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Vie et mort de l'image
"A la représentation, qui saisit et fixe, en des mots ou des images, on pourrait opposer la brillance du réel, qui ne se laisse jamais saisir ni fixer. Les rapports du réel à sa représentation sont donc toujours des rapports difficiles faits de heurts, de larges zones d'ombre et aussi quelquefois, de loin en loin, de rares et heureuses coïncidences." écrit le philosophe français, Clément Rosset. Dans son livre "Le réel, traité de l'idiotie". Avec cette définition possible : "Le réel est ce qui est sans double : il n'offre ni image, ni relais, ni réplique, ni répit".
Jamais avec autant de perplexité et de passion, le littérateur ou le scientifique, le philosophe ou l'artiste, n'a abordé le champ complexe du réel établi sur les notions mouvantes de l'immatériel, de la virtualité ou de la représentation. Jamais les délices de cette spéculation n'ont autant troublé où chacun, de la profonde Amazonie coiffée de paraboles satellitaires aux coeurs des villes high tech, expérimente, vit et habite ces modes aux formes épousées.
Il n'est guère imaginable désormais d'évoquer l'art sans en référer d'une manière ou d'une autre, par un nouveau média ou pas, à ce fait qui vient perturber et enrichir l'œuvre. Si tout art vise à créer et à à détruire compulsivement une beauté nouvelle, chaque artiste se doit de dire la mélancolie qu'engendre son geste. Il en a pleinement conscience dès lors encore qu'il partage un monde rapide, fait de flux et d'empreintes, affolante frénésie, parfois, d'avatars possibles pour autant d'individus.
C'est ce monde là qu'habite Katrin Bremermann évoquant, liberté et chaos, la charge d'images proposées et dupliquées, objets, paysages, êtres peints dans une sorte de paradoxe : ils sont les sujets de ses peintures mais aussi les énigmatiques absents. Presque effacés ou cachés, ce "Home", ce "man at work", cette "Woman in peril" ou, pour reprendre quelques-uns des titres de ces toiles, composés d'images floues, habituel fading des images télé ou vidéo ou de la presse à pixels moirés, et d'éléments géométrisants qui n'ont strictement rien à faire dans ces icônes mélancoliques modernes. Pourquoi donc le joueur de baseball, la jambe tendue, le bras en déséquilibre, sa chorégraphie gestuelle fixée, est-il l'objet d'une telle incursion de plans abstraits sans profondeur et d'une intensité différente ? Quels empêchements ou quels travestissements subit donc cette image docile d'un corps de femme, déliant, ou liant, dans son dos l'attache d'un soutien-gorge ? Quelle histoire achevée et brisée, enfin, nous raconte-t-on ?
Vrai pouvoir de séduction ? Refus d'un réalisme hérité, si l'on veut bien puiser dans ses souvenirs, aux sources de l'Impressionnisme, perpétué par le cinéma, et évoqué, magnifique bouquet de gestes intimes, par la photographie et l'art vidéo, mais oblitéré de manière crue et cultivée par l'aplat de couleur rouge et la stance de la géométrie. Voir, poser la règle d'une composition, s'interroger de la quête de l'artiste apporte bien des troubles : la peinture si retirée de Katrine Bremermann, oppose des lumières différentes. Elégies de la mélancolie et de la perte, ses peintures affectent de ne pas détruire un monde déjà fragile. Sous le plaisir d'un monde familier, ce "réel sans double" (qu'évoque Clément Rosset) désigne la moirure du souvenir et tapisse un puzzle de formes réactives. Eclats d'un désordre, par chaque fois nommé, recomposé dans un ordre brisé à nouveau. Autant de miroirs et de motifs d'une vie, d'un apaisement.Laurent Boudier, Paris, juillet 2006
Katrin Bremermann, "Derrière d'avant", du 1er septembre au 14 octobre 2006
Gal. Burkhard Eikelmann, Ackerstrasse 13, Düsseldorf 40233, + 49 211 303 777 3
art@galerie-eikelmann.de www.galerie-eikelmann.de
Katrin Bremermann, "Puzzle sur chambre blanche ou façons de dire", 2003