Vidya Gastaldon, Centre d'Art de KerguéhennecEntre rêve et caricature
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Vidya Gastaldon, Fontaine d'Esprits, 2008,
Vidya Gastaldon, Indestructible, sache-le… 2008
Vidya Gastaldon, Queen Booo, 2008
Vidya Gastaldon, Vue de l'exposition "Do you wear the love
glasses ?",
Vidya Gastaldon, Vue de l'exposition "Call it what you like", |
Quand il ne s'agit pas d'un lieu privé (galerie ou fondation) mais d'un lieu financé à l'aide des deniers publiques la décision d'exposer les œuvres d'un artiste – choisi parmi des milliers d'autres - engage nécessairement la responsabilité intellectuelle du décideur ; soit l'œuvre choisie est déjà entrée dans le panthéon de l'histoire de l'art et le travail du commissaire de l'exposition relève de la communication - rappel ou complément d'information - soit l'œuvre est peu ou pas connue et il s'agit de la faire découvrir au plus grand nombre.
Le rôle du fonctionnaire culturel devient alors éminemment important pour le devenir de l'œuvre et de l'artiste, pour sa promotion comme pour l'enrichissement spirituel de la collectivité qui la reçoit car aux yeux de cette dernière, le rôle exercé par le professionnel de la culture, tient de l'expert et du guide. Expert, puisqu'il a le devoir de s'informer et de réfléchir sur les tendances et les évolutions artistiques de son époque (il est payé pour cela) et guide, puisque son choix, adoubant l'œuvre, l'auréole de son prestige de connaisseur du champ artistique. Un prestige persuasif pour le visiteur qui docilement à l'écoute des commentaires toujours emphatiques du médiateur culturel s'évertue à déceler les caractéristiques qui lui sont signalées. Si de plus, il est quelque peu averti du fonctionnement du lieu, il n'ignore pas que l'une des œuvres exposées est susceptible d'inscription à l'inventaire de la collection régionale, la mise en place d'une exposition en centre d'art s'accompagnant le plus souvent d'une résidence d'artiste (2 à 4 semaines, voir plus) et se concluant par l'achat d'une pièce, le tout au nom et aux frais de la Région, du Département et du Ministère de la culture, c'est-à-dire des contribuables. L'engagement intellectuel du directeur n'est donc pas négligeable d'autant qu'en France, l'entrée d'une œuvre dans les collections publiques pérennise "ad vitam aeternam" ce qui n'a été conçu au départ que sous l'angle d'une manifestation temporaire. Qu'en est-il donc, dans ce contexte, de l'exposition des dessins et installations de Vidya Gastaldon présentée actuellement au Domaine de Kerguéhennec, le centre d'art du Morbihan qui se proclame "laboratoire de la création artistique" (Notice concernant l'exposition remise au visiteur en accès libre). Vidya Gastaldon est une jeune française (née en 1974, à Besançon) qui a passé son enfance dans un ashram du Doubs, ce qui n'est pas banal, et peut avoir influencé sa vision du monde, orientant consciemment ou non, sa production, car que voit-on à Kerguéhennec ? Trois sortes d'ouvrages semblant provenir de trois identités différentes. En premier lieu, l'œil perçoit des installations légères, réparties sur le sol, des fils métalliques dessinant les contours de volumes ouverts sur le vide de l'espace environnant. Des volumes qui, s'ils étaient pleins, emprunteraient formellement à la tendance historique du Minimal Art. Tel cet emboîtement de trois esquisses de pyramides, à base triangulaire, s'emboîtant l'une dans l'autre à la manière des poupées russes, une construction de 2006, étonnement intitulée "tétraèdre érotic", un titre gauchisant le principe fondateur du Minimal Art, lequel excluait - dans la matérialité de sa production - tout rapport à l'humain, tout rapport à l'intime. Or, cette référence à l'érotisme, accolée à une image du triangle, convoque spontanément le déclic d'une métaphore charnelle, celle d'un sexe féminin d'autant que l'emboîtement des pyramides souligne l'idée d'une profondeur, d'une mise en abyme. Seconde atteinte portée au principe d'industrialisation d'une production fut elle d'art, un tricotin laineux et coloré recouvre les fils métalliques dessinant les volumes pyramidaux. Le tricotage est une activité manuelle qui appelle le toucher, suggère une excitation sensuelle allant à l'encontre de la volonté de distanciation d'un Carl André ou d'un Sol Lewit. La main se retrouve encore au travail dans des dessins aquarellés accrochés au mur. Des dessins qui relèvent du vieux registre du fantastique voir de la fantasmagorie. Ce sont des bribes de paysages surnaturels, sans thème ni symbole, comme explosés, rappelant les "light shows" des années soixante dix, ces projections graphiques réalisées sous l'influence d'une prise de drogue. Les images se succédaient sans logique d'une histoire ou d'un objectif, dans une divagation sans fin de formes colorées se dissolvant l'une dans l'autre pour renaître autre et semblable. Quel lien peut il y avoir entre de tels dessins, où la main s'abandonne à l'improvisation d'un imaginaire ayant rompu toute contrainte et les installations dénigrant le Minimal Art ? Une troisième partie de l'exposition peut suggérer une réponse. Ce sont des photocopies d'illustrations tirées d'un livre retraçant la vie de Jésus, de sa naissance à la crucifixion. Vidya Gastaldon a manipulé ces illustrations. Dans "Acid Yungfrau" de 2007, elle