LE MAGAZINE
d'ExpoRevue |
Inari-shin, pair of fox-spirits, Inari's messengers
La plus surprenante exposition de cet été n'est pas présentée par un musée d'art, mais par le Musée ethnographique d'Anvers. Elle invite à découvrir un sculpteur japonais du 17ème siècle, Enkù, complètement inconnu en Occident et encore peu connu dans son propre pays.
Fudò myòò sanzon. Triad of Fudò with his two acolytes
Celle d'une sculpture sauvage, rebelle à toute convention et à toute tradition, que seul pouvait concevoir un sculpteur vagabond, imprégné d'esprit zen, parcourant l'archipel nippon de communautés villageoises en petits sanctuaires de montagne, loin des grands temples et des cours des seigneurs. Cette volonté de rester proche de la sensibilité populaire et de placer ses oeuvres dans des temples de montagne difficilement accessibles, souvent à flanc de précipice, est d'ailleurs la raison de l'ignorance dans laquelle la sculpture d'Enkù a été tenue pendant trois siècles. Refusant tous les canons de la sculpture officielle de l'époque Edo, lisse et chargée d'ornements, il s'était placé hors du champ d'attention des historiens de l'art. Ses sculptures étant restées sur leur lieu d'origine, propriété privée de communautés religieuses, aucune ne figure dans un musée.
Detail. Enkù carving the face of a colossal guardian from a living tree. Illustration by Katen.
De quoi est faite cette originalité ? Enkù (1632 - 1695) ne considère pas le bois comme un matériau inerte, mais comme la survie artistique de l'arbre vivant. Ses statues à peine dégrossies sont comme habitées par l'arbre qu'elles ont été. (Il est en quelque sorte à l'arbre ce que Michel-Ange est au bloc de marbre). Son oeuvre reflète donc l'attitude devant la nature de la branche radicale du bouddhisme à laquelle il appartenait, toute imprégnée d'anciens cultes animistes de la montagne et de la forêt. Le mouvement naturel, l'élan du tronc et des branches traverse ses sculptures dont les linéaments mettent en valeur les fibres du bois. Parfois il laisse le bois figurer une chevelure ou une draperie, se contentant de quelques retouches pour évoquer allusivement le visage ou les attributs d'un personnage, Bouddha, Bodhisattva ou autre figure du panthéon bouddhiste. Chose remarquable et unique pour l'époque, il aime donner vie à des personnages féminins - dont sa propre mère ! - et il a même rendu un hommage discret aux martyrs chrétiens de l'ère Togukawa. (Cette partie rare de son oeuvre n'est pas représentée à Anvers). Ses dernières oeuvres exposées à Anvers atteignent l'abstraction pure, évocation d'esprits animaux, renards ou vautours.
Michel Ellenberger
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L'exposition qui lui est consacrée à Anvers révèle la personnalité unique de ce sculpteur japonais du dix-septième siècle. Shò-Kannon. Aryàvalokiteśvara |
Etnografisch Museum, Anvers, Belgique, jusqu'au 29 août 1999.