel Brachot : www.galeriegabrielbrachot.be
Aeroplastics : www.aeroplastics.net
Pierre Radisic : www.pierreradisic.com
Angel Vergara : www.mac-s.be
Beaubourg : www.centrepompidou.fr
Blaise Patrix : www.blaisepatrix.com
Henri Van Lier : www.anthropogenie.com
"Philosophie de la photographie" : les impressions nouvelles
"Feu la critique" : la lettre volée
Anish Kapoor, Cloud Gate, Millennium Park, Chicago
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