Max Ernst Aix 2023, exporevue, magazine, art vivant et actualité

La ville (très culturelle) d'Aix-en-Provence, s'est enrichie d'un Centre d'Art absolument remarquable en cédant au premier opérateur culturel privé français, "Culturespace" la restauration et la gestion d'un de ses plus beaux monuments du XVIIIe siècle, l'Hôtel de Caumont. Il avait précédemment été occupé par son Conservatoire de musique.

Depuis le 4 mai et jusqu'au 8 octobre 2023, l'Hôtel de Caumont-Centre d'art accueille en ses murs pour l'été une exposition digne d'une grande attention : Max Ernst, Mondes magiques, mondes libérés.

Né en 1891 à Brühl dans l'Empire Allemand, Maximilian Maria Ernst dit Max Ernst entreprend en 1909 des études de philosophie à l'université de Bonn. Assez rapidement il abandonne celles-ci pour se consacrer à l'art auquel l'a initié son père, et fréquente les membres du Blaue Reiter avec lesquels, dès 1913, il expose à Berlin. La même année il s'installe à Paris dans le quartier Montparnasse. La Première guerre mondiale déjoue la "trajectoire" qu'il s'était fixée. Il est enrôlé dans l'artillerie allemande et combat sur le front Russe puis en France. Après la Grande guerre, démobilisé à Cologne, il a vingt-huit ans et se rapproche tout d'abord du mouvement Dada puis, de retour à Paris, auprès d'André Breton et du groupe surréaliste. Tel un alchimiste, auquel il aime se comparer, il explore de nouveau médiums, de nouvelles techniques comme celle dite du "frottage" qui consiste, à l'aide d'une mine de plomb, à faire apparaitre sur le papier les traces de différents supports à texture en relief ; de l'"oscillation indirecte" (qui inspirera à Jackson Pollock sa technique du dripping) ; du "collage" pour lequel il utilise des manuels scientifiques et des catalogues illustrés ; de la "décalcomanie" ; du "grattage" d'un pigment appliqué sur la toile. En 1934, au contact d'Alberto Giacometti il se met à la sculpture. En 1937, il rencontre Leonora Carrington avec laquelle il part vivre à Saint-Martin-d'Ardèche. C'est l'une des premières conquêtes marquantes de ce grand séducteur. Suite à un différend avec André Breton, juste avant la seconde guerre mondiale, il quitte le groupe des artistes surréalistes. La guerre déclarée, il est arrêté comme "étranger ennemi" et interné au Camp des Milles sur la route de Marseille en périphérie du centre de la ville d'Aix. C'est de là que partiront en déportation pour Auschwitz de nombreux juifs. Mais, grâce au journaliste américain Varian Fry, il réussit à quitter la France. Avec sa nouvelle compagne, Peggy Guggenheim, il part aux États-Unis où il rejoint les nombreux artistes français qui s'y sont réfugiés. Là, il explore les cultures de ce nouveau continent, divorce de Peggy Guggenheim pour épouser Dorothéa Tanning et s'installe en Californie. En 1953 il revient en France et en 1964 après une vie d'errance trouve à Seillans un lieu de sérénité et de réflexion. Son travail devient plus coloré et il peint sur de grands formats. Et meurt à Paris en 1976.

Autodidacte mais néanmoins l'un des artistes les plus prolifiques du XXe siècle, siècle des avant-gardes, Max Ernst est pétri d'intelligence et d'érudition. Il est habité par une pulsion créatrice l'entrainant à d'incessantes recherches picturales qui lui font explorer de multiples techniques et des horizons sémantiques souvent obscurs pour un public non averti. Ses études l'ont marqué. En effet, son œuvre révèle tout à la fois une réflexion d'ordre philosophique, un intérêt certain pour la psychanalyse, la littérature, la poésie et les sciences ainsi qu'une bonne connaissance de l'histoire de l'art. C'est ce terreau, dans lequel l'œuvre de Max Ernst a pris ses racines, qu'a voulu mettre en exergue l'exposition Max Ernst, Monde magiques, mondes libérés.

