Dans la vallée du Blavet en Morbihan, tapies dans un méandre du fleuve ou postées au sommet d'une colline (dans un rayon d'une douzaine de kilomètres), une vingtaine de chapelles, pour la plupart des XVe et XVIe siècles, abritent, du 3 juillet au 19 septembre, des uvres d'art contemporain. Un incessant dialogue entre les artistes et le patrimoine breton. Un pari audacieux que mène à bien Olivier Delavallade.
Quelque part en Morbihan, Olivier Delavallade, 32 ans, directeur artistique de L'art dans les chapelles, nous reçoit dans une ancienne école qui lui sert de maison dans laquelle des meubles anciens côtoient des objets design, dans laquelle des livres d'art s'empilent, des dessins ou peintures sont posés au sol en attendant d'être, un jour peut-être, accrochés. L'art contemporain, il s'y connaît, il le défend ardemment en Bretagne depuis trois ans (il avait déjà fait ses armes à Paris chez Clara Scremini, à la Galerie Clivages et au Centre Georges Pompidou).
A propos de l'art contemporain en Bretagne...
Pour lui, il existe en Bretagne une diversité de lieux, de projets, d'actions : ce n'est pas une région sinistrée de l'art contemporain, au contraire, souligne-t-il. Il est nécessaire qu'il existe aux côtés de centres d'art à vocation de laboratoire de recherches et de rencontres comme Le Quartier à Quimper ou Le Domaine de Kerguéhennec à Bignan, un ensemble de lieux plus modestes comme la galerie Artem à Quimper ou Le Lieu à Lorient. Et parallèlement, un certain nombre de musées plus classiques (La Cohue à Vannes, Les Jacobins à Morlaix) intègrent dans leur programmation des présentations d'art contemporain, voire constituent une collection.
La Bretagne est un lieu extrêmement perméable à l'extérieur, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire aujourd'hui. Il n'y a pas de repli frileux sur soi. Et même, si très localement, il en existe, c'est l'occasion pour moi de réaffirmer une ligne de conduite, affirme Olivier Delavallade.
Il essaye de son côté d'équilibrer ses programmations (pas en terme de quotas, cela va de soi !) avec des artistes impliqués pour le moment en Bretagne et des artistes de l'extérieur. Dès l'instant où le travail d'un artiste est bon, peu importe qu'il vienne de telle ou telle région de France ou de Navarre. Il croit en ce qu'il défend. Il n'a jamais conçu l'art dans une définition précise. Il trouve insupportable de faire rentrer les artistes dans tel ou tel cadre. Il lui apparaît plus judicieux de considérer les pratiques artistiques dans leur grande diversité.
L'art dans les chapelles : un contact original avec l'art contemporain
On sent qu'Olivier Delavallade a un réel intérêt pour la peinture, il en montre d'ailleurs beaucoup (Joël Brisse, Thierry Le Saëc, François Béalu, Yves Picquet, Guy Prévost, François Talairach, Michel Mousseau...), peut-être davantage que dans certains autres lieux mais il ne veut, en aucun cas, être confondu avec ceux qui ont un discours de retour à la peinture, de nostalgie du métier.
Car il aime la peinture mais aussi la sculpture, les installations. Eclectique ? Oui et alors ?
Pourquoi s'enfermer dans des carcans ? Son seul critère est le regard. Mais ce dernier ne s'entend pas qu'en terme de vue car c'est infiniment plus complexe : c'est aussi la tête, le cur, le ventre, la mémoire. Il mélange ainsi artistes jeunes et confirmés, pas forcément connus : peintres, sculpteurs, graveurs...
Sa programmation n'est pas construite sur des noms mais sur des uvres et des projets. Il a cependant des invités d'honneur qui portent la manifestation comme Lindström, Boltanski, Pincemin ou Geneviève Asse, cette année. Il fait pour cela des visites d'ateliers. Il discute beaucoup avec les artistes des pièces qu'ils vont présenter.
Sa manifestation est peut-être en marge des grands circuits mais en même temps, comme dit Godard : c'est la marge qui tient les pages du cahier !
Les chapelles permettent de s'arrêter davantage et plus tranquillement sur les uvres, et par là-même d'avoir une autre relation à celles-ci.
Alors, L'art dans les chapelles, une exposition, un festival ? Plutôt une promenade, une déambulation, une découverte d'un patrimoine religieux, d'un territoire, d'un art d'aujourd'hui. Ce qui motive Olivier Delavallade, c'est la présence d'une uvre d'art contemporain dans une chapelle, que va-t-elle induire ou produire ?
