Wim DelvoyeEntretien avec Victoire Disderot
Wim Delvoye, étuit pour diable, 2005
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L'ouverture du Musée Magritte le 2 juin à Bruxelles offre une nouvelle occasion de se pencher sur la fortune critique du peintre belge dans l'art contemporain. A la faveur de cet événement, nous publions ici un entretien accordé en 2007 par l'artiste Wim Delvoye qui parle de ses rapports à l'héritage magrittien.
Victoire Disderot : Après une discussion entamée en mars 2007 à Paris à l'occasion de son exposition à la Galerie Emmanuel Perrotin, l'artiste poursuit son propos sur la façon dont il a rencontré l'œuvre de René Magritte. Il n'a véritablement fait connaissance avec le peintre et ses travaux qu'en rentrant à l'Académie. Pas de rencontre précoce, ou d'apprentissage familial.
Wim Delvoye : J'avais beaucoup d'informations sur l'école de Latem, qui était l'expressionnisme flamand des années vingt et trente, et c'est vrai, Magritte, je connaissais un peu : "Ah, oui, j'ai vu une carte postale avec une pomme, une pomme et un masque,ah, ça c'est un artiste…". Tu sais, ça existait un petit peu comme carte postale et j'en avais une idée vague, aucune idée en fait. Magritte, je devais vraiment l'apprendre à l'école… V. D. : C'est assez inattendu… Mais alors que vous a t-on transmis sur Magritte, à l'école ? Ou qu'est-ce que vous avez appris par vous-même ? W. D. : Ce que j'ai appris de Magritte, c'était plutôt…. Ce qui est important, ce n'est pas ce qui est "Magritte", oui, c'est important, mais ce qui était plus important pour moi c'était comment Magritte était différent des autres. Les autres parlaient de leurs rêves, ou la plupart peignaient de manière plus intéressante, plus picturale. Comme Ernst qui était plus pictural. C'était aussi un tableau, mais un beau tableau. Ce que j'avais appris aussi de Magritte, c'était sa façon de montrer l'idée avec une ligne claire, avec les couleurs justes, pas avec des matières. Pas peindre avec l'estomac mais comme un illustrateur. Euh, ce côté illustratif. On nous disait même à l'école que Magritte n'était pas assez bien. Déjà j'étais plus informé sur l'expressionisme flamand, et deuxièmement, quand on commençait à voir Magritte, immédiatement il y avait des professeurs qui nous expliquaient que ce n'était pas de l'art très intéressant parce que ce n'était pas un grand peintre, ce n'était pas un peintre. Et peintre, un grand peintre, ça veut dire quelqu'un qui montre les qualités intrinsèques de la peinture, comment la peinture est appliquée sur un support, et toutes ses qualités intrinsèques, comme le pinceau ,comme l'écriture, la main… Ernst était vu comme un surréaliste plus valable. En même temps j'ai vu la transition, le changement, Magritte commençait à devenir plus populaire. Quand je commençais à exposer Magritte était déjà plus célébré dans le Nord, , et aucun critique d'art ne pouvait écrire sur moi sans parler de Broodthaers et de Magritte. Mais ça c'était après l'école. Après l'école, dans des situations hors de l'école comme les expos. V. D. : Et qui vous a le plus intéressé, l'homme de l'image efficace ou le "peintre des idées" ? W. D. : J'aimais bien, oui, à cette époque j'aimais bien, réagir contre la peinture. Mais il y avait aussi un jeune artiste à cette époque, il est vieux maintenant, il est un peu plus âgé que moi, de huit ans, c'était Robs "Srolte", et lui, il a choqué tout le monde en peignant de manière très sèche, très illustrative, c'était presque comme si tout le monde pouvait faire comme lui, c'était aussi comment il expliquait le travail ; et lui il était hollandais, il vient de ce pays de Mondrian, Mondrian et Magritte, les deux étaient très secs, deux façons de peindre en costume. Dans les années quatre-vingt, personne ne pouvait imaginer un Magritte ou un Mondrian parce que tout le monde était expressionniste, et pour moi ce n'était pas les peintures, pas les œuvres vraiment, mais c'était d'avoir, d'entendre de quelqu'un, avoir l'information, qui pouvait légitimer mes intérêts dans cette aventure. C'est peindre, euh, sans peindre, tu vois. V. D. : C'est faire de l'image sans faire de la peinture ? W. D. : Oui, faire de l'image. Voilà, c'est ça. Magritte ne peignait pas, mais il faisait des images que tout le monde pouvait garder sur sa rétine. C'était comme ça : "Un fois tu l'as vu tu n'oublies jamais.". Et il était aussi, il avait, c'est comme un pianiste, il a… C'et quoi tous ces blocs de piano… cette pièce du piano ? C'est comme dans un piano, tu as comme cinquante ou soixante, je ne sais pas…des notes. Mais chacune a son son, tu fais de la musique avec toutes ces choses mais tu te répètes toujours entre toutes ces choses, toutes les notes-la plupart des notes- reviennent. Mais c'est la combinaison de toutes ces choses, c'est ça qui est beau. C'est un peu comme Bach, aussi, des mélodies, elles bougent mais restent la même chose. Elles bougent ( il chante) , tu