L'Art à l'épreuve du lieu
Sous la direction de Dominique Berthet
Editions L'Harmattan, 2004
 
 
Directeur du C.E.R.E.A.P (Centre d'Etudes et de Recherches en Esthétique en Arts Plastiques), ainsi que de la revue Recherches en Esthétique, Dominique Berthet programme annuellement colloques et publications autour de thématiques qui croisent tant des questions contemporaines où l'art, l'esthétique et le politique peuvent être réfléchis ("La critique", "Traces", "Appropriation", "Hybridation, métissage, mélange des arts"…) que des notions plus transversales et souvent émergeantes ("L'ailleurs", "Errances"…) où l'implantation en Martinique du C.E.R.E.A.P joue un rôle évident de dynamique artistique et intellectuelle.
 


L'Art à l'épreuve du lieu
 
 
Ainsi, L'Art à l'épreuve du lieu réunit les actes du septième colloque organisé à l'IUFM Martinique à Fort de France en 2001, et fait suite à la parution en octobre de la même année, du numéro 7 de la revue Recherches en Esthétique dont le thème fédérateur s'interrogeait déjà sur les "Marge(s) et périphérie(s)". C'est donc dans une continuité de pensée que des intervenants d'outre-mer et de métropole, artistes, historiens ou philosophes de l'art se sont retrouvés pour discuter de ce qui organise sans le dire forcément ces limites/hors-limites des territoires et des hommes à savoir "le centre".

Comment étant aux marges et à la périphérie, sans pour autant être véritablement "en marge", vit-on, crée t-on, communique t-on ? Quelles sont les influences, artistiques et politiques d'une certaine dynamique de la "périphérie" sur le "centre" et inversement ? Quelles richesses, esthétiques et philosophiques créent les marges, dans la nécessité déjà de se forger une identité mais aussi de faire sien ce qui du nouveau deviendra modernité ? Quelle est la part d'échanges et de brassages véritables entre le centre élargi à L'Europe et les marges confinées aux Caraïbes ? Comment œuvres littéraires et productions plastiques seront ou non porte-parole d'un destin aux prises avec la tradition et l'appel du "large" ? Quelles sont aussi les potentialités à faire émerger et à peut-être accepter dans des mondes qui ne seraient pas le Monde ? Car n'arrive t-il pas parfois - comme le mentionne ironiquement l'un des auteurs - qu'à force de vouloir être au centre on se retrouve à la marge ? Mais le contraire peut aussi être vrai : à force de revendiquer la marge on peut tout aussi bien mettre en place un système de centralisation autonome, fruit de frustration et d'exclusion ? C'est parfois dans cette contradiction - entre désir de se démarquer et désir de s'intégrer - que certains artistes œuvreront et découvriront leurs "marques".

Des Miniatures persanes au Surréalisme en passant par l'art antillais ou en suivant le land Art, L'art à l'épreuve du lieu nous rappelle que la création est toujours en prise avec ce qui de l'humain fait de lui le vecteur du monde tel qu'il est, a été ou voudrait être et ce quelque soit le territoire et sa géographie. Tout en faisant alors un travail de mémoire, qui ne peut faire l'impasse sur ce qui organise le partage et la distribution des pouvoirs , sociaux, économiques et politiques, chaque auteur, quelque soit son engagement et sa pratique, convoque d'une manière ou d'une autre, cette propension qu'a l'Art, d'abolir les frontières ne serait-ce que par la traversée des continents, la simple trace d'une errance ou le nécessaire aller et retour de l'artiste devant son œuvre en devenir. Mais pointant aussi bien les dangers d'une marginalité qui peut ouvrir à un nouveau totalitarisme que ceux d'une utopie tout aussi ambiguë d'une universalité broyant les identités, les contributions ici rassemblées s'avèrent être les bienvenues à l'aube d'une mondialisation justement inquiétée par l'esprit critique d'artistes et de penseurs attentifs à ses occurrences. Venus d'ailleurs ou non, travaillant ailleurs ou ici, tous nous permettent en effet de naviguer entre les marges de la création et les lieux de sa monstration comme autant d'espaces si ce n'est de "centres" sensibles où se jouent toujours les limites poreuses de l'art et de la vie, où se manifestent nécessairement des pratiques artistiques nourries d'écart et de distance mais où se révèlent toujours un "nouveau" qui n'est que la marque d'humanité de notre rapport au monde passé et présent.
Michelle Debat
Paris, novembre 2005

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