Une petite équipe de deux personnes fait marcher cette manifestation (il y a aussi des bénévoles). Il en ressort de la spontanéité, de la disponibilité, une certaine légèreté retrouvée, bien loin des grosses structures et des grosses batteries de l'art contemporain.
Ici, il y a des surprises de derniers moments, des rencontres singulières, imprévues, des coups de cur. Le fait qu'il y ait moins d'enjeux autorise une plus grande liberté de mouvement, d'expression.
Dans la vallée du Blavet, le public n'est pas forcément habitué aux galeries ou musées d'art contemporain. C'est un public de proximité ou de touristes qui font un détour. Et puis, en pénétrant dans une chapelle, ils sont en contact avec l'art de notre temps. Cela se passe naturellement. Ils peuvent très bien visiter les chapelles pour leur statuaire, l'architecture ou le mobilier. Et puis, quelque chose se passe, les uvres sont sur les murs, au sol, au centre de l'édifice. Elles ont une place à part entière dans l'espace : le visiteur ne peut rester insensible. Au début, certaines personnes des environs étaient très réservées par rapport à ce qui se passait. Aujourd'hui, elles commencent à se former un regard, certaines m'aident à faire les accrochages, d'autres m'ont fait de très beaux commentaires sur des uvres, constate Olivier Delavallade.
Il y a également des amateurs d'art et des fidèles qui programment, dans leurs vacances, la visite des chapelles. Mais il est conscient que l'art contemporain est souvent dénigré, peut-être même systématiquement. Il est finalement facile de faire rire de choses que l'on ne connaît pas.
Il est vrai que cet art n'est pas toujours immédiatement explicite ou traduisible. Qu'à cela ne tienne, il a prévu des visites guidées gratuites, tous les jeudis, qui font découvrir les peintures de Bertrand Canard (chapelle N-D de Joie), celles de Roger Eskenazi (chapelle de la Trinité), celles de Richard Dussaulx (chapelle Saint-Jean), les dessins d'Alexandre Hollan (chapelle Sainte-Tréphine), l'installation d'Adalberto Mecarelli (chapelle Saint-Nicodème), les sculptures de Sophie Melon (chapelle Saint-Samson), celles de Georges Peignard (chapelle Saint-Trémeur)... C'est un régal de pousser la porte de Saint-Gildas où l'installation d'André Maigne plonge une partie de la chapelle troglodyte dans l'obscurité.
Progressivement, des éléments lumineux bleus apparaissent, sorte de constellations qui suivent des trajectoires aléatoires. On découvre au fur et à mesure des éléments architecturaux du lieu, notamment un rocher, au fond sur la droite.
Remarquables également, les peintures d'Yves Picquet à la chapelle Saint-Jean. Un agencement de toiles formant des colonnes souligne la verticalité de l'espace, disposées depuis le sol jusqu'à la corniche.
Geneviève Asse a choisi des diptyques, des tondos comme le Cercle-fenêtre, une uvre blanc-gris, bleutée, qu'elle a mise en relation avec un occulus bouché mais clairement dessiné de la chapelle. Cette pièce assez austère trouve ici, grâce à la lumière et au silence total, toute sa dimension.
Et ça marche...
De nos jours, c'est peut-être grâce à ce genre d'initiatives, que le public peut se réconcilier avec l'art contemporain et que les artistes peuvent retrouver une certaine fraîcheur.
Ici, rien n'est épuré, glacial, impeccable, sans âme, au contraire !
Bien sûr, certains diront que montrer de l'art dans les chapelles était très à la mode dans les années 80. Mais ici, on n'anime pas seulement le patrimoine culturel : il y a un véritable projet artistique (depuis la création de la manifestation en 1990, grâce à la rencontre d'un artiste, Mariène Gâtineau, qui venait d'arriver dans la région, et de Michèle Robin, maire-adjointe à la Culture à Bieuzy-les-Eaux).
Résultat : le nombre d'entrées était de 45.000 pour l'été 1998 (soit une progression de 20% par rapport à l'année précédente). Olivier Delavallade a de plus le soutien financier, public et politique des quatorze communes sur lesquelles se trouvent les édifices religieux, de la Région Bretagne, du Conseil général du Morbihan et de la DRAC (Direction régionale des Affaires Culturelles) de Bretagne. Ces subventions sont les garantes de l'existence de L'art dans les chapelles. Il reçoit également des aides de diverses entreprises.
Souhaitons que le public, cette année encore, soit nombreux à s'égarer dans la vallée du Blavet et à pousser les portes de ces chapelles qui, en plus de dévoiler ses trésors ancestraux : vitraux, jubés, retables et statues polychromes, révèlent la création artistique du moment. Un rendez-vous breton à ne pas manquer.
M. C.
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