vois, et il va répéter mais toujours il va bouger, il va faire une petite variation. Et Magritte, c'est incroyable comme il enregistre des images et ce sont toujours les mêmes images qu'il combine : une pomme, un chapeau, un monsieur un peu des années vingt, trente, comme ça, et ce sont tous des objets qui ne participaient pas vraiment à un discours, euh, intellectuel, c'était des objets très banals. Comme un peigne, une pomme, une table. Et pour ça, aussi, Magritte ne datait pas. Je trouvais ça très très frais. Et quand je regardais Max Ernst, c'était vieux, c'était vieux, c'était comme Permeke - les couleurs étaient presque comme Permecke- et Permeke, c'était aussi vieux, ça devenait vieux quand j'étais très très jeune artiste. Tout à coup je voyais : Permece est vieux, et Magritte était frais. Mmmm…. Aussi, j'adorais cette stratégie, la ligne claire, qui est aussi Hergé. Ce n'était pas seulement Magritte, ce n'est pas pas comme si je disais "Ah, merci Magritte" ! Non non non. C'était, cette époque là, c'était Hitchcock, c'était Magritte et c'était Hergé. Tous la même époque. Et, les trois ont travaillé avec une ligne claire ; Hergé avait l'école de la ligne claire, lui disait aux autres : "tu dois économiser les lignes, et toutes les lignes doivent être sur le même plan, tout est comme cloisonné, et beau et sec, totalement sec.". Hergé a refait le même album trois, quatre fois. Mais il a changé la couleur, il était perfectionniste. Et j'adore ça, quelqu'un avec vingt-neuf albums, et qui est perfectionniste… Trente neuf albums, je ne sais pas, mais très peu d'albums, et toujours il a perfectionné ses pièces. V. D. : Il y a une économie de moyens, mais en même temps ce doit être techniquement parfait, jusqu'au bout ? W. D. : Oui, c'est ça, jusqu'au bout. Et j'adore ça en Magritte aussi. Magritte était juste jusqu'au bout, enfin, surtout les tableaux des années cinquante, une période moins intéressante, il est devenu pastel et commercial et il commençait à avoir du succès dans les Etats-Unis. Et il a repeint toutes ses œuvres, et juste, quoi. Tout en pastel, tout agréable à regarder. V. D. : Et ça, ça vous a intéressé ? W. D. : Ah, oui, ça m'a intéressé immédiatement. J'ai entendu dire : "Oui, mais, ils sont moins bien". Ok, ok… mais ça, c'est quoi ça ? Beaucoup d' années j'ai peint des bonbonnes à gaz, et je pensais toujours à Magritte, non, à Hergé surtout, Hergé, Hitchcok et comment ils faisaient très peu d'œuvres, mais justes, quoi…. J.H. : D'accord. D'où votre souci de la variation ? La variation à l'infini de quelque chose qui a priori peut être standardisé, mais qui va toujours se transformer, pour toujours être meilleur finalement ? W. D. : Oui, oui, c'était toujours essayer de… J'arrête si je suis arrivé ! S'il n'y a plus de recherche à faire j'arrête. V. D. : Alors justement, dans ces recherches, s'agit-il plutôt de chercher des solutions, de travailler la cosa mentale, ou l'inspiration vient-elle autrement, par exemple, par la force d'une image ? W. D. : C'est plutôt comme tu penses… Ok, je ne fais aucune différence, je ne pense pas chaque jour à l'art, je m'occupe toujours avec le monde visuel, quoi. Tout ce qui est visuel, tout ce qui est dessiné, tout ce qui est photographié, tout ce qui a une image… Oh, ça m'excite, depuis ma naissance, disons. Et ma maman me disait aussi que mes premiers mots, c'était des noms de couleur : "rouge", "bleu". C'était pas "voiture". C'est facile à dire, en flamand, "tut-tut" ou "auto", un truc comme ça. Et "rouge" est arrivé plus vite que voiture. Bon, et ça peut être des posters, ça peut être des bandes dessinées. Aucun doute, je suis obsédé de ça. Et peut-être, j'ai toujours refusé un petit peu de, oui… Je n'ai pas mis en priorité l'art comme plus important. Même quand j'avais vingt-cinq ans et des idées très romantiques sur l'art, je disais aussi chaque jour "Tient c'est pas mal ça", mais ce n'était pas de l'art. ça peut être une peinture sur un étalage, ou ça peut être un étalage, un bel étalage, ça peut être une nouvelle voiture, mais ça peut être surtout une petite image sur un sac en papier, pour mettre le pain dedans. Je me dis "ah tiens…" Le Pop art, je crois que ce sont des intellectuels qui s'amusent avec le trivialité du monde. Quand je pense à moi-même, je vois un garçon trivial, un art trivial, des parents trivials (sic), qui dit "mais écoute, je suis pas un artiste, mais je vais essayer. Je vais essayer, en tout cas je vais essayer". C'est un petit peu ça. Dans le Pop cette passion pour la trivialité c'est peut-être avec plus d'ironie. Moi j'ai toujours dit, oui il y a de l'ironie dedans. Est-ce que Magritte était ironique ? Très peu. Mais il ne faisait pas ses rêves. V. D. : Et vous non plus… W. D. : Oui, moi non plus. Lui n'a jamais dit : "Ecoute, j'ai rêvé, euh, de la pluie, mais la pluie ce sont des gens anonymes avec un chapeau" Lui n'a jamais rêvé ça, il n'a jamais dit qu'il avait rêvé ça. Peut-être qu'il a