Gérard Zlotykamien
Galerie Mathgoth
Gérard Zlotykamien
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Gérard Zlotykamien

Gérard Zlotykamien

 
 
 
 
Éphémères


Cette exposition sera pour beaucoup l'occasion de découvrir l'art de Gérard Zlotykamien. Ceux qui le connaissent déjà découvriront avec émotion une nouvelle dimension de sa création. L'artiste est considéré comme l'inventeur, ou comme le plus ancien artisan, de cet art sauvage de l'espace urbain, appelé Street Art depuis sa mondialisation.

Dans toutes les villes de la planète, des murs entiers sont habillés de graffitis, tags et autres pochoirs aux couleurs souvent éclatantes, parfois rehaussées de cernes fluo, aux images provoquantes, accompagnées ou non de textes rageurs. Certains sont signés, d'autres pas. Né sous les poussées de la contre-culture, cet art s'est vu octroyer ses lettres de noblesse dans le livre de Norman Mailer, The Faith of Graffiti (1). Or, beaucoup de ses amateurs, comme de ses détracteurs, l'ignorent : ce mouvement n'est pas né à New York, mais à Paris, dans les années 1960-70.

Paris, à cette époque, était la proie des rapaces de l'immobilier, qui spéculaient en toute impunité. On détruisait à tour de bras des maisons anciennes pour dresser à leur place de hideux immeubles-clapiers. Jeune peintre, Gérard Zlotykamien est sensible à la détresse de ces maisons démolies par cette sorte de guerre civile. Il sent les résidus de vie restés accrochés à ces murs décharnés, à ces fenêtres ouvertes sur le vide, à ces crépis et ces lambeaux livrés aux intempéries. C'est sur eux qu'il dessine ses premiers visages : deux orbites et une bouche ouverte, dans une figure ronde. C'est peu, mais c'est beaucoup. Ils sont une présence dans un chaos déshumanisé. Ils prennent le passant à témoin. Un artiste, volontairement anonyme, s'adresse aux passants anonymes pour les mettre face à face avec le destin de leur ville.


témoin des bouleversements urbains


De 1971 à 1979, un trou de la taille d'un cratère de volcan, resta béant au centre de Paris. Ce trou des Halles était entouré d'une immense palissade de planches. Un jour, un visage narquois y apparut, puis un autre. Bientôt ils furent légion, tracés d'une main infaillible à la bombe à peinture. Obsédante multiplication du même témoin, inquiet, inquiétant, fantomatique. Gérard Zlotykamien était entré en campagne. Mai 1968 n'était pas loin, les murs avaient encore la parole. Or, ce nouveau langage d'images, par essence non verbal, était directement greffé sur le lieu de sa signification. Il suscita des vocations. Il eut des émules, des imitateurs et aussi des créateurs. Un nouvel art pariétal était né. La plupart de ses historiens s'accordent sur le rôle de précurseur de Gérard Zlotykamien (2).

Son art se veut éphémère. Pour lui, il n'y a pas de raison qu'une œuvre dure plus longtemps qu'une vie humaine. Les peintures murales s'effacent avec le temps, les murs eux-mêmes s'effritent, des quartiers entiers disparaissent. L'art accompagne la fragilité du monde. Mais il y a une raison plus fondamentale à ce choix. L'artiste a souffert, lui et sa famille, des crimes de la deuxième guerre mondiale. Il fait sienne cette interrogation formulée par Theodor Adorno : peut-on encore faire de l'art après Auschwitz et Hiroshima ? C'est l'art lui-même qui est mis en question. Zlotykamien refuse l'organisation marchande et les oripeaux de la culture dominante. Son art s'exercera dans l'espace public. Il aime dire : on travaille toujours pour quelqu'un qu'on ne connaît pas.


un anonyme s'adresse aux anonymes


Pendant quatre décennies ses interventions éphémères sont caractérisées par un sens aigu de la scénographie urbaine. Son personnage inquiétant se place en des points stratégiques. Il est présent sur des murs mis à nu, au cœur de chantiers bardés d'échafaudages et de terrains en friche. Il attire le regard sur cette réalité provisoire qui ronge la ville de l'intérieur, comme le travail du temps.

Aujourd'hui, l'art des rues a conquis la reconnaissance culturelle. La jeune tribu bénéficie d'un matériel performant, de réseaux de communication, d'espaces réservés et de commandes privées ou publiques. Elle a forcé l'entrée des musées et des salles de vente. Nés dans la rue, l'exposition de la Fondation Cartier, (2009), en présentait un panorama planétaire. Parmi les dix artistes invités il y avait Gérard Zlotykamien. Certes, il ne refuse pas les invitations, mais il ne les sollicite pas. Il reste un solitaire. Il médite, il prépare chaque création longtemps à l'avance.


transformés et tourneboulés


Invité aujourd'hui par la galerie Mathgoth, il présente des œuvres d'une beauté poignante. Des grands formats peints à l'acrylique ou à l'aérosol sur les supports de récupération qui lui sont chers, tapis de tatami et feutres chaleureux. Les visages qui ont animé les murs de la ville pendant tant de décennies sont de retour. Mais, qu'ils ont changé ! C'est comme si, après un long séjour dans un monde périlleux, ils revenaient vers leur créateur pour lui faire part de leur expérience. Ils évoquent ces deux philosophes antiques : l'un pleure et l'autre rit du spectacle du monde. Ils sont tourneboulés, altérés, non par une grimace, mais par une rhétorique faciale de qui ne trouve pas les mots pour dire son émotion. Des arabesques filamentaires, coulées ou giclées, les entourent comme des costumes pour un rôle qu'ils n'arrivent pas à jouer. Pourtant leur présence a quelque chose de consolant. Ils ont survécu à toutes les convulsions possibles.

Gérard Zlotykamien a préparé une autre surprise : des sculptures sur bois qui semblent avoir été enfantées par un échafaudage. Sur la verticalité d'une poutre en chêne est fichée, comme sur un socle, une tranche de tronc d'arbre qui est devenue à son tour visage. Et ce visage n'a presque pas besoin d'être remanié, il était déjà présent dans l'arbre. Cela ne doit rien au hasard. "L'homme, comme l'arbre, est un être où des forces confuses viennent se tenir debout. (3)" La communauté de destin de l'arbre et de l'homme fait préexister la figure humaine dans le tronc d'arbre. Il suffit de quelques retouches — taches, cernes ou coupures — pour rehausser le caractère individuel de celui-ci comme de celui-là. Mais ces Éphémères sont faits de bois mort, à l'image de notre civilisation urbaine mortifère. L'artiste nous rappelle, une fois de plus, que de ces survivants d'un désastre peut naître une beauté nouvelle.
 
Michel Ellenberger
Paris, octobre 2012
 
 
Galerie Mathgoth, 103 rue Saint-Maur, 75011 Paris, jusqu'au 25 octobre 2012,
www.mathgoth.com - tél. : +33 6 63 01 41 50


Notes :
(1) Norman Mailer, The Faith of Graffiti, New York, Praeger Publishers, 1974.
(2) Par exemple, Stéphane Lemoine et Julien Terral, In Situ, Alternatives, 2005, pp. 19 et 157. Denys Riout, Dominique Gurdjian et Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, Alternatives, 1985, pp.130.
(3) Gaston Bachelard, L'Air et les songes, José Corti, 1943, p. 237.

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