En seize salles, ce sont toute la richesse et tous les aspects successifs de la création artistique berlinoise tout au long du XXe siècle qui sont mis en valeur au musée de Grenoble. Serge Lemoine, conservateur en chef et professeur de la Sorbonne, a fait un choix de plus de 500 uvres appartenant aux collections de la Berlinische Galerie, institution créée en 1975, consacrée aux artistes majeurs ayant travaillé à Berlin dans le siècle. Choix pertinent s'il en est.
C'est impeccable, net et précis. A l'heure de la construction européenne, des 10 ans de la chute du mur, des 50 ans de la République Fédérale d'Allemagne et au moment même où Berlin redevient capitale, la présentation d'une telle collection se situe au cur même de l'actualité tout en révélant à un large public les événements historiques et artistiques de cette métropole sur un siècle, souligne-t-il.
On commence avec l'Expressionnisme (Otto Mueller, Ernst Ludwig Kirchner) et les artistes venus d'Europe de l'Est (El Lissitzki, Iwan Puni, Alexandre Rodtchenko, Vladimir Tatline). Une pièce révèle l'uvre de Naum Gabo de 1922 à 1932 (torse en carton, tête d'angle en métal, constructions abstraites jouant de la transparence des matériaux industriels, plans d'architecture et maquette pour le Palais des Soviets de 1931). Mention spéciale pour le cabinet Dada au fond rouge avec ses formules qui n'ont pas perdu une ride : Déverrouillez-vous enfin la tête, qu'elle soit disponible aux exigences du temps.
Décidément, quelques quatre vingts ans après, rien n'a changé ! L'accrochage rappelle celui de la Grande Foire Internationale de 1920 à Berlin, réunissant les uvres et les archives des principaux acteurs de ce mouvement (Hannach Höch, Rudolf Schlichter, George Grosz, Raoul Hausmann). Les salles s'enchaînent de la Nouvelle Objectivité (Christian Shad, Otto Dix, Georg Schrimpf) aux témoignages face au nazisme (B.H. Dolbin et son Brailleur terrifiant, l'Autoportrait décharné de Gert H. Wollheim ou Les Prisonniers morbides de Carl Hofer).
Coup de cur pour la salle consacrée à George Rickley, le plus berlinois des sculpteurs américains de par son inscription dans la lignée constructiviste et cinétique et ses séjours prolongés à Berlin. Ses sculptures en acier inoxydable poli ont leurs propres règles géométriques. Le vent les effleure, mais ne les modifie pas.
On poursuit avec le nouvel Expressionnisme (Marwan, Georg Baselitz, Wolf Vostell) et les Nouveaux Fauves dès 1980 (Helmut Middendorf, Rainer Fetting, Klaus Killisch). Ces derniers ont une rage folle de peindre avec des couleurs plus agressives et plus vives que leurs prédécesseurs. Ils se dégagent néanmoins avec une certaine insolence du pathos de la génération des expressionnistes du début du siècle.
On termine par une étrange mise en scène d'Edward Kienholz et Nancy Reddin Kienholz dans laquelle des mannequins, moulages de 19 personnalités proches des artistes, aux bouches remplies de ventilateurs de voiture soufflent de l'air tandis qu'une bande magnétique difffuse des articles obscurs écrits par des critiques d'art dans toutes les langues.
On regrette un peu de ne pas voir les représentants de l'art contemporain : Thomas Eller ou Bernhardt Garbert, mais Serge Lemoine leur a préféré une section architecture qui atteste l'immense chantier qu'est Berlin aujourd'hui, répondant davantage à son souci de montrer l'évolution de la nouvelle capitale allemande.
M. C.
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