dit ça à des bourgeoises pour vendre une pièce, à des femmes nulles, mais je ne pense pas. Je peux imaginer dans l'atelier, dans l'angoisse pour vendre, alors que les gens sont tellement nuls : "Ah Magritte tu as rêvé ça"- "Oui madame, va-t'en , achète le tableau", mais je n'ai jamais lu ça. Il a été toujours clair qu' il a composé des images fortes, des icônes, mais il n'était jamais pété, il ne buvait pas trop d'alcool quand il faisait ça, tu vois…Oui, moi j'adore ça, mais je commence pas à rêver tout d'un coup. V. D. : Vous avez dit que l'idée était une image, mais le contraire peut être vrai aussi ? W. D. : Voilà. Et les autres surréalistes , comme prototype Henri Michaux, disons, qui a fait comme ça, avec beaucoup de drogues, il a fait de écriture automatique. Beaucoup de gens ont parlé de l'écriture automatique, ils ont fait des travaux ensemble, par exemple Breton et Max Ernst et tout le reste, ils ont fait des frottages, ou ils ont fait des accidents, ou de l'écriture automatique, ou ils ont utilisé des drogues, ou ils ont rêvé, ou ils ont imaginé quelque chose, ou ils ont posé comme des fous, ils ont, comme Dali, crée un personnalité totalement folle. Alors ça ce sont tous des surréalistes totalement… rien à voir avec Magritte. C'est ça qui est spécial avec Magritte. Magritte n'a rien à voir avec l'autre, que je déteste - heureusement j'ai entendu de quelqu'un, un connaisseur de Magritte, "C'est bien ce que tu dit, mais tu sais, euh, Magritte le détestait aussi". C'est un autre, là, Delvaux. Il a commencé très très tard, dans les années quarante. Magritte a commencé dans les années vingt quelquechose comme vingt-cinq ou vingt-six, bon. Un peu tard, un peu tardif. Comme surréaliste, il ne pouvait pas devenir le surréaliste le plus connu. Et tout à coup Breton a dit à sa femme-elle avait une croix, ou un truc comme ça- "Ah non nous sommes des révolutionnaires, pas une croix ici". Et c'était la fin pour Magritte, il n'était plus invité dans des vernissages ou des fêtes. Déjà, il était comme Peter Best, tu vois, le Beatle qui était un peu plus beau que les autres, mais en même temps un peu, bon… il avait une copine, il ne couchait pas avec mille copines, il disait "John, Les Beatles, je crois que ça n'existe pas". C'était comme Magritte, il était déjà un peu tard, après les premières expos du surréalisme, il était déjà marginalisé. Et heureusement parce qu'il était vraiment dans un chemin , un parcours, qui n'était intéressant que dans les années soixante. Parce qu' après le surréalisme c'était immédiatement tout ce que les autres ont crée : l'écriture automatique devenait "abstract expressionism", et tout ça, école de Paris, Klein, de Kooning, Pollock, tout ça….Le surréalisme avait crée tout ça dans les années cinquante. L'existentialisme et tout ça, Magritte n'avait rien à voir avec ça et il a fallu attendre jusque… Ok, aussi les années 50. Parce qu'à la fin des années cinquante, Jasper Johns a acheté des tableaux, je pense qu'Andy Warhol avait déjà acheté un ou deux tableaux, je pense que Rauschenberg avait un tableau. J'ai lu pas mal de choses-je ne savais pas ça quand j'étais étudiant ; toi tu fais des études et tu sais tout ça mais moi- comme ça, j'étais invité à Ostende pour un hommage à Magritte. Et j'ai lu qu' il y a tellement d'artistes Pop qui ont acheté des Magritte, j'ai cet article quelque part, il y a quelqu'un qui a fait cette recherche, c'est intéressant. Alors Magritte nétait pas un malheureux dans les années cinquante mais en même temps, il devait patienter. Ça m'a donné beaucoup de courage aussi, quand je commençais. Les gens disaient "Oh c'est comme Jeff Koons", "Ouh, c'est comme Neo-Geo", "Oh, c'est comme Allan Mc Collum", "Ouh, c'est comme Magritte, Ouh, c'est comme Broodthaers", "Ouh, c'est comme ça et ça"… Les sept premières années, ou presque les premiers dix ans, les gens ne disaient pas "Oh, c'est comme Wim Delvoye". Maintenant les gens disent de Wim Delvoye : "C'est comme Wim Delvoye". Mais les Belges n' ont pas tellement de courage, eux, ils ne peuvent pas imaginer beaucoup de choses dans leur pays. Alors les Belges vont toujours écrire : "Magritte, Broodthaers et les jeunes". Et ce que je pouvais gagner, durant ces dix années, c'était qu'ils faisaient la ligne "Magritte-Broodthaers-les jeunes-moi" ou "les jeunes sauf moi", tu vois un peu comme si c'était moi qui avait hérité de ces choses. C'est la seule chose que je pouvais gagner dans les premiers dix ans. Mais en même temps je n'ai jamais essayé de faire du Magritte. Je me défendais toujours en disant que Magritte coupait les objets en deux. Et moi je n'aimais pas ça. Lui il faisait une sorte de surréalisme très archaîque, un peu comme les sirènes, les mythologies grecques, les mythologies romaines… et beaucoup d'autres monstres mythologiques, d'un temps très très ancien. C'était un centaure, une sirène, c'était tout mi animal-mi humain.. Ça m'intéressait aussi. Pour moi quand je