Michel Couturier. HommageLa friche la galaxie
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Michel Couturier, Béton, 2023
Michel Couturier, Béton, 2024
Michel Couturier, De hermosa corriente, 2019, video
Michel Couturier, Est-ce là le centre, 2021, video
Michel Couturier, Fer à béton, 2020
Michel Couturier, L'enlèvement de Proserpine, 2018, video
Michel Couturier, La friche la galaxie, Centrale, 2025
Michel Couturier, La friche la galaxie, Centrale, 2025
Michel Couturier, La Friche, la Galaxie, 2022, video
Michel Couturier, Panneau publicitaire, 2021
Michel Couturier, Rome, 2023
Michel Couturier, Michel Couturier, Un royaume sans frontière, 2018, video |
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Michel Couturier (1957-2024) a disparu l'an dernier, laissant derrière lui des films, des images d'Italie et de France, des dessins de multiples formats qui sont installés dans cette exposition très lumineuse. L'espace est circonscrit par des films et des vidéos qui se déroulent au fil d'un parcours fluide et dense. J'avais vu une de ses expositions à Berlin il y a quelques années.
Voyageur inlassable, il aimait l'Italie. Appareils divers en mains, il saisissait des images parfois incongrues, où les lieux photographiés ou filmés lui apparaissaient comme des symptômes. Grand lecteur, il arpentait le monde à la manière d'un philosophe en marche avec sa caméra — un "péripatéticien" des marges, un contemplateur des interstices où les relations humaines et la nature s'éprouvent, s'entremêlent, s'interrogent, se tordent et se difractent. Ainsi naissent des images où les territoires singuliers ou insolites deviennent des songes éveillés, où les ruines industrielles côtoient les éclats du ciel. Friches délabrées, animaux perdus dans la nature, un monde fragile s'infiltre dans ses images captées au fil du temps. Michel Couturier, tout à la fois "touriste" et anthropologue, explore le réel et ses interstices, ses portes dissimulées. Il s'empare d'images avec son œil critique. Dans certains lieux filmés, les éléments industriels deviennent des totems mythologiques, les panneaux publicitaires qui défilent apparaissent comme des lucarnes "métaphysiques", des résidus matérialistes. En regardant ses dessins où l'or coule entre les traces noires du fusain, il transforme l'espace du papier, il change la rouille en or, la flaque en astre, la tache en révélation. Armé de fusains et de pigments dorés, arpenteur inlassable à la Kafka, il recouvre ses papiers d'un alphabet de formes et de lumières. Chaque trait y est à la fois des empreintes et un souffle, alors le geste du dessin contribue à réenchanter la recherche solitaire que l'on peut éprouver dans l'atelier. Dans un monde où les villes se transforment (Couturier était un lecteur de Calvino et de ses Villes invisibles, et de bien d'autres auteurs tels que Pasolini ou Walter Benjamin), où les zones périurbaines se réinventent, s'autodétruisent ou se réinventent selon les lois du capitalisme ; les scènes filmiques de Michel Couturier surgissent telles des mirages "familiers" : à la fois proches et inaccessibles, froides et hospitalières. Ou bien totalement anachroniques. Ses lampadaires urbains, caméras, panneaux, grues et poteaux érigent une faune métallique dans nos paysages sursaturés de débris industriels et de vacuité. Ils deviennent les figures totémiques d'un paysage en mutation, entre friche et utopie, veille et oubli. Ces fragments d'espaces provenant de diverses villes et pays — architectures disloquées, horizons traversés d'oiseaux en migration — résonnent comme une partition suspendue dans les films. Nous avons l'impression d'un monde perdu. Ainsi les images parfois filmées et retravaillées en négatif aux couleurs phosphorescentes très belles et propices à la rêverie qui circulent dans cet espace de la Centrale nous happent. Le spectateur éprouve une sensation étrange, celle d'une absence de métaphysique. Même si nous sommes transportés par son film : L'enlèvement de Proserpine, où figure ce lac en Sicile, nous avons le sentiment que quelque chose de la civilisation a disparu. Alors nous réactivons notre mémoire, nos images, nos sons, nos lieux arpentés, nos voyages, nos relations, nos réflexions sur l'état des choses et de la fragilité de l'expérience humaine. Entrez alors dans les constellations mentales de Michel Couturier. L'artiste explore les zones frontières du visible, à la croisée du réel et du poétique, révèle la beauté inquiète des "marges", là où la ville se défait et où les éléments naturels émergent à ciel ouvert. Le voyage en vaut la peine. Patrick Amine
Bruxelles, novembre 2025
Centrale For Contemporary Art, Bruxelles, 09.10.25 > 22.02.2026
Catalogue : La friche, la galaxie, 2025. Texts by Tania Nasielski, Pieter Vermeulen, Marion Zilio. French | Dutch | English Ed. La lettre volée, Brussels.
Michel Couturier, la friche la galaxie, Centrale, 2025
Michel Couturier, la friche la galaxie, Centrale, 2025 |