chez Valérie HonnartL'être fragmenté - L'être fragment : thé - L'être fragment et…
Valérie Honnart
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Valérie Honnart |
L'art de Valérie Honnart ne peut se comprendre qu'à la lumière des influences qu'elle est allée chercher en dehors des frontières : en Chine et en Italie. De la Chine, elle garde la fascination pour les paysages, pour les arts martiaux, pour la maîtrise du souffle, pour l'usage des encres, le sens de la longue préparation des éléments constitutifs de l'oeuvre. De l'Italie, du Caravage notamment, elle retient le goût de la sensualité des corps en mouvement et de leur illumination par et dans la lumière. Conséquence : elle peint les corps comme des paysages, de près ou de loin.
De ces deux civilisations, car le choix de ces deux pays n'est pas indifférent et représente vraiment une référence à deux systèmes de relations entre l'homme, la société et l'art, elle adopte aussi des techniques différentes, car pour Valérie Honnart, l'entrée en art est aussi une immersion dans des savoir-faire, y compris la part de lenteur qui en commande l'accès. En Chine ce sera l'usage des encres multiples, qu'elle broie elle-même, qu'elle imprègne du liant approprié, la lente préparation de la feuille de soie teinte au thé rouge, au brou de noix. En Italie, c'est la pratique de la fresque, de la restauration, de l'huile. Pas étonnant qu'elle tende à unir les deux. Certaines toiles à l'encre sont en effet rehaussées d'huile ou d'or. Mais l'art de Valérie Honnart c'est aussi l'expression d'un point de vue particulier qui fait la synthèse entre des polarités multiples : traditions picturales diverses, fascination pour la fragmentation autant que pour l'unité du corps en action, comme dans la danse, transfert des arts martiaux qu'elle pratique (elle est ceinture marron de karaté) sur la manière d'aborder l'action de peindre : lente concentration puis déclenchement rapide, voire automatique du geste. Elle peint comme on se bat (lente tension de la flèche sur la corde de l'arc, puis déclenchement du tir) et aussi comme on pratique la calligraphie (méditation préalable de plusieurs jours, voire plus, exécution en une poignée de secondes). Peindre pour elle c'est donc d'abord accumuler une forte dose de conscience sur l'objet de l'expression choisi. Rien n'est laissé au hasard. L'art est le degré ultime de la concentration mentale. Telle est son "action painting". Que dire et quoi exprimer lorsque l'on aboutit à une bonne maîtrise de deux traditions picturales aussi diverses que l'italienne et la chinoise ? Ce sera une certaine vision du corps. Elle a bien compris que les Chinois ne s'intéressent guère au corps en soi, si ce n'est de façon très stéréotypée. Certains de ses portraits, marqués de tradition chinoise, sont tout empreints de telles traditions. Mais dans les corps, elle va mettre l'accent sur les vides plus que sur les pleins. Elle peindra donc les interstices des relations les êtres, représentés par des fragments de leurs corps. "L'être fragmenté" est la résultante logique de cette approche et de cette préoccupation. Le corps, elle le regarde et le représente avec un œil photographique, à l'aide d'un zoom mental qui lui permet de plus ou moins s'éloigner ou se rapprocher du sujet, de l'attitude, de la combinaison qui l'intéresse. Elle s'attache donc à des "peintures zoom" et à des "peintures grand angle". Les premières prennent la forme du tondo, ce cercle qui enchâsse la peinture où s'épanouit particulièrement l'être fragmenté. Cette forme lui permet aussi de donner à voire la toile sous toutes les coutures puisqu'il suffit de la faire tourner afin de rechercher le meilleur angle de vision… ou de tir. Une approche plus spécifiquement italienne, mais qui tend aussi à utiliser un support qui touche au symbole de la perfection. L'approche au zoom du sujet permet de retirer le meilleur du tondo. Les points de vue sur le sujet se multiplient à l'infini, puisque l'œuvre ne peut plus en posséder un seul, ce qui permet parfois de découvrir des visions initialement imprévisibles et donc de proposer des liens, des interstices, des correspondances nouvelles entre des parties de corps, des parties d'êtres, entre des fragments qu'elle a pu isoler, entre ces parties et ce tout qui