regardais Magritte, même comme jeune artiste, bon, c'était toujours : "C'est rigolo ça, il a même fait les sirènes, il a même compris ça, il a même fait le sirène de l'autre sens", et j'adorais ça, c'était un de mes tableau préféré. Celui-là et le train, la cheminée et le train. Le train c'était une autre chose, et c'est une autre stratégie. Le train c'était surtout le réalisme total, le miroir… oh, le train qui sortait de la cheminée, mais aussi le type qui regardait dans le miroir, ça c'était formidable. Mais une autre stratégie était la "stratégie sirène" Et je n'aimais pas la "stratégie sirène". En fait, je ne me rappelle pas vraiment, mais je n'ai jamais fait une œuvre "Magritte-Sirène". Tu vois parce que Magritte, c'est trois, quatre choses, ou six choses, mais il y a une grande section dans le monde Magritte qui est la "stratégie sirène" : il va faire une carotte et de l'autre côté c'est une bouteille de vin… V. D. : Donc la métamorphose, si on peut l'appeler comme ça, n'est pas la stratégie première qui vous aurait intéressé chez luir ? W. D. : J'adore le métamorphose, mais je cherchais à faire la métamorphose sans couper les objets en deux. Alors je prenais une bonbonne à gaz totale, entière- "Elle est là, bien là, elle a même doublé ; cet être bonbonne à gaz est même devenu plus bonbonne à gaz grâce à la porcelaine fragile", tu vois ? V. D. : La coexistence des deux en même temps au lien de mettre une moitié et uneautre moitié ensemble ? W. D. : Oui, le but de football, il est là, je n'ai pas à remplacer le but de football, à couper le but et de l'autre côté il y a un vitrail, "ah ah ah "(ironique). Non, non, non, ça c'est Magritte. Rien à voir avec Magritte, sauf avec la bouteille qu'il a peinte avec une femme au-dessus, mais ça c'est un peu nul. Peindre des bouteilles c'est un peu nul. Et je ne connaissais pas ça, c'est vraiment plus tard que j'ai vu ça. Parce que je pense que tout le monde a un peu honte de ça ; les reproductions étaient très très rares. Et c'est aussi un peu formel de penser : bouteille-bouteille de gaz. Pour le but de football, tu as le but de football, 100% but de football , tu as 100% vitraux et le 100% but football est presque devenu 200% but football parce que… c'est tellement but de football avec le contraste que tu as joué, grâce au vitrail. Et le vitrail, jamais un vitrail n'a été si fragile, grâce au but de football. Magritte n'a jamais découvert une stratégie comme ça. Il n'a jamais utilisé une stratégie comme ça, il a utilisé la stratégie qui était déjà ancienne, gréco-romaine, disons : c'est de mettre des ailes sur une pierre. Euh, c'est poétique, c'est beau, mais il y a beaucoup de poésie dans les objets triviaux, dans la trivialité. Tu vois, à la même époque, Charlie Chaplin prenait deux fourchettes et deux petits pains, et il faisait une danseuse. Ah, tu vois, tu n'as pas besoin de Magritte… Peut-être tu as besoin d'être Belge un petit peu… Mais ça, Magritte est un élément. L'entarteur de Liège, il n' a pas besoin de Magritte. C'est très très important, Magritte est aussi un Belge. On est tous des enfants, et tout d'un coup il y a des hagiographes pour l'art belge. Et il faut un art belge. Pour qu'il y ait une légitimité pour vendre, tu vois. Et à la fin des années quatre-vingt, ils ont pris Magritte pour vendre l'art belge, pour lancer l'art belge. Local un peu, mais aussi en France, en Suisse, en Allemagne. Mes premières expos de groupe je me disais "Ouaw, j'ai eu beaucoup de chance" : "La Belgique, une nouvelle génération" à Clisson, en 1990. Je pouvais pas espérer tellement d' expositions, sans effort, parce que j'exposais déjà depuis deux ans, un peu comme ça, un peu nul… et tout à coup, tout le monde devenait excité de l'art belge. Et Magritte a aussi profité de ça, hein. Tout à coup, Magritte est devenu plus important que Permecke, et pour tout le monde, pas seulement pour moi. Tu vois, beaucoup de Flamands devaient changer, à cette époque. Ils s'étaient agrandis avec l'expressionnisme du Nord, et tout à coup il y avait en même temps des choses supérieures, mais c'était plutôt dans le Sud. V. D. : Mais au final, la référence de Magritte, n'est elle-pas quand même moins lourde que par exemple, celle de Marcel Duchamp ? W. D. : Ah, ah. Euh, j'ai fait beaucoup d'efforts pour lire Foucault, et ce qu'il a dit de Magritte. Et beaucoup de lectures sur Magritte sont contaminées par Foucault. Mais moi j'ai du mal à devenir enthousiaste de ça, "Ceci n'est pas une pipe"… J'ai du mal à être vraiment enthousiaste. J'ai eu ça pendant longtemps, tu vois je me tais quand les gens en parlent. V. D. : Je pensais aux radiographies. Dans votre œuvre, en général, vous vous servez du monde réel, de ce qui est offert à notre regard. Seulement avec les radiographies, on n'est plus dans le monde apparent, on est passé au-delà, on est dans le monde invisible. Pourquoi à un moment, alors que jusqu'alors le monde apparent vous convenaitt, se