Après avoir grimpé le monumental escalier de l'ancien hôtel particulier, en grande partie converti sur deux étages en lieu d'expositions temporaires - mais pas que -, nous débouchons sur une enfilade de salles qui par étapes nous font découvrir le monde original et créatif de Max Ernst, les images de ses univers fantasmagoriques et mystérieux souvent marquées des stigmates de ses souffrances.

Martina Mazzotta et Jürgen Pech, les commissaires de Max Ernst, Mondes magiques, mondes libérés ont voulu, dans une première section offrir à notre regard l'illustration des différentes techniques picturales qui donnent l'occasion à l'artiste de repousser les limites de la matière en inventant ou perfectionnant des techniques plastiques qui interrogent la tradition picturale qu'Ernst maîtrise parfaitement grâce à sa connaissance de l'histoire de l'art. Les collages, frottages, décalcomanies présentés nous donnent les clefs de lecture pour l'ensemble de l'œuvre montré dans les salles suivantes.

La suite de l'exposition explore un thème récurrent de l'histoire de l'art en général et du mouvement surréaliste en particulier, l'Éros. La magie du monde libre de ce thème omniprésent dans l'œuvre de Max Ernst et notamment la métamorphose que ses amours extraordinaires et amplement pluriels exercent sur lui et son travail débordant de sensualité, se révèlent dans ses créations. Les corps ici s'enlacent, se métamorphosent et parfois se transforment en d'étranges créatures ou de curieux oiseaux, symboles pour l'artiste de liberté et vecteurs de rêves.

Il nous est révélé ensuite dans la section nommée "Un philosophe qui joue" un Max Ernst ludique, trublion conscient de la part importante du jeu dans le processus créatif puisqu'il permet de se libérer de la moralité et de l'entrave de la raison. Les pièces du jeu d'échecs exposées à l'Hôtel Caumont sont dignes de figures magiques d'un culte au jeu. Elles appellent à l'admiration, au respect et à la dévotion.

La section suivante a quant à elle pour thème les multiples influences qui se perçoivent dans l'œuvre de Max Ernst : la littérature et la mythologie des différentes cultures rencontrées par lui au fil du temps. Artiste érudit, initié à la sculpture par Alberto Giacometti dont il fréquente l'atelier, voyageur invétéré né allemand, naturalisé américain après la guerre et français en 1958, il convoque dans son œuvre et ici dans ses sculptures les êtres qui peuplent les grands mythes du monde.

Notre attention est attirée ensuite sur un thème fréquent chez les surréalistes - artistes démiurges - la Création du monde. L'interprétation des quatre éléments : l'eau source de vie, fertile en potentialités élément dynamique et mobile évoquant un monde invisible ; la terre et ses paysage romantiques, ses forêts aux végétations luxuriantes ; l'air rempli d'oiseaux libres et poétiques symboles de la liberté, élément propice à l'inconscient, à l'apparition des rêves et de l'ailleurs ; le feu, enfin, comme élément destructeur, apocalyptique avec lequel Max Ernst paradoxalement par de savantes décalcomanies dévoile aussi sa passion pour l'alchimie.

"L'Art est une révolution", nom donné à cette dernière partie de l'exposition conclut ce parcours dans l'oeuvre de Max Ernst. Ici on comprend que l'artiste élimine progressivement les motifs reconnaissables de ses oeuvres et assimile les formes à un idéal d'harmonie. Après les couleurs sombres et pessimistes reflétant la violence et les traumatismes du début du XXe siècle, ce sont les couleurs et les formes exaltées qui prennent le dessus.

"Max Ernst nous fait entrer de plain-pied dans un monde où nous consentons à tout, où rien n'est incompréhensible" écrivait Pau Eluard en 1937.

Dès le 17 novembre et jusqu'au 24 mars 2024, Alphonse Mucha succèdera à Max Ernst sur les cimaises de l'Hotel de Caumont - Centre d'art.