est en elle à défaut d'être sur la surface peinte. Passé au tondo, si l'on peut dire, le corps est traité comme un objet que l'artiste prend le risque de manipuler par l'exercice supérieur des regards qui l'explorent, comme pour tenter de comprendre le sens de ce qui est devenu une véritable expérimentation visuelle et sensorielle, voire philosophique, une pratique presque scientifique à proportion de son usage plus ou moins systématique. L'autre approche, différente de la première, met l'accent sur le support orthogonal et sur un ou plusieurs corps toujours proches d'un équilibre ou de sa rupture. Le recours aux arts martiaux n'est pas loin de cette mise en abîme des corps; mais aussi la fresque italienne, les ciels des églises baroques, le Gesu ou même la chapelle Sixtine, par exemple, où les accumulations de corps au bord de la chute, trouvent une sorte de jubilation dans le risque osé et assumé. Le corps en rupture d'équilibre est plus facile à prendre, comme on prend une photo, ou à saisir, comme un homme saisit une femme. Et les peintres baroques avaient mission de relancer les pratiques religieuses au moyen de ce genre d'artifices pictural, qui rapprochait formellement les personnages mis en scène et les attitudes des fidèles. Du baroque, Valérie Honnart retient ce qui peut favoriser un exercice pictural mental. Les couleurs, dans ce contexte, ne sont pas indifférentes, même si elles ont souvent proches du monochrome. Préalablement à l'inscription du corps sur la toile, les peintures grand angle sont souvent traitées au thé rouge qui donne au papier de soie qui sera marouflé, une couleur terre de Sienne, voire légèrement dorée, sur laquelle Valérie Honnart accroche des sortes de nuages, des matières en suspension qui permettent au regard de s'arrêter, de trouver un chemin, de suivre un itinéraire, de projeter des fantasmes imaginaires, donc de créer une profondeur mentale. Vient ensuite l'inscription du ou des corps, totalement intégrés dans la toile, mais aussi volontiers décalés, décentrés, comme pour créer des effets de plongée ou de contreplongée. Là encore, la référence à l'image photographique ou cinématographique s'impose d'elle-même. Enfin peut advenir l'huile, de préférence rouge, couleur du bonheur chez les Chinois, de l'amour et de la passion chez les Occidentaux, voire de la révolution (chez les uns et les autres ?). Valérie Honnart choisit avec le plus grand soin le titre de ses œuvres. Elle tient beaucoup au terme de silence, peut-être parce qu'il sépare deux souffles, et qu'elle retient son souffle avant de se lancer à corps perdu dans le signe ou la forme. Ainsi de cette toile intitulée "dans les mains danse le silence" qui montre un homme debout, les bras largement écartés à l'horizontale, comme un équilibriste – et un danseur est toujours un équilibriste. Le silence c'est aussi ce qui n'est pas visible sur la toile. Dans ses peintures zoom ou grand angle, Valérie Honnart ne donne jamais tout à voir, elle nous laisse le soin, la responsabilité et le temps de composer ou recomposer sa peinture, elle s'efface devant elle et devant le spectateur qui va les absorber, seul, en dehors de sa présence, dans son absence et son silence. Tel est le sens de l'être fragmenté de Valérie Honnart : non pas les êtres, car elle aspire à l'unité, elle n'en a pas nécessairement la clé et laisse les regardeurs de ses oeuvres essayer leurs propres clés pour la trouver. J'ajouterai, par jeu de mots, l'être fragment : thé, pour suggérer une première clé, celle de l'expérience chinoise, de l'importance donnée à la préparation de l'acte sur sa réalisation, de la recherche de l'unité sous-jacente que symbolise la teinture de thé sur la soie : elle est un premier lien qui assure l'unité du fond en ses parties, voire des formes quand elles aspirent au tout. Car le thé tient éveillé et permet de rêver debout pour imaginer le sens des silences et des absences. Il y a enfin l'être fragment et… La conjonction de coordination pour appeler un autre ou un ailleurs et les trois points de suspension pour laisser le karma donner naissance à ce qui manque encore. Claude Mollard
Paris, septembre 2008
Valérie Honnart, L'être fragmenté - L'être fragment : thé
18 rue du Louvre, Paris 75001, du 18 au 26 octobre 2008 www.valeriehonnart.com |