pencher vers l'invisible. Le visible ne suffisait plus ? W. D. : Euh, mais c'est un petit peu la même stratégie. Pour moi, le X-ray, c'est quelque chose que tout le monde connaît. On ne pense pas à quelque chose de plus visible. Oui, le X-ray est visible partout. Dans Tintin, il y a le moment où Dupont et Dupond passent dans une machine et tu vois leurs squelettes. Tous les Belges l' ont déjà vu. V. D. : C'est une image dejà connue… W. D. : Oui, oui. V. D. : La technique, l'imagerie, les gens la connaissent mais le contenu, ils sont incapables de le voir sans la machine, en se promenant dans le rue, comme ils le pourraient pour une canette de Coca, ou Monsieur Propre… Ce n'est pas quelque chose avec lequel on vit tous les jours ! W. D. : Mais c'est très peu différent, c'est presque négligeable comme différence, parce que tu vois, c'est comme quand je peins une peinture de Delft sur une bonbonne à gaz, je n'ai aucun intérêt pour le moulin à vent, ou je n'ai aucun intérêt pour le bateau que j'ai peint. Je fais ça, je sais le faire, je sais peindre, alors je fais un moulin à vent et un bateau. Et comme c'est bleu, tout le monde dit "Ah, Delft !". Imagine, que je peigne quelque chose comme les Smarties , cette boîte de Smarties, en bleu, les gens ne diraient pas "Ah, c'est Delft". Ce serait un peu plus difficile. Mais je suis totalement, euh, pas indifférent mais, je suis détaché de cette image. Ok, je fais des X-rays mais j'utilise une machine, c'est tout. Ce que je fais de l'X-ray est toujours proche de l'image que les gens ont d'un X-Ray. Quelquefois j'utilise des poumons, parce que ça c'est le X-Ray le plus connu. Un X-Ray avec des poumons c'est le classique, c'est comme un bateau, un moulin à vent dans le style Delft, un poumon dans le style X-Ray. Ok, 90 % de tous mes X-Rays sont encore en argent, la vieille méthode. Qui devient presque difficile à trouver. J'ai fait d autres images aussi, mais je ne les ai pas sélectionnées, en IRM. Et j'ai fait à Paris , et ici en Belgique, des IRM, la même année où je commençais les X-Rays, mais je ne sélectionnais pas les IRM parce qu'ils n' étaient pas assez connus comme image. L'IRM c'était "Woaw", une nouvelle technique pour montrer le corps intérieur, un nouvel langage, et c'est ça, ce n'est pas l'invisible que j'ai voulu montrer, je n'ai pas voulu montrer quelque chose d'invisible, non, j'ai voulu montrer un autre langage, qui était déjà visible, très visible. Le bleu et le blanc étaient le langage Delft, et j'ai construit une autre langage, c'était le Sex-Ray, le langage X-Ray. Un autre langage, c'est un langage cartographique, et je faisais des cartes imaginaires. Euh, un autre langage c'était les vitraux. Dans les vitraux je n'essayais pas, et pas non plus dans les buts football, de faire quelque chose de très bizarre. Non, non, non. Je m'occupais surtout de réduire tous les vitraux à l'image archaïque, tous les vitraux, comme l'image de toutes les images. Je cherchais, je cherchais le "common denominator". (dénominateur commun). Je cherchais toujours, par exemple aussi dans le tatouage. Si je fais Sponge Bob (ndrl, discussion non enregistrée amorcée sur la possibilité d'utiliser le personnage Bob l'éponge dans une œuvre) comme tatouage sur un cochon, ce n'est peut-être pas assez juste, parce que Sponge Bob n' est pas assez "tatouage" pour que je le prenne déjà. Mais déjà Bart Simpson est difficile comme tatouage je trouve, il est tellement populaire, très connu. Et Monsieur Propre, il est bizarre comme tatouage, mais bon, je dois faire Monsieur Propre, parce que vraiment c'est pour moi.. J'ai tellement d' œuvres très différentes que je dois faire des ponts. Mes œuvres sont des îles. Et je dois faire beaucoup des ponts entre ces îles. Par exemple, j'ai l'île Cloaca. Et j'ai l' île Art Farm ou l'île tatouage, cochon tatoué. Et tout à coup, c'est pour moi un grand plaisir comme artiste de réaliser des ponts entre deux projets que je tiens pour très proche, mais dont je ne vois pas comment je peux les combiner. Je vois beaucoup de ponts imaginaires, des ponts, des liants, comme ç a : "Oui c'est deux fois la "maintenance". Je vois des choses comme "Les deux c'est "nursing"". Cloaca , c'est "nursing" : soigner. Les deux sont des œuvres d'art qui ne demandent pas seulement d'être regardées, mais soignées aussi. J'adore ça, les deux projets à cause de ça. Mais ça ce n'est pas un liant que je dois toujours dire aux gens. Je dois faire des vrais ponts, des ponts clairs, alors je fais quelquefois le logo de Cloaca dans les tatouages, et je les mélange un petit peu. Mm, les cochons Louis Vuitton, ça c'est presque pré-Magritte, dans une façon consumériste. Incroyable, Magritte n'aurait jamais pu aller si loin. Choisir deux images, un image qui existe depuis des millions d'années : un cochon, dans sa forme depuis huit-mille ans seulement mais bon, c'est quelque chose de partout , et prendre Louis Vuitton, comme une marque qui est partout