s'est "attaquée" (ce sont ses mots) à une gravure d'Albrecht Dürer exécutée en 1520. La gravure originale "Yungfrau mit dem Wickelkind" représentant la Vierge à l'Enfant - une scène empreinte d'une grande douceur où une jeune femme souriante baisse les yeux vers un nourrisson aux yeux clos - a été mise aux enchères en 1995 à la célèbre galerie Kornfeld à Berne (Suisse) comme le catalogue de vente en fait foi (Catalogue de la galerie Kornfeld, Berne, 1995 – Graphic Handzeichnungen Alter Meister – Tafel 4 Nr 26). A noter que cinq siècles après sa réalisation, Il se trouve toujours des collectionneurs pour admirer le talent du graveur et souhaiter se l'approprier. Les reproductions manipulées de Vidya Gastaldon peuvent-elles espérer le même destin ? Sur "Acid Yungfrau", les yeux de la Vierge et de l'Enfant fixent le visiteur. Ils sont écarquillés et menaçants. De plus, en bas de la page illustrée on ne lit plus 1520, comme l'avait gravé Dürer, mais LSD. L'expression de violence des yeux exorbités dardés sur le visiteur serait-elle la conséquence d'une prise de drogue ? Quel sens donner à cette manipulation ? Si l'on rapproche ce détournement d'une œuvre d'un maître du 16ème siècle du gauchissement de l'installation pyramidale influencée par le Minimal Art, mouvement important du 20ème siècle, on perçoit que l'un et l'autre partage une commune intention d'agressivité pour tourner en dérision des œuvres entrées dans le patrimoine artistique occidental. Comme si faute d'avoir su créer un geste, une attitude, avoir su émettre une pensée, il ne restait plus aujourd'hui, dans le petit monde protégé de l'art, que la stratégie de destruction du passé pour s'affirmer ; mais une telle stratégie génère-t-elle spontanément de la créativité ? De même que Cyrano de Bergerac - dans la célèbre tirade d'Edmond Rostand – reprochait au rieur, non pas sa raillerie sur la démesure de son nez, mais la faiblesse d'esprit de ses railleries, on peut regretter également une absence d'exigence intellectuelle avec la caricature de la gravure de Dürer : travestir la vierge en une virago droguée relève d'une plaisanterie drolatique de potache, une plaisanterie moins savoureuse que le jeu d'esprit de Duchamp légendant par un LHOQ une reproduction de Léonard de Vinci. Ridiculiser un dogme chrétien par une caricature dégradée de son image peut aussi, au-delà du rictus de la pochade, manifester l'expression d'une conviction philosophique. Vidya Gastaldon, rappelons le, a été élevée dans un ashram, un lieu fondé par une collectivité d'adeptes regroupés, comme en Inde, autour de l'enseignement d'un maître appelé le brahame ou le guru, disent certains… De cette enfance il lui est resté son prénom, tiré du sanskrit, langue littéraire et sacrée de la caste supérieure des indous. Un prénom qui se traduirait, nous dit-on, par "en chemin vers la connaissance, vers la lumière". Le Bouddhisme - ou brahamisme - est une vieille croyance, plus ancienne de près de six siècles que le christianisme et dès sa création elle renia l'existence des dieux, l'utilité des prières et celle des sacrifices. Donc, pas d'équivalent à la naissance d'un enfant-roi, d'un enfant sauveur des hommes par son supplice sur la croix et par conséquent, pas de mythe d'une Vierge-mère à implorer. Ce dont pourrait bien témoigner "Acid Jungfrau" et sa manipulation burlesque d'une reproduction de gravure de Dürer. D'autant que dans les ashram, l'enseignement des brahames ne doit pas tresser des louanges au christianisme, la civilisation brahamique en Inde ayant subi les outrages de la colonisation anglaise, des affres infligés par une nation chrétienne ! A l'appui de cette intuition versons les dires de Vidya Gastaldon nous confiant, lors du vernissage de son exposition, qu'elle voulait "attaquer les grands de l'art" et de nous citer Fra Angelico - le plus suave des interprètes de l'iconographie chrétienne - et Piero Della Francesca, une sommité de l'art religieux (chrétien) du Quattrocento, célèbre pour ses fresques intitulées, entre autres, "la Légende de la Vraie Croix". Les dessins aquarellés peuvent aussi résulter de cette possible influence brahamique dans la mesure où son enseignement s'appuie sur la conviction d'une indestructibilité de tous les éléments constituant l'Univers. Si au fil du temps ils deviennent méconnaissables, cela serait dû aux effets d'une transmigration, les différents modes du vivant se formant, se développant et s'agrégeant avant de décliner et de périr pour se reconstituer à nouveau. Or les dessins aquarellés imagent par leur imprécise lisibilité cet état fusionnel de transformation sans fin que nous avons rapprochés plus haut, aux Light Show des années soixante dix. Nés d'une méditation où l'esprit s'abandonne, ils se nourrissent de leur propre recherche. Comme pour l'écriture automatique ils semblent exécutés dans une sorte de somnolence de la conscience. Accumulés sur les murs ils ne procurent au visiteur qu'un bourdonnement visuel, un bourdonnement qui peut se transformer en chuintement quand son regard bute sur les installations minorant le Minimal Art par les attaques formelles décrites plus haut… Y avait-il urgence à monter cette exposition ? Qu'apporte t-elle à la Collectivité ? Le pouvoir d'un directeur de centre d'art est décidément considérable. Liliane Touraine,
Paris, août 2009 |