LE MAGAZINE
d'ExpoRevue |
Les expositions de Barbara Kruger en France sont rares.
Née en 1945 à Newark, cette banlieue de New York désormais à l'abandon, Barbara Kruger a travaillé comme designer et peintre pour des agences de publicité. Durant cette expérience professionnelle, elle s'est familiarisée avec les protocoles de construction des images destinées aux médias. Leurs codes, leurs signes ont rapidement fait partie de son vocabulaire visuel.
Dès ses premières uvres (1978), son travail se caractérise par sa charge critique. Elle s'approprie alors des images déjà faites (parfois elle les réalise). Détournées de leur support d'origine (magazine), celles-ci sont agrandies au format du tableau de chevalet. Enfin, des slogans virulents, des aphorismes stupides, des lieux communs de nos comportements sont présents dans l'image sous forme de brèves sentences à la typographie austère. Chacune interroge avec une certaine ambiguïté notre capacité à répondre aux pressions de la société afin de reproduire un comportement normalisé.
Cette pensée sur le commun, cette pensée qui avant tout annonce la fin de tout écart dans nos vies, cette pensée donc n'a pas pour objectif de s'interroger sur la banalité ou le cliché. Au contraire, Barbara Kruger, en reproduisant sur un mode dramatique les stéréotypes de notre idéologie, offre au spectateur des images où les signes renvoient à des modèles de représentation dont nous avons parfaitement conscience, des modèles avec lesquels nous jouons dans une liberté buissonnière toujours renouvelée. Montrer les signes de l'aliénation renvoie à la façon dont nous inventons le quotidien à coup de ruses, d'astuces et de tactiques de résistance.
Cependant, les tableaux photographiques pouvaient conduire à une impasse. L'esthétisation de ce qui était dénoncé donnait à ses pièces une ambivalence rapidement insoutenable au fur et à mesure que la publicité calquait et intégrait nombre de procédures artistiques qui initialement dénonçaient son idéologie (il suffit pour s'en convaincre de voir combien de spots télévisés singent désormais les attitudes artistiques des années 80).
L'année 1990 constitue une première rupture. Barbara Kruger réalise sa première installation en s'appropriant totalement l'espace de sa galerie new-yorkaise. Du sol au plafond, des mots et des images s'imbriquent les uns dans les autres. Une certaine virulence dans les propos place le spectateur dans une situation équivoque, celle de sa propre dénonciation.
Aujourd'hui dans l'espace de la Galerie Yvon Lambert, Barbara Kruger approfondit ce travail avec la projection simultanée de trois films. Trois murs séparés par de minces cloisons nous font face. Sur chacun d'entre eux, un visage nous regarde. Chacun prononce un monologue d'une incroyable violence, souvent construit à partir de situations entendues. Le plus souvent, il s'agit d'apostrophes destinées à un interlocuteur absent. Aussi le spectateur reçoit-il ces accusations : tu es vraiment trop nul, mais pour qui te prends-tu avec tes belles phrases, etc. Les pièces anciennes démontraient que dans une culture modelée par l'information et par des images qui tiennent lieu de réalité, l'homme n'est capable que d'expériences de seconde main. Ici, Barbara Kruger prouve que, dans une société donnée, l'imaginaire n'est pas une totalité cohérente. Il englobe une galaxie de figures hétérogènes qui, toutes, déjouent les modèles de communication prônés par les médias. La vie de tout homme n'est effectivement pas réductible à une série de stéréotypes.D. S.
Barbara Kruger, Galerie Yvon Lambert, Paris 3e, France, jusqu'au 4 mars 1999.