aussi. V. D. : Arnault ? W. D. : Ils me font des procès, ils me menacent de faire des procès, ils me menacent toujours. Ils menacent les musées, ils menacent Emmanuel (Perrotin, ndrl)., ils menacent tout le monde. C'est drôle, ils sont très très agressifs. Ils ont même déposé l'espace entre les étoiles… Mais ils sont fous. Et ils sont très méchants. Et, vraiment, hein, s'ils étaient intelligents - mais une grande entreprise n'est jamais très intelligente- s'ils étaient très intelligents, ils seraient flattés. Parce qu'un cochon, c'est de toujours. Et le tatouage c'est de toujours. Chaque fois qu'ils me menacent, je double le nombre de mes cochons Louis Vuitton. C'est vrai, je double la production. J'ai une étable à part maintenant, que pour les Louis Vuitton. V. D. : En Chine ? W. D. : Oui, et je loue maintenant une autre ferme à côté, pour la sécurité. Ça ne coûte rien et je vais louer assez des fermes, et je ne vais faire que Louis Vuitton. Chaque fois que tu me fais des misères… V. D. : Il y en a un de plus ? W. D. : Non, je double ! Et je tiens ma parole, hein ! Et j'ai dit ça avant, j'ai maintenant quelque chose comme quatorze cochons Louis Vuitton, il me faut presque une ferme. Et maintenant j'ai les "cherries", j'ai les fleurs, tous les Murakami, et lui il est très content. Oui, il est content. V. D. : Le principe de mutation génétique vous intéresse ; vous aviez à un moment le projet, si j'ai bien compris, de travailler avec des chirurgiens plastiques pour modeler la truffe d'un chien à votre image. Et ce qui est très étrange, c'est que le projet a été abandonné, et de nouveau, comme dans toutes vos autres œuvres où sont introduites l'élément humain, on ne voit pas de visage. Avez vous abandonné le projet parce que c'était trop difficile, trop compliqué, ou est-ce que c'est justement la barrière de la représentation du visage ? W. D. : C'était une barrière éthique. Tout le monde disait "Wim tu ne peux pas faire ça" et je sais pourquoi, les gens s'en foutent des cochons mais ils adorent les chiens. Et en même temps, je ne vois aucune différence entre chien et cochon, il n'y a pas une hiérarchie entre les animaux. Mais si j'avais fait ça, je serais peut-être très connu, hein. Mais je n'osais pas. C'est la première fois que je n'osais pas quelque chose, j'ai toujours osé, j'ai toujours osé, hein. J'ai toujours osé changer mon travail, proposer des nouvelles choses, toujours , osé avoir des nouvelles problèmes avec… Faire une ferme en Chine. Oui, le prédécesseur c'est Wim Delvoye qui faisait des bétonneuses. En 1990-199191, à Java. Je suis mon propre prédécesseur. "Outsourcing" et tout ça. Oui, il y avait Alighiero Boetti, qui faisait des tapis quelque part, mais personne ne savait ça, moi je ne savais pas que les tapis étaient faits en Inde. En Inde ou quelque chose. V. D. : Donc c'était une barrière éthique. On ne doit pas y voir, comme on peut avoir envie de le comprendre pour d'autres œuvres, de difficulté particulière à traiter de l'identité, du visage ? W. D. : Oui, la barrière n'était pas financière, ce n'était pas financier du tout, c'était choquant, je pouvais tout faire pour 20 000 euros. Oui, j'ai vu une fille que je connaissais… V. D. : En Belgique ? W. D. : Ici, ici, tu sais, des beaux seins, ça coûte 2500 euros. Deux très beaux seins, ça coûte entre 2500 et 4000 euros. Et j'ai fait quatre dessins, on a fait les 4 dessins avec la chirurgienne. Tu y vois les deux écritures, parce que je lui ai demandé le jargon qui est presque incompréhensible mais très étonnant, parce que tous les actions dans la chirurgie avaient des mots spéciaux et j'adore montrer tout ce professionnalisme,parce que ces dessins montrent je dois que appuyer sur un bouton, le bouton vert , etc. C'est pour me consoler aussi. Je faisais le dessin comme pour me consoler. C'était la seul chose matérielle qui restait. Et la chirurgienne me disait "Oui, mais tu as aussi un programme dans l'ordinateur, et tu peux le faire avec l'ordinateur", mais je trouvais ça un peu nul. C'était l'idée de le faire vraiment. Maintenant ça m'intéresse peut-être de voir comment, parce qu'il y a vraiment des programmes pour mettre les muscles, casser les os, des choses comme ça. V. D. : Garder un dessin plutôt qu'une image numérique, c'est garder la trace de la véritable image du projet ? W. D. : Oui, et c'est aussi parce que c'est le monde de l'art : c'est mon idée. "Tu ne touche pas, hein"… Si un jour je relâche mon moral, si je deviens désespéré ou un peu fou. Par exemple, j'ai pensé à faire le projet en Chine, parce qu'ils n'ont pas de morale, il n'y a aucun problème en Chine. J'ai pensé aussi en même temps - à la même époque j'avais deux projets en fait –il y avait Laïka, c'était le chien avec mon visage, appellé Laika car c'était le premier chien dans l'espace. C'était déjà comme un premier chien, Laika ça veut dire "première chien de quelque chose". Et un deuxième projet, c'était… je n'avais pas de titre