Bernard Réquichot
Je n’ai jamais commencé à peindre, Centre Pompidou Paris
Bernard Réquichot
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Bernard Réquichot

Bernard Réquichot

Bernard Réquichot (1929-1961 - il se défenestre de son atelier à Paris) a exercé pendant moins d’une dizaine d’années, il était connu par les spécialistes, les collectionneurs et les écrivains de son époque. Roland Barthes avait écrit un texte mémorable sur son travail, Réquichot et son corps. Les critiques appréciaient ses Reliquaires (ces boîtes remplies de terre et d’ossements…). Il était passionné d’anatomie.

Réquichot a été l'un des protagonistes majeurs de la scène artistique parisienne des années 1950. Il se lie avec Jacques Villon, pendant un certain temps. Il fut un moment marqué par le dernier geste du surréalisme. Mais sa production s’inscrit dans le contexte de l’abstraction gestuelle. Peintre avant tout, Réquichot est l’auteur d’impressionnants collages, ses "papiers choisis", et ses dessins (Traces graphiques) sont d’une grande puissance plastique. Cette rétrospective, au parcours chronologique, présente un ensemble de plus de 60 œuvres, constitué du fonds du Centre Pompidou provenant des donations successives de Daniel Cordier, son galeriste et ami, augmenté de prêts de la Galerie Alain Margaron et de collectionneurs privés. Le Centre Pompidou avait déjà une œuvre en trois dimensions de 1957.

Dans ses œuvres où il mélange divers matériaux (cartons déchirés, revues, magazines, miroirs) aux huiles, on remarque qu’il fut inspiré par Michaux à ses débuts. Il accorde un grand intérêt à l’espace où ses œuvres doivent être montrées. Regardons par exemple cette œuvre ainsi nommée : Nekonk tanten tank mana (1959-1961), ce sont des anneaux de rideau en polystyrène collés sur bois enchassés, sous altuglas, polystyrène, bois, altuglas, armature en bois, pattes métalliques sur les côtés… Ses assemblages et ses proliférations peuvent évoquer les all over de Pollock. Il fut exposé à la galerie Lucien Durand, en 1955 (date de la première exposition et des premières boîtes-reliquaires, en 1961) et ensuite chez Daniel Cordier. L’artiste met en question la représentation – il n’y a jamais de figure. "Tout le débat tient peut-être dans les deux sens du mot représentation". Au sens courant, qui est celui dont relève l'œuvre classique, la représentation désigne une copie, une illusion, une figure analogique, un produit ressemblant (…)", comme le mentionne Barthes. Réquichot disait : "Penser que Van Gogh ou Kandinsky soit dépassé n'est pas grand-chose, ni désirer les dépasser : ce n'est là que dépassement historique des autres…" L’histoire de la peinture ne serait qu’une suite culturelle et toute suite participe d’une Histoire imaginaire, justifiait à sa manière Barthes. On pourrait dire que certains artistes sont des "accidents" dans l’histoire de la peinture. Ce sont des chaînons manquants qui parlent par leur style, par leur parcours atypique. Réquichot a beaucoup écrit (1). L’artiste se révèle d’une nature existentielle quelque peu inquiète. Il disait que ce qu’il faisait n’est pas fait pour être vu. On le perçoit dans certaines de ses œuvres, et notamment dans la matérialité des éléments et qu’il introduit dans sa peinture, ses collages et ses fausses écritures – une matière constitutive de son corps d’artiste. Obsessionnel de la spirale, le motif se retrouve dans les encres sur divers papiers rehaussées de gouache blanche. Ces formes spiralées se retrouvent dans ses écrits et sur des sculptures où s’agrègent des anneaux de polystyrène.

Le point de vue de Barthes, avec quelque égard, est éclairant, il écrivait : "la "peinture" la moins figurative représente toujours quelque chose : soit le langage lui-même (c'est, si l'on peut dire, la position de l'avant-garde canonique), soit le dedans du corps, le corps comme dedans, ou mieux : la jouissance : c'est ce que fait Réquichot (comme peintre de la jouissance, Réquichot est aujourd'hui singulier : démodé – car l'avant-garde n'est pas souvent jouisseuse." Ses Reliquaires constituent un des sommets de son œuvre. Il a réinventé les boîtes surréalistes, les réceptacles d’objets de toutes sortes : trouvés dans des décharges qu’il a aménagés à sa manière et recouvert d’agrégats de peintures ainsi que de ses rouleaux peints. Réquichot montrait peu son travail. Il a eu des soutiens d’intellectuels, d’écrivains et de Daniel Cordier ; et du galeriste Alain Margaron qui a montré cette œuvre à différentes reprises depuis de nombreuses années.

Réquichot disait : "Tout regard sur mes créations est une usurpation de ma pensée et de mon coeur… Ce que je fais n'est pas fait pour être vu… Vos appréciations et vos éloges me paraissent des intrus qui perturbent et malmènent la genèse, l'inquiétude, la perception délicate du mental où quelque chose germe et tente de croître…" L’originalité et la singularité de Réquichot est d'avoir mené son œuvre à la fois au plus haut et au plus bas : comme l'arcane de la jouissance et comme un modeste hobby qu'on ne montre pas, comme le soulignait Roland Barthes. Il faut aller voir cette exposition et découvrir un artiste qui reste encore peu connu et dont les œuvres "sensibles" exhalent une certaine intensité. A voir absolument !
Patrick Amine
Paris, juin 2024
Bernard Réquichot, "Je n'ai jamais commencé à peindre"
Centre Pompidou Paris, jusqu'au 2 septembre 2024
www.centrepompidou.fr

Notes :
Catalogue Bernard Réquichot, "Je n’ai jamais commencé à peindre». Sous la direction de Christian Briend Assisté de Manon Thibodot.
(1). Les Écrits de Bernard Réquichot, en préface, Lettre noire d’Alain Jouffroy, "Témoins et témoignages", Edition de La Connaissance, Bruxelles. 1973. Écrits divers. Journal, lettres, textes épars, Faustus, poèmes, 1951-1961, Les Presses du Réel, Dijon, 2002. Le texte de Roland Barthes date de 1973.

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