France en Chine, le compte n'y est pas !
En décembre 2003, Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture, s'est rendu à Pékin et à Changaï pour célébrer la coopération culturelle entre les deux pays et lancer le premier volet des festivités, celui de l'année de la Chine en France. De nombreuses institutions - musées et centres d'art - ont soutenu et parfois devancé cet appel à la convivialité.
Le centre Pompidou, de juin à octobre 2003, a disposé un foisonnement d'œuvres contemporaines autour d'une immense maquette de Pékin : 32 artistes en peinture, sculpture, installation, vidéo et photographies prirent possession du lieu en compagnie de quatre architectes, huit musiciens, sans oublier quatre écrans géants offerts à des cinéastes d'aujourd'hui et quelques objets d'art populaire, un clin d'œil à la "Chine éternelle". L'ambition affichée du Centre était de "susciter l'envie de découvrir la Chine contemporaine et d'offrir un aperçu de la richesse de cette création à travers tous les domaines…" afin de "mieux appréhender l'importance, la diversité et le dynamisme de la culture chinoise".
Le musée de la Publicité accrocha à ses cimaises "l'affiche chinoise, 1921-2001" et la cinémathèque française au Palais de Chaillot organisa une rétrospective du scénariste réalisateur Sun Yu (décédé en 1990), premier chinois diplômé de l'Ecole du Cinéma de New York mais aussi premier cinéaste persécuté à son retour en Chine - et ce jusqu'en 1985 - pour n'avoir pas assez vilipendé dans "la vie de Wu Xun" (1951) les féodaux du 19° siècle et donc (prétendument) "sali la nation chinoise" puisque la montrant "courbant l'échine devant le pouvoir réactionnaire", le film n'a jamais été visible en Chine.
L'Hôtel de Sully présenta en 2003 Zhensheng, photographe de la révolution culturelle, témoignant de la folie collective du plus grand nombre cultivant le culte de la personnalité de Mao.
La Maison européenne de la photographie dès novembre 2000, consacra une rétrospective à Hiro, une figure marquante de la photographie de Mode. On peut voir jusqu'en Novembre 2004, au Palais de Tokyo, la "grande parade" de Wang Du, une installation monumentale et assez ambiguë, réalisée en coproduction avec les centres d'art de la Criée à Rennes, du Rectangle à Lyon et des Abattoirs à Toulouse : un défilé qui caricature les stratégies des campagnes guerrières d'invasion à partir d'images prélevées dans la presse chinoise. Un défilé qui peut se lire moins contre la Chine que contre l'armée américaine et ses alliés en Irak.
Le peintre virtuose Yan Pei Ming, installé à Dijon depuis 1980 est présent un peu partout en France. Il revisite les icônes de Mao et de Bruce Lee tout en perpétuant la geste traditionnelle : donner à voir en quelques coups de brosse, sans "fignolage" ni repentir l'essence du sujet.
Le Centre d'art du Languedoc-Roussillon, à Sète, en coproduction avec la Villa Arson à Nice (Provence-Côte d'Azur) et l'Ecole des Beaux-Arts à Montpellier exposèrent tour à tour d'avril à septembre 2004 "ils arrivent" et "à l'est du Sud de l'Ouest" : 27 artistes, dont Xu Tan et son imagerie grinçante telle "socialisme is always fine, and you are always welcomed" de 2002.
Dès 2001 le Musée d'Amiens avait réalisé une très intelligente comparaison Art et Histoire entre les sculptures moyenâgeuses de la Cathédrale et la production à la même époque, l'apogée des Song, d'œuvres d'artisans-artistes chinois. Le présent n'était pas pour autant absent de la présentation avec de nombreux artistes nés dans les années 50/60 tel que Fang Lijun, aux portraits d'hommes clonés se lançant dans les affaires commerciales, Zhang Peili, vidéaste développant une réflexion critique sur la globalisation ou Zhang Xiaogang, très connu pour ses portraits de famille aux regards vides.
L'engouement pour la Chine contemporaine fut également très soutenu par le Mécénat et les galeries : Place Vendôme, à Paris, haut lieu de la joaillerie de luxe, 17 bronzes monumentaux et massifs de Ju Ming furent placés sur les trottoirs. Proche du Centre Pompidou, la Galerie de France offrit ses cimaises à Zang Xiaogang (déjà cité) de mai à juillet 2003 et a galerie Lara Vincy au quartier Saint Germain, de septembre à Novembre 2003 reçut un adepte de Fluxus : Takato Saito. Au rond point des Champs-Elysées la galerie Noirmont, dès 2002, proposa Yi Chou, une très jeune vidéaste de 23 ans, et en mai 2003 ce fut "Femmes de Chine" chez Véronique Maxé puis "Regards de gauche à droite" par Feng Zheng-ju chez Albert Benamou, tandis qu'Enrico Navarra pendant près d'une année présenta de nombreux artistes chinois d'aujourd'hui.
La Fondation Cartier, d'avril à mai 2000, déploya l'œuvre éphémère et monumentale de Cai Guo-Quang conçue sur des notions d'affrontement : énergie/destruction, violence/affrontement tandis que la Fondation Florence et Daniel Guerlain aux Mesnuls (Ile de France) s'ouvrit à Made in China en septembre 2003. A la même période MK2 Bibliothèque recevait les huiles de Xiao Guoi Hui proche de la Figuration Narrative.
Les fastes de la Chine Eternelle ne furent pas pour autant oubliés : ainsi des "images du monde flottant" au Grand Palais jusqu ‘en Janvier 2005 (peintures sur paravents du 18° siècle) et les lavis abstraits de Tang Haymen (1927-1991), des encres réalisées selon la tradition chinoise.
Nous n'évoquons ici que ce qui relève des Beaux Arts et nous ne sommes pas exhaustifs. Il faudrait aussi évoquer les spectacles avec le Ballet National de Chine à Paris et en régions, le théâtre, les concerts etc.
Enfin, cerise sur le gâteau, il y eut le 24 janvier 2004, l'emprise des Champs Elysées par un défilé de plusieurs centaines de comédiens chinois en costume traditionnel (avec dragon, lampions et chants) et la Tour Eiffel une semaine durant s'illumina d'un rouge sang, rouge comme le drapeau ou comme le sang répandu en 1989 sur la Place Tien Anmen par les dirigeants actuels de la Chine…
La France qui a fait venir à ses frais - via l'Afaa - les nombreuses expositions muséales n'a pas donc rechigné à susciter cette envie de découvrir les "modernités chinoises" pour reprendre le titre d'une publication de photographies chez Skira.
Comment dans ces conditions se contenter du programme de la France en Chine, à savoir pour les contemporains une installation de Daniel Buren, une exposition de Design, une autre surnommée "la fabrique" réunissant Fabrice Hybert, Richard Texier, Claude Closky, Valérie Jouve et Matali Crasset, le clou de l'art en France étant dévolu à une très belle exposition de toiles impressionnistes.
Le compte n'y est pas.Editorial de Liliane Touraine
Paris, novembre 2004