L'artiste en atelier
2000 ans d'histoire
 

La création d'Adam, Michel-Ange

La création d'Adam, Michel-Ange, Voûte de la Chapelle Sixtine

Tous les auteurs d'histoires de l'art ne portent pas l'emphase sur les même points, mais tous soulignent qu'il y a bien eu une rupture grecque. Elle s'est manifestée dans le cadre d'une transformation sociale et politique considérable, l'avènement de la cité (Polis) et l'émergence de certaines libertés individuelles ou artisanales nouvelles dans la première partie du premier millénaire avant notre ère. A cette époque, les grands foyers de civilisation moyens orientaux et égyptiens dont la civilisation avait créé les modèles formels en vigueur de l'Indus à l'Atlantique étaient en déclin. L'affirmation économique et politique de la Grèce, vers le VIIème et VIème siècle avant notre ère occasionna le développement d'un puissant artisanat d'art. Du point de vue formel, les artisans de la Grèce archaïque connaissaient les modèles égyptiens, assyriens ou hittites, mais "ce qui caractérise paradoxalement, dans leur grande majorité, ces productions grecques orientalisantes, c'est plutôt la distance prise d'emblée, par rapport au modèle…" . La Grèce, sera le lieu de l'émergence de styles très différenciés selon les cités. Les ateliers grecs, qu'ils aient été de poterie ou de sculpture rompaient avec l'apprentissage et l'imitation scrupuleuse des modèles, caractéristique des civilisations égyptienne et mésopotamienne.
Comme l'a souligné le fameux historien de l'art, Sir Ernst Gombritch, la révolution grecque réside principalement dans une rupture intellectuelle et philosophique. Là où les égyptiens entendaient montrer ce qu'ils "savaient" de la réalité (ainsi une pièce ou un espace était-il peint sous tous ses angles comme le ferait un dessin d'enfant), les artisans/artistes grecs cherchèrent à transcrire ce qu'ils voyaient. Pour les sculpteurs par exemple : "Il ne s'agissait plus de représenter le corps humain selon une formule établie. Chaque sculpteur grec voulait décider de lui même comment il représenterait un certain corps individualisé… Dès l'instant ou cette révolution était commencée, rien ne pouvait plus l'arrêter. Dans leurs ateliers, les sculpteurs mettaient en œuvre de nouvelles idées et des innovations étaient reprises par d'autre qui à leur tour, y ajoutaient leurs propres découvertes. L'un apprenait à ciseler le torse, un autre s'apercevait qu'une statue paraît bien plus vivante lorsque ses pieds ne repose pas trop fermement sur le sol. Un autre encore imaginait de rendre un visage plus expressif en relevant les coins de la bouche pour le faire sourire."
Cette recherche qui toucha toutes les formes artisanales et artistiques fut l'œuvre d'individus, qui se mirent de plus en plus à signer leur œuvre. Cela n'empêche pas qu'ils travaillaient au sein d'entreprises artisanales, qui assuraient la conservation et la reproduction des innovations. Le processus de création et d'innovation était avant tout institutionnel et dirions nous dans un langage moderne organisationnel : "le phénomène ne saurait relever seulement de l'initiative isolée de tel ou tel atelier de sculpteur ou de peintre, mais qu'une communauté toute entière s'y trouve selon toute vraisemblance impliquée, dont la distinction moderne entre artistes et artisans ne saurait nous aider à comprendre le fonctionnement réel." En effet, en Grèce comme dans l'ensemble de l'espace antique, les ateliers d'artistes et d'artisans ont comme charge de pourvoir la cité en objets de culte civique, d'usage religieux ou utilitaire. C'est là un point crucial pour comprendre là la fois l'explosion artistique grecque : l'image et la représentation, notamment du divin, était considérée comme œuvre sacrée et fortement valorisée.

