Mesurer à l'œil ne veut pas dire aller vérifier à l'aide d'un instrument de mesure l'identité de cette œuvre. Elle n'en demande pas tant mais bien plus encore.

L'art est fait pour nous tromper, car il est éloigné au troisième degré de la vérité et jette le trouble dans notre âme, lit-on dans le livre X de La République de Platon.

L'œuvre d'Yves Bodiou est double, triple, multiple dans son unité apparente. Ingénument, elle se joue de notre innocence. On est toujours naïf devant l'énigme que pose l'œuvre d'art qui, entraînant l'imagination dans des contrées inattendues, l'alimente dans une direction qui lui est parfois contraire à ses habitudes. L'œuvre d'Yves Bodiou semble tranquille et enracinée. Il se dégage d'elle une beauté élégante et sobre, toujours gênée par un élément perturbateur, une certaine violence, une laideur. Par exemple, l'empreinte du genre chewing-gum consommé, jeté, collé, disgracieusement sur cette forme parfaite fait penser à une maison. Elle n'a rien d'un élément extérieur au matériau utilisé. Elle est en plâtre, comme l'ensemble de la sculpture, elle lui est corporellement impliquée (Demeure inhabitable).

L'artiste avoue ne pas avoir pu mâcher du chewing-gum pendant trois semaines, tant l'effet de l'apparition de cette forme dans son travail avait un rapport avec sa propre bouche.

Hautement travaillées, les dernières sculptures d'Yves Bodiou, par delà l'évocation poétique d'être ou d'avoir été des maisons, un louche rapport de ressemblance est, dans les choses, un clair rapport de projection, écrit Merleau-Ponty, atteignent une exemplarité quant à l'ensemble, et une bizarrerie quant au détail, qui les rendent originales et énigmatiques.

I. C.

Yves Bodiou - Demeure inhabitable




Yves Bodiou - Demeure inhabitable