Auguste Herbin
Le maître révélé, Musée de Montmartre
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Auguste Herbin

Auguste Herbin, Paysage nocturne à Lille, 1901, huile sur toile
Courtesy Galerie Lahumière, Adagp Paris 2024

Au sommet ou presque de l'une des plus célèbres collines de Paris, autour d'un paisible écrin de verdure, "Le Musée de Montmartre" présente au fond d'un premier jardin dans une charmante gentilhommière du XVIIe ses collections permanentes et, passé un petit muret, dans une autre bâtisse bordant la rue, des expositions temporaires de grande qualité. Depuis le 15 mars et jusqu'au 15 septembre 2024, ce petit musée consacre une exposition rétrospective à Auguste Herbin (1882-1960), peintre aujourd'hui mal (re)connu qui, en 1909 et pendant près de vingt ans, a vécu au Bateau-Lavoir (tout proche du musée) dans un atelier où il succède à Picasso. Montmartre et Montparnasse sont alors les foyers actifs de Paris, la capitale mondiale des avant-gardes.

C'est la première fois, dans cette ville où Herbin s'est épanoui sur le plan artistique, qu'un musée lui offre ses cimaises. L'évènement démontre que ce talentueux plasticien relativement ignoré, souvent incompris et même parfois en son temps injurié, a profondément marqué de son empreinte le XXe siècle en prenant une part active à tous les courants d'avant-garde. Pour des raisons qui vont bien au-delà de la célébration, des années montmartroises d'Auguste Herbin, cette exposition se révèle être une évidence. Elle donne à voir, dans un parcours chronologique au travers d'œuvres, pour la plupart peu connues, toute l'histoire de la peinture de la première moitié du XXe siècle ; une production personnelle de l'artiste qui va de la fin de l'académisme, jusqu'à l'abstraction. En point d'orgue, elle révèle son ultime et très personnel travail de recherche, un "alphabet plastique" qu'il aurait voulu universel.

Auguste Herbin retrouve enfin à Montmartre, sa juste place dans l'histoire de l'art moderne. Nous nous devons de (re)découvrir l'artiste et son œuvre de tout premier plan.

La vocation précoce du jeune Herbin qui, dès l'âge de 14 ans, suit les cours dispensés par l'école municipale de dessin créée dans la commune de Cateau-Cambrésis (1), est évoquée dans la première salle du musée. Après quatre ans d'études ou, élève doué, Auguste remporte plusieurs prix puis une bourse d'étude qui lui permet d'intégrer l'Ecole des Beaux-Arts de Lille, son travail témoigne déjà d'un grand savoir-faire. Un séjour à Bruges, lors d'un voyage d'étude il fait découvrir la peinture impressionniste. Son attrait pour elle l'éloigne de la peinture académique et de son professeur des Beaux-Arts, Pharaon De Winter (1849-1924). Paysage nocturne à Lille réalisé en 1901 illustre ses recherches stylistiques de l'époque. La touche est délicate et multiple, l'harmonie colorée subtile mais néanmoins violente, la composition équilibrée s'organise autour d'un axe horizontal interrompu par des lignes verticales sombres figurant des troncs d'arbres et les silhouettes de trois personnages modelés grâce à une touche de couleur rouge vif. Dès lors, Herbin envisage de quitter Lille pour Paris.