Le premier âge de l'innovation

Pour toutes ces raisons, un bourdonnement incessant d'innovations, de recherches (certaines sans avenir au plan formel) permirent le développement d'un savoir-faire considérable dans l'art de représenter. Le grand éveil de l'art grec s'était accompli au cours des cent années qui se situent approximativement entre 520 et 420, c'est à dire à l'époque de la grande apogée athénienne. Celle où Périclès le grand Stratège choisit le sculpteur Phydias, comme intendant du programme de construction de l'Acropole, dont les figures classiques fascinent encore aujourd'hui. Architecture, sculpture, peinture et même arts décoratifs grecs allaient prendre une forme commune, appréciée par les élites d'un monde de plus en plus vaste, grâce aux conquêtes d'Alexandre le Grand et à ses successeurs romains. La période hellénistique des IIIème au Ier siècle avant notre ère constitue d'ailleurs l'apogée de l'art grec et ses formes se diffusent que l'on retrouve jusque dans l'art bouddhique naissant à cette époque dans le royaume du Gandhara, qui couvre alors l'Inde du Nord, le Pakistan et l'Afghanistan actuel. Il s'appuie évidemment sur le savoir-faire des ateliers qui se multiplient dans les métropoles. Mais il correspond surtout à une conception désormais dominante du "beau" et à une vision du monde commune.
Analysant cette merveille qu'est l'Apollon du Belvédère, sculptée par Praxitèle vers 340 avant notre ère et tant de fois reproduite durant la période romaine, E.H. Gombritch rappelle que : "nous devons comprendre que Praxitèle et les artistes grecs n'ont atteint cette beauté que par le savoir. Un corps aussi bien bâti, aussi symétrique, aussi beau que celui des statues grecques n'existe pas dans la nature." Les artistes grecs du IVème et IIIème siècle ne regardaient pas la nature pour en corriger ensuite les défauts. Ils avaient au contraire abouti à un compromis entre abstraction et individualisation, qui découlait d'une conception du beau que fournissait alors la réflexion philosophique. Alors que pour Platon, dans la période précédente, les œuvres humaines ne pouvaient être au mieux que de pâles imitations de la perfection du monde des idées, Aristote lui voyant la source de la beauté dans le travail de l'artisan, dans la qualité du matériau, dans la destination de l'objet. La conception aristotélicienne "ouvrait la porte à l'expression de l'individualité de l'artiste, à l'éclectisme et à l'opinion qu'un style artistique pouvait convenir à certaines circonstances et pas à d'autres." Elle sera dominante jusqu'au Iième siècle de notre ère, puis sera supplantée par de nouvelles visions dans lesquelles platonisme et christianisme se trouveront mêlés.

Faut-il interdire la représentation ?

Au début de notre ère, le savoir faire antique allait se transformer radicalement. Ce qu'une mutation intellectuelle, sociale et politique avait fait, une nouvelle pouvait le défaire ! Avant même l'avènement de la religion chrétienne la définition et l'exécution des œuvres d'art subit de grands changements: "A partir du IIIème siècle, les apparences extérieures perdirent une importance accordée désormais aux sentiments intimes et à la pensée. L'âme l'emporta sur le corps …" Sur les bas-reliefs par exemple, les sujets changent et des figures plus spiritualistes (Orphée, des philosophes) supplantent les représentations traditionnelles de bacchanales ou d'action guerrière. Le style grec lui même, tant goûté par les élites patriciennes de l'Empire depuis près de quatre siècles, commence à cohabiter avec des traditions artisanales locales dans les représentations officielles. Alors que l'œuvre et sa facture étaient prépondérantes, c'est progressivement l'idée qui soutend l'œuvre d'art qui devient essentielle. L'art chrétien renforcera cette tendance jusqu'à revenir à des formes iconographiques ou formelles très contraignantes, ce dont la révolution grecque s'était initialement libéré. l'art chrétien de l'Empire romain va se développer essentiellement dans la partie orientale, restée politiquement structurée, alors que l'occident va lui s'effondrer et perdre jusqu'au souvenir de l'art antique. On le constate évidemment pour l'art du portrait qui après plus de mille ans d'épanouissement va sombrer dans le déclin, même en Orient où "le monde visible ne mérite pas qu'on s'y attarde (car) il n'a aucune dignité propre".
L'effondrement urbain et le repli économique du haut Moyen âge et du Moyen âge en occident ont réduit la place de l'artisanat d'art à la construction et l'embellissement de l'architecture religieuse ( vitraux, statuaire, etc.), à de l'orfevrerie (reliques, crucifix, etc) et aux vêtements liturgiques . La peinture ne survit qu'au travers des manuscrits religieux, élaborés dans des monastères où dans les fresques décorant les édifices religieux. Cependant, au XIIème siècle la croissance économique et la compétition nouvelle des principautés aiguise le renouveau de l'artisanat d'art qui se nourrit en Italie par exemple des croisades et de la rencontre avec les oeuvres orientales ( Bysance). Dans le Nord de l'Europe bien moins influencé par l'iconographie bysantine, se développe un style architectural nouveau ( le gothique), mais aussi des formes picturales et de représentations de plus en plus précises et sophistiquées. De manière générale, l'essor des villes et des principautés, mais aussi les commandes religieuses, qu'elles émanent des puissants ( psautiers), de bourgeois et marchands ( tableaux) ou de l'église elle même ( fresques de décoration, orfevrerie,etc.), fournissent un travail considérable à des artisans de plus en plus nombreux, travaillant toujours dans des ateliers. La nouveauté était venue de l'encadrement juridique et du monopole des corporations qui cependant ne changeait pas les conditions d'exécution et d'apprentissage du métier.