pour ce projet mais c'était un animal, un cochon, une vache, un chien, avec des beaux seins. Mais humains. Des seins humains, mais vraiment humains, beaux, mais vraiment beaux. Et ça je pense encore que c'est réalisable, ça. Mais c'est drôle, et subtil, hein… V. D. : Justement, ce qui assez étonnant, c'est qu'il y a toujours un moment où vous introduisez le corps ou ses dérivés. Mais bizarrement, bien que le corps ou la sexualité soient toujours là, pourtant on ne voit jamais le corps dans son côté le plus cru, le plus dégoûtant. Montrer les choses qui sont censées être sales, mais en les rendant finalement toujours neutres, assez anonymes… Les montrer loin de ce qui fait qu'on les décrie tant, leur banalité… C'est les transfigurer ? Cette longue élaboration intellectuelle, pour montrer le corps, mais pas dans sa brutalité première, sans affects non plus, pourquoi ? W. D. : Oui, tu le dis bien. C'est juste ce que tu dis. Mais pourquoi je le fais ? C'est plutôt de ne pas croire, d'être un agnostique, je suis un agnostique, je ne crois pas. Je ne crois pas. Je ne suis pas athée, parce que je suis agnostique, je ne crois en rien du tout. Et ça, ça n'a rien à voir, enfin, si ça a tout à voir avec le fait que je suis agnostique. Je suis agnostique avec tout, aussi avec l'art. Dire "Ah je ne crois pas en Dieu mais je crois en l'art", c'est quoi ça ? Je ne crois pas en l'art, moi. J'adore l'art, ça me passionne, mais je n'ai pas cette chose : "Ah, l'art !". Pour moi l'art c'est toutes ces choses. Je suis agnostique, comme Diogène. Diogène il doute de tout. Cette indifférence, elle vient de ne pas croire. Je ne crois pas en l'amour, les gens font l'amour, mais dans mon monde il n'y a pas une âme, il n'y a pas de gens avec une âme. Ça se voit ? Moi je n'ai jamais vu une âme. Et j'ai jamais vu d'amour. J'ai vu des squelettes, j'ai vu des dents, j'ai vu des bites, j'ai vu les grains de cet X-Ray, j'ai vu des poumons, je n'ai jamais vu de l'amour. J'ai jamais vu de l'amour. Ce que je ne vois pas, je ne crois pas. Et je suis totalement agnostique, et peut-être ça explique qu' un comédon et une tour gothique, c'est pour moi aussi la même chose. Oui, j'ai beaucoup de respect pour cette tour gothique, pour cette culture gothique, mais avec une distance, cosmologique disons, si tu vois tout ça, si c'est un comédon ou si c'est une tour, de loin tout est nul, tu vois. Tout devient très petit. C'est un peu… Et ce n'est pas négatif, ce n'est pas négatif. Ce n'est pas que je me moque… Tu sais, Louis Vuitton pense que je me moque de Louis Vuitton, mais non, je me moque de l'art. Et je ne crois pas que l'art est original, même si c'est original. Oui je doute de tout, je doute, je ne crois rien du tout alors je ne crois pas que ce soit original, je ne crois pas que ce soit bien. Et c'est peut-être une chose qui est aussi un peu belge. Parce qu'on a eu toujours… Les Belges qui sont ici, qui ont vécu les dix derniers siècle, étaient des gens disons, un peu sélectionnés génétiquement par un talent à survivre dans cette façon de ne pas croire. Baudelaire a écrit, dans "Pauvre Belgique" : toujours, quand tu dis quelque chose à un Flamand, il te regarde comme s'il ne te croyait pas. Alors je me dis "Eh, merde, c'est peut-être vrai". Parce que, imagine, les Hollandais arrivent, les Français arrivent, l'Autriche est arrivée et les Allemands sont venus deux fois, même les Romains étaient ici ; Les gens ici, c'est un peu comme Astérix ,tu vois, ils restent sur place mais ils ne croient pas. Les gens bossent mais ils ne croient pas. Parce qu'ils sont… la nation… Tu connais un pays dans le monde où les gens ont honte de leur pays ? Tu connais un pays où les gens s'excusent pour ce pays ? Moi j'en connais un : la Belgique. Les Belges ont honte, les Belges sont malheureux, les Belges disent qu'ils ne sont pas Belges, les Belges disent "Non, non, non, je suis Wallon" ou "Non, non, non, je suis Flamand", les Belges ne veulent pas être Belges, c'est comme un autre occupation, les Belges se sont occupés. Même si la Belgique est séparée en deux, ou trois ou quatre pièces, les gens vont se sentir occupés. C'est comme quand Baudelaire a dit "Tout le monde veut être bourgmestre", c'est un peu ça. Les gens croient à beaucoup de choses et ils ne croient rien du tout. Il y a un sorte de doute, toujours , un doute pour les grandes idées. Les grandes idées, ils en doutent. V. D. : Et ce doute, est-ce que vous l'avez nourri, vous, par exemple, de lectures philosophiques ? W. D. : Ah, Diogène ! Le grand philosophe pour moi, c'est le philosophe qui n'a jamais écrit, il n'a que vécu, et sa vie est devenue sa philosophie, et sa vie est devenue un mythe. Il était très populaire au Moyen-Age ; les premiers chrétiens étaient aussi comme Diogène. Platon, il était toujours très philo, hein, lui. Il disait : "C'est quoi l'homme ?". Et, bon, Diogène il ne croit pas que l'homme soit plus qu'un animal, c'est un de ces animaux ; il