Dans la capitale mondiale de l'art, Herbin, déjà en 1905, compte parmi les premiers peintres fauves. Assez vite il est remarqué par les plus grands marchands de l'époque et participe à toutes les expositions françaises et européennes qui forgent l'histoire des avant-gardes artistiques. Il est aussi présent dans les collections les plus prestigieuses du XXe siècle naissant. Celles par exemple des Allemands Wilhelm Uhde(2) et Henry Simms, des Russes Sergueï Chtchoukine et Ivan Morozov. Plus encore que l'impressionnisme et le fauvisme, le cubisme (qui n'aura cette appellation qu'en 1929)(3) bouscule en ce début de siècle la pratique picturale traditionnelle. Sans pourtant fréquenter les porte-drapeaux de cette nouvelle esthétique, c'est sous leur influence qu'en 1908, avec des œuvres cubistes qu'Herbin se distingue au Salon des Indépendants. Sa carrière, déjà internationale en 1913, le fait remarquer par la critique française et étrangère. A partir de 1917 Herbin s'engage dans une voie qu'il sera seul à suivre, celle d'une peinture murale parfois traitée en relief par pans polychromes. Pourtant, ses reliefs et objets monumentaux des années vingt sont en France quelque peu boudés mais, nonobstant, ils l'inscrivent sur le plan international dans le courant constructiviste et néo-plastique. En 1936 son travail est présent dans l'iconique catalogue de l'exposition "Cubism and abstract art" du tout nouveau Musée d'art moderne de New York (MoMA). La guerre marque une sorte de césure dans le monde de l'art. Les nombreuses tendances issues du cubisme initial favorisent aussi l'éclatement de celui-ci. En quelques années les femmes et les hommes ont changé et l'art avec eux. De nombreux artistes amorcent un retour à la figure et renient leurs pratiques antérieures. En 1927, après une volte-face vers le réalisme, que d'aucuns qualifieront de "Retour à l'ordre", après des oscillations entre figuration et abstraction, Herbin abandonne l'univers de la peinture figurative. Il devient dans la France des années folles, celle de l'entre-deux-guerres, l'instigateur d'une abstraction épurée, empreinte d'humanité et de plus en plus géométrique. Dans ses oeuvres, la prophétie de Flaubert se concrétise : "Les couleurs chantent, mais la mathématique y est présente comme dans les oeuvres musicales les plus claires et les plus limpides telles que l'Art de la fugue et le Clavecin bien tempéré". Autour de 1930, à la suite de l'adhésion de nombreux artistes français, Paris devient la capitale internationale du mouvement cubiste. Deux groupes se distinguent alors : "Cercle et Carré" sous la direction du peintre et critique d'art Michel Seuphor (1901-1999), puis "Abstraction-Création" sous celle de l'artiste belge Georges Vantongerloo (1886-1965) et d'Auguste Herbin. Tous étaient persuadés que l'art, après les épreuves de la "Grande Guerre" et les années troubles qui lui succédèrent, ne pouvait plus se cantonner à des idéaux esthétiques et devait dépasser l'individuel, l'arbitraire et contribuer à guider le monde vers une nouvelle humanité. Cet organisateur infatigable des "Réalités nouvelles" élabore tout un système pictural fondé sur la théorie des couleurs de Goethe. Puis, en 1943, dans Paris occupé, sa quête incessante d'une nouvelle expression picturale l'entraine, à l'instar des artistes du Bauhaus, vers la recherche d'un alphabet plastique, une forme d'espéranto visuel. "[Sa] peinture atteint paradoxalement une liberté, une créativité, une expressivité absolues."(4) Il définit un système de correspondances entre des formes géométriques, des couleurs, les lettres de l'alphabet et les notes de musique. Son influence est grandissante dans le microcosme des plasticiens. Denise René, son marchand, le place à l'égal de Mondrian et de Malevitch. Entre temps, est fondé à Paris le Salon des Réalités Nouvelles dont il sera le grand ordonnateur. Dans le monde occidental, les artistes qui deviendront les plus représentatifs de l'abstraction géométrique et de l'Op Art le prendront pour maître.

Eté 2 est, selon Céline Berniche (5), la toile qui dans l'exposition est "la synthèse des synthèses" de l'œuvre d'Herbin qui tire [avec ce travail] le plus grand potentiel des couleurs et des formes.
En quoi, l'œuvre d'Herbin est-elle un florilège de l'art d'une bonne partie du XXe siècle ? Le parcours de l'exposition propose aux visiteurs une réponse à cette question.
Philippe Albou
Paris, mai 2024
Auguste Herbin, Le maître révélé, jusqu'au 15 septembre 2024
Musée de Montmartre jardin Renoir, 12 Rue Corot, 75018 Paris
museedemontmartre.fr


Notes :
1) Département du Nord en région Haut-de-France.
2) En 1921, la vente forcée de la collection Wilhem Uhde à Paris, ses tableaux sont adjugés au même prix que ceux de Braque.
3) In "Le rouge et le noir", cahier spécial des arts, Paris, juin-juillet 1929.
4) Mario Choueiry, commissaire (avec Céline Berniche) de l'exposition, historien de l'art, enseignant, chargé de mission à l'institut du monde arabe.
5) Céline Berniche, commissaire, Docteur en histoire de l'art moderne contemporain, critique d'art.


Auguste Herbin

Auguste Herbin affiche MDM

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