Un changement de persective

C'est alors que l'on assiste à une nouvelle et forte mutation idéologique des styles et formes, qui va en un siècle emporter, à partir de l'Italie centrale, toutes les formes d'art dans la Renaissance. C'est à ce moment que l'on voit un tout petit nombre de maîtres issus des corporations, devenir des personnages importants, reconnus pour leur savoir faire et parfois même leur genie. On note ce phénomène notamment en Italie centrale, mais aussi dans un autre register, dans les cours bourguignonne et française. Le premier, Giotto dei Bondone, qui vécut à Florence de 1267 à 1337 fut un homme puissant et riche, reconnu comme l'un des personnages importants de la cité. Son mérite, désormais reconnu dans des cités marchandes et indépendantes : innover. Comme pour les cités grecques en compétition de l'antiquité, l'innovation était de nouveau valorisée. Giotto s'écartait de l'iconographie figée de la tradition bysantine. Il était de ceux qui engageaient le mouvement. Au début du XVème siècle, un art nouveau allait naître à Florence. Une conjonction, disent toutes les histoires de l'art de l'habilité de quelques artistes exceptionnels et de conditions sociales, politiques ou économiques tout aussi exceptionnelles. L'attribution des chantiers de plus en plus nombreux et prestigieux se fit par concours, ce qui entrainait l'émulation et la comparaison. C'est là, dans un esprit de compétition et de luxe inégalé que s'inventa la perspective linéaire, qui allait accompagner tout les changement. C'est un architecte, peintre, sculpteur "intellectuel", filippo Brunelschi qui la formalisa dans ses bâtiments religieux (coupole du dome, etc). Brunelschi ne provenait pas, comme la plupart de ses prédecesseurs d'un atelier de maçon, mais avait suivit un cursus scolaire complet, intégrant les arts libéraux. Son approche et ses conceptions furent avant tout intellectuelles, et sa révolution, une révolution mathématique. Il s'agit là de l'une des marques profonde de l'avant garde florentine et Italienne.
Si l'Italie centrale, et Rome sont rapidement acquise à la révolution de la perspective et au retour à l'antique initié par les ateliers florentins, Venise reste influencée par l'iconographie orthodoxe et l'Italie du Nord par le gothique international, dont la maîtrise technique remarquable est la caractéristique. Dans un tel contexte, la condition vile de l'artisan d'art ne se modifie que très lentement.Certes, les plus grands maîtres florentins acquièrent une réputation considérable, et quittent même parfois la condition artisanale dans laquelle demeure l'essentiel de leurs collègues. Mais Au Xvème siècle, à Florence, les peintres de renom et leurs ateliers étaient sous la dépendance des princes et des commanditaires qui, pour reconnaître leur talent, ne songent jamais à les intégrer à la "vraie" société. La mutation est ailleurs, dans la reconnaissance progressive de l'art de peindre, cette manière qui connaitra son apogée avec Vinci, Michel Ange ou surtout Raphael et qui sera érigée au XVIème siècle en absolu. On continue alors à exiger par contrat les quantités d'or et de bleu à utiliser, les délais et les "pénalités de retard". On paie encore distinctement à Sandro Boticelli en 1485, les couleurs, le support, et "le pinceau", c'est à dire son travail. Progressivement on ne paiera plus que "le pinceau" aux génies. Certains artistes comme Michel Ange, Leonard de Vinci seront considérés ( et pour certains se considéreront) d'ailleurs comme tel. Michel Ange par exemple, luxe suprème de l'artiste, refusera d'être payé pour son travail de conception de la coupole de Saint Pierre de Rome. Benvenutto Cellini, peintre plus tardif, aura lui aussi la certitude d'être exceptionnel.