ne croit pas que l'homme a une âme. Il n'a jamais vu une âme, alors pourquoi ? L'homme peut être un chien, ou autre chose comme ça. Et Diogène écoutait Platon, et Platon disait "L'homme c'est un animal sur deux pattes". Et Diogène a dit "Ah, voici l'homme de Platon" et il avait une poule dans les mains. Platon a dit : "Ah, merde, ce Diogène, il est embêtant". "Bon, ok, l'animal sur deux pattes, mais sans plumes". Et Diogène était sur le marché d'Athènes avec une poule et il disait : "Voici l'homme de Platon". Et il était toujours contre Platon et l'idéalisme. L'idéalisme c'est "les ombres, les ombres dans les grottes", ce sont les idées, et Diogène a dit, "c'est quoi ça ?". Diogène ne croit pas aux idées. V. D. : Vous non plus ? W. D. : Pas dans les grandes idées. Euh, nationalisme, patrie, Dieu, famille, amour. Je ne crois rien de tout de ça. Ce n'est pas du cynisme. C'est très différent, c'est l'opposé. Ce n'est pas être cynique, c'est "kynism", comme les 1ers chrétiens. C'est ne pas vouloir. Comme, Alexandre qui a entendu la réputation de Diogène : "J'ai entendu dire que tu étais le plus grand philosophe". En même temps, c'est grand et c'est petit. Ah oui, j'ai une autre idée. Tu disais : "Les comédons pourquoi, la merde, beaucoup de corps…" ? Faire de l'art avec des choses qui n'ont aucune valeur. Moi je ne peux pas résister : quand je regarde une œuvre, n'importe quoi, je vois une bataille sociale. Dans n'importe quelle œuvre. Je vois un Picasso, je vois un Jan Van Eyck, ou je vois Michelange, ou je vois un jeune artiste de maintenant, et je vois une bataille sociale, une lutte sociale. La légitimisation d'une classe au pouvoir et d'une autre classe qui s'en sert pour réussir. Et cette lutte sociale a besoin des images pour visualiser ça, subtilement. C'est comme les autres images : "C'est quoi ça, c'est Hermès ?". C'est un peu la même chose. Et ce sont des objets de prestige, et j'ai toujours lancé des attaques sur ces objets de prestige. J'adore faire ça, mon intérêt c'est faire de l'art, on peut dire, des objets de prestige, je suis d'accord, mais qui sont difficiles comme objets de prestige. Qui sont vraiment difficiles. Car quand finalement ils réussissent comme objets de prestige, là j'ai vraiment réussi. Dans les contes de fées, les princes trouvent toujours une fille comme Cendrillon, qui n'a pas de maman, qui est moche, qui n'a pas de beaux vêtements, mais qui a bon cœur et qui doit nettoyer le château, et la cuisine… Et qui est toujours un peu victime de ses deux sœurs, enfin… Le prince a choisi ça, dans les contes c'est toujours la même chose. Un peu comédon, un peu merde et d'un autre côté un peu ornement, un peu prestige. Le marbre devient salami, ou euh, Claude Cousteau devient sorte de comédon, il y a beaucoup de choses comme ça. Ou "C'est une très très belle machine, mais elle fait caca.". C'est toujours un peu "Oui, mais", "Oui, mais". C'est un peu ça, j'adore ça. C'est facile à faire, un bonne œuvre d'art, géniale, avec un peu de peinture, un peu de toile ; quelque chose qui fait plaisir à tout le monde, c'est pas difficile je pense. Mais ne pas faire plaisir à tout le monde, ça c'est intéressant. C'est comme en anglais, "to tease" and "to please". Et il y a le monde de l'art, et je le vois, 95% des gens sont des "pleasers". Ils font plaisir. Ils ont fait plaisir aux professeurs, à l'école, ils font plaisir au monde, aux filles, au public, aux collectionneurs. Moi je ne fais pas plaisir à tout le monde, je fais plaisir à quelques-uns, quelques amis, quelquefois, mais je fais très peu de plaisir à tout le monde. Des putes, des gens pauvres, jamais des professions élevées... Pour faire une parabole, c'est ça. C'est comme les bonbonnes à gaz, le caca : ils sont comme les pêcheurs chez Jésus. Ce ne sont pas les ordinateurs que je choisis dans la hiérarchie des choses, ce sont toujours les choses, euh, les plus faibles. Si on parle de corps humain, je choisis l'anus et la merde. Si on parle d'objets, je choisis les pelles, les bétonneuses, les trucs ouvriers. Ou le petit mot : c'est le truc le plus intime, ou le plus "irrelevant" après quelques heures : "Je suis de retour dans 5 minutes", ou n'importe… Alors toujours j'ai cet intérêt pour les choses "zero degrée". Les Chinois disent toujours "Pour monter, pour mieux remonter, quand tu nages dans l'eau, c'est mieux de descendre dans la profondeur, tu mets ton cul sur le sol, tu pousses pour remonter". Mais c'est aussi une parabole, ce sont aussi des concepts à expliquer, ce sont des concepts très, très hauts. Et parce que les concepts sont hauts, il faut que ce soit expliqué avec des choses comme les comédons et les cochons. C'est un petit peu comme une peinture de Bruegel, sa grande peinture où il y a plus de cinquante proverbes. Ca, c'est comme Magritte, hein, c'est mieux que Magritte… Victoire Disderot,
Paris, juin 2009 René Magritte, perspective
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