L'émergence de l'individu

Les principaux artistes italiens de la renaissance, fort peu nombreux au regard du nombre des artisans peintres et sculpteurs, furent "polytechnique", c'est à dire architectes,scultpeurs, peintres à fresques. Ils initièrent et accompagnèrent un mouvement d'émancipation intellectuel de l'art, qui s'intégrerait progressivement dans les arts libéraux, donc nobles et dignes de reconnaissance, dans les siècles suivant. En Italie, les peintres "géniaux" furent encensés d'abord pour leur capacité d'abstraction, puis pour leur alliance de l'intellect et de la manière de peindre ( Michel Ange, Raphael) . Au contraire, les peintres flamands ou allemands, "inventeurs de la peinture à l'huile au quatorzieme siècle ou utilisateurs de la gravure, n'intellectualisèrent pas. De Van Eyck, peintre de la cour Bourguignonne à Rembrandt, en passant par Dürer, la peinture du Nord suit la voie de la découverte de l'individu avec les procédés du dessin et de la peinture transmise principalement en atelier. Là ou un Michel ange réalise exploits sur exploits, par exemple peignant, couché pendant quatre ans, le plafond de la chapelle sixtine, Van Eick ou Dürer atteignent une précision impressionnante dans le rendu du visage humain.
C'est dans les deux pôles historiques de la peinture occidentale, l'Italie centrale et les Flandres, que dans le même temps débute émergence de l'artiste, comme figure individualisée et reconnue, par les princes et la postérité. Elle doit cependant être fortement relativisée et problématisée car elle va prendre des chemins et des détours multiples. On constate bien l'affirmation progressive de la signature, aussi bien chez les peintres et sculpteurs français, allemands ou flamands qu' italiens à partir du Xvème siècle. Mais les peintres seront encore longtemps en dépendance directe du prince ou de l'église. Ils resteront relativement dépendants dans le système des académies des XVIIème et XVIIIème siècle en raison de leur statut de professionnels pensionnés au service de l'Etat.
Au total, Les XIV et XV ème siècle ont vu l'inauguration d'une modernité artistique, dont les racines sont doubles et qui ne fusionneront jamais vraiment . La crise religieuse de la réforme et de la contre réforme va séparer très nettement les traditions. La renaissance Italienne et son inspiration antique va inspirer toute la grande peinture religieuse, historique et académique des XVIème au XIXème siècle, mais aussi et peut-être surtout, toute l'architecture et la statuaire dont les Etats couvriront l'Europe jusqu'au Xxème siècle. Le portrait flamand va lui accompagner pour une période aussi longue les conséquences d'une "révolution dans les esprits" : la prise en compte de l'individu.

Du peintre à l'artiste

Le nouveau style Italien se diffuse en Europe avec une grande rapidité, notamment sous l'influence des princes et rois qui font venir les artistes pour travailler à leur cour. On sait que François 1er invita Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, mais aussi Andréa del Sarto, sebastiano Serlio. Les peintres, les sculpteurs et les architectes voyagent, façonnant une Europe au style renaissance italienne. La rupture entre l'Europe catholique du sud et l'Europe protestante qui refusait l'adoration de l'image des saints limitera un peu l'influence des artistes et ateliers italiens. Mais l'art baroque de la contre réforme et l'académisme Etatique lui assureront une grande postérité. De plus, au XVII et XVIIIème siècle, l'intérêt des élites pour le patrimoine antique renforcera encore cet engouement. La diffusion à grande échelle d'estampes et reproduction, sera elle aussi l'un des puissants facteurs de la diffusion des formes et modèles nouveaux. Cette généralisation du modèle italien s'est effectué dans une Europe expansionniste, dans laquelle l'Etat-Nation se renforçait et définissait de plus en plus les normes de fonctionnement de la société. C'est dans ce contexte, à partir du XVIème sicèle que "l'artiste", c'est à dire une minorité prestigieuse se détachant des corporations, entama son ascension sociale. C'est à la fin du XVIème siècle en Italie, puis en France au XVIIème et dans toute l'Europe au siècle suivant que se mirent en place les principales institutions et cadres, à travers lesquels nous sommes aujourd'hui encore habitués à contempler l'œuvre d'art : les musées, la critique et l'histoire de l'art, le marché et ses intermédiaires. En 1563, Florence fonde la première académie, regroupant tous les arts nécessitant le dessin.
En 1577 c'est à Rome que fut crée l'académie Saint Luc, du nom du saint patron des peintres ( au motif qu'il aurait peint le premier portrait de la vierge). La France suivit en 1648, et l'Europe entière se couvrit de ces institutions. Dans ces nouvelles institutions, patronnées par les autorités politiques, les artistes les plus prestigieux étaient pensionnés et on enseignait la théorie et le dessin, alors que l'apprentissage du métier lui même (fabrication des outils et des couleurs, exécution de la peinture ou de la sculpture) demeurait le fait des ateliers. On assistait à la généralisation d'une aristocratie de peintres prestigieux et bien rémunérés, dont certains furent même anoblis. Le mouvement académique européen né en Italie, trouva son modèle achevé en France. L'académie royale de peinture et de sculpture crée par Mazarin en 1647, comme ses devancières de Florence ou de Rome, enlevait définitivement l'apprentissage du dessin aux ateliers, contrôlant ainsi les cadres théoriques et intellectuels de lart. Elle fut par exemple le théatre de controverses et débats tenant à la primauté du dessin ou du coloris dont les enjeux étaient essentiels pour le statut même de l'artiste, puisque le dessin était réputé relever des arts nobles alors que "la mise en couleur" des arts "mécaniques".
Il fallu près d'un siècle pour que l'opération de transformation des disciplines artistiques en "beaux arts", adjoints aux arts libéraux intellectuels fut réalisée pleinement . Si la Renaissance italienne avait érigé le dessin au rang de discipline intellectuelle, encore fallait-il que la société d'ancien régime fondée sur une hiérarchie de castes étanches l'accepte. Cela fut permis par la séparation de l'élite des peintres par rapport au commun des "arts mécaniques" et par la reconnaissance que le dessin est l'équivalent de la littérature ou la poésie, c'est a dire un discours lettré et non une pratique d'atelier.

Au XVIème siècle sont publiés en France, les premiers textes d'histoire et de théorie académique de l'art. La référence à la tradition antique, provenant de l'étude des classiques et des peintres italiens est omniprésente. L'académie comporte à partir de la fin du même siècle une conférence d'évaluation de la peinture et organise deux fois par ans à partir de 1737 un salon, où les académiciens présentent leurs œuvres. Ceci donne lieu à la mise en place progressive d'une littérature critique et au XVIIIème siècle, le discours sur la peinture et les arts sort des cercles de l'Académie pour devenir, après 150 un espace public fréquenté par la bonne société où les valeurs et les réputations sont jugées. L'Europe des lumières devient celle de la critique artistique ( Diderot) et de l'émergence d'une peinture déterminée par le mouvement philosophique et scientifique nouveau. Malgré le carcan des canons et hiérarchies académiques en France particulièrement, si l'on se place à l'échelle européenne, c'est la diversité des styles et des références qui alors frappe l'observateur. Cette diversité est rendue possible notamment par un accroissement sans précédent du marché, lié en Europe du Nord à la croissance économique.

Fondamentalement, les formes et conceptions nées en Italie, ont cadré tout l'art occidental, en raison de leur succès dans l'Europe des XVIème, XVII et XVIIIème siècle. Les Académies et écoles d'art voulues par les Etat Nation ont "professionnalisé" l'apprentissage du dessin et intellectualisé les beaux arts, pour les assimiler à des disciplines nobles. Ce faisant le monde artisanal multiséculaire fut marginalisé, puis définitivement éliminé par l'industrialisation et le triomphe de l'individualisme. L'artiste moderne pouvait naître.
 
Jean Claude Ruano-Borbalan
Paris-Bruxelles, janvier 2009
 
 
 
Lire aussi : La création comme construit social et historique
Livres à lire :
- Marie-José Mondzain, L'arche et l'arc-en-ciel, Michel-Ange, Voûte de la Chapelle Sixtine, Edition Le Passage, ISBN 2-84742-078-9
- Marie-José Mondzain, Homo spectator, Edition Bayard, ISBN 978-2-227-47728-5
 

Marie-José Mondzin, Homo spectator

accueil     vos réactions     haut de page