Seungho Yang, Esprit de Corée
Centre de la Céramique contemporaine à La Borne
 
Seungho Yang
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Seungho Yang

Parmi les multiples expositions qui se succèdent cette année au Centre de la Céramique Contemporaine de La Borne à Henrichemont, entre Bourges et Sancerre, l'une a un relief particulier, celle du céramiste coréen Seungho Yang, dont on fête les 40 ans de présence dans la région. Il s'y est fixé en 1983, attiré par la beauté de la campagne, des forêts et une vieille tradition de four à bois semblable à celle de son pays natal. Dès l'année suivante, Le Centre de la céramique lui accordait une première exposition personnelle. 40 ans ont passé. Entre temps, il a acquis comme artiste une réputation qui a franchi bien des frontières, de La Corée à l'Europe, mais il reste entouré ici d'une aura particulière, sur sa terre du Berry où il revient chaque été travailler autour des deux fours Tongkama (Le Tongkama, four à bois couché, traditionnel en Corée depuis 1500 ans.) qu'il s'est construits et fédérer les énergies par son festival Naori : il accueille chez lui – comme il le fait aussi en Corée - de nombreux céramistes de la région ou d'ailleurs qui sont heureux de le retrouver, pour échanger avec lui et partager leur expérience mutuelle. Des fêtes, avec agapes et danses, autour du four et des créations qui en sortent, ouvrent et ferment l'été et le travail n'y cesse jamais.

Mon premier contact avec l'œuvre de Seungho Yang remonte à 1998, il y a plus de 25 ans, au Musée de la Céramique à Mulhouse, qui lui consacrait une vaste exposition personnelle, intitulée l'Esprit de la nature. D'emblée à l'entrée, j'avais été séduit par une grande calligraphie zen dans laquelle, illustrant le poème d'un calligraphe, il avait esquissé un danseur suspendu au centre d'une large ellipse tracée d'une main souveraine. Il suffit de jeter un regard à son œuvre pour se rendre compte que le sens de ce cercle noir sur fond blanc, qui symbolise pour un esprit oriental l'alliance du plein et du vide, du ciel et de la terre, du yin et du yang, inspire encore aujourd'hui toutes ses créations. La forme circulaire, transposée dans ses argiles en rondeurs, en enroulements, évoque tantôt le coquillage marin, la coque de noix ou de l'escargot, l'œuf dans le nid, le bulbe de la plante, la racine contournée de l'arbre ou la vague qui se love sur elle-même. Une trouée, un creux, aux proportions variables, vient se nicher au centre, rappelant comme sont indissociables, destins liés, le plein et le vide, la terre et l'espace. Ainsi cette ligne courbe, qui se referme sur elle-même ou s'ouvre et se prolonge, offre une forme d'harmonie, de sérénité, de continuité, d'infini : elle réconcilie les formes du monde et l'esprit humain, fragilisé par sa finitude.

Les grands mots, l'artiste les balaie d'un revers de main. Il préfère dire qu'il aime tout simplement la matière, il ne se lasse pas de la travailler. Mais il ajoute très vite qu'il reste fasciné par ces 4 éléments, la terre, le feu, l'eau, l'air, qui jouent et réagissent sans cesse l'un avec l'autre pour informer la matière. Pour lui le modelage de l'argile puis la cuisson au four sont un résumé, une catalyse de ce jeu partout à l'œuvre. Lui finalement, dit-il modestement, intervient très peu, le moins possible ; à peine se pense-t-il comme un créateur, non, il laisse librement jouer la terre et le feu. Il envisage son travail comme un voyage, la découverte d'un inconnu. D'où son goût pour le hasard, l'accident qui apparait à la sortie du four, dans les brisures, les déformations, les variations inédites de couleur et de texture, les glaçures que les cendres auront créées à haute température, en se déposant et en se fondant avec la terre. Plus grandit sa maitrise des cuissons, plus son attente de l'accident, de l'inattendu est vive, semble-t-il. Comme un jeu toujours renouvelé et surprenant entre lui et la nature, où ils participeraient à forces égales, dans un fair-play absolu.

C'est sans nul ajout, nulle couverte que l'argile de ses pièces passe l'épreuve du feu. Le défournement met au jour failles, fissures, craquelures, et révèle une beauté inédite qui appelle irrésistiblement le contact des doigts : on peut songer à l'écorce noueuse d'un arbre, aux émaux vermiculés d'un corail, à la croûte desséchée d'un volcan, aux bosselages et aux tavelures d'un coquillage, aux excroissances d'une coquille d'huitre, aux ornières d'un chemin sec, aux parois de falaises ravinées par l'eau et le vent ; toutes les apparences prises par les éléments naturels s'invitent sur les surfaces rongées de ses céramiques, comme un monde en réduction, comme un accéléré, un précipité du temps géologique ou biologique dans ses perpétuelles mutations. La Nature est si belle, répète Seungho ! Il ne reste plus à l'homme dans son travail qu'à l'imiter et lui ressembler ; ou faire de la création un mutuel échange avec elle. Comme il l'a fait par exemple en Corée en immergeant trois ans dans la mer des paniers de bambous avant de les recouvrir d'argile et de les cuire. Ou en greffant des bonsaïs, une de ses passions, sur ses céramiques pour leur donner une seconde vie. La distance entre la main de l'homme et celle de la nature s'estompe, leurs énergies s'additionnent, se croisent, l'artiste aide à son tour l'argile, la terre à se développer, il est en somme un potier-jardinier. Une façon de rester fidèle, profondément, à ses origines paysannes.

L'origine, d'ailleurs, la naissance ne cesse de l'obséder, c'est le sens même du terme “Naori “qui donne son nom à son festival. D'où le thème du nid, qui parcourt son œuvre depuis plus de vingt ans, à travers ces formes ovoïdes et ce fil dont il enserre nombre de ses pièces, à l'instar des oiseaux quand ils créent leurs nids. Il le prolonge aujourd'hui et le place au centre de son exposition de façon spectaculaire : il a suspendu un énorme nid aux branches entremêlées d'où pendent jusqu'au sol des bandelettes de papier blanc. Un réservoir d'encre de Chine surplombe l'ensemble. Le liquide noir traverse le réseau des branches et imprègne une bandelette qui dégoutte sur un cadre tendu d'un papier coréen et y crée aléatoirement des taches qui infusent en dessins successifs ; cela tout au long de l'exposition. Comme un symbole de cette nature inspirante qui d'elle-même - en laissant jouer hasards et nécessités des forces à l'œuvre - est incessante création et recréation.

Voilà, il est fascinant de voir comment chez Seungho Yang une simple masse d'argile, pesante et inerte, informée par la main, déformée et durcie par le four, exprime dans un même geste les forces de la matière, mais aussi plus subtilement les obsessions de l'esprit, comme un lest et un condensé de spiritualité.
 
Gildas Portalis
Henrichemont, septembre 2024
 
Seungho Yang, Esprit de Corée
Centre de la Céramique contemporaine à La Borne, Cher
25 Grand'Route 18250 Henrichemont, septembre 2024
www.laborne.org/fr/
 
Prochaines expositions,

2024 :
- 28 septembre - 27 octobre : Galerie Adrienne D, Courtrai (Belgique)
- Novembre : Galerie Louis & Sack, Paris
- 22 - 27 novembre : FAB au Grand Palais, Paris
- 7 – 12 novembre : Shui-Li kiln God Festival, Echange Taiwan-Corée (Taiwan)
- 10 – 28 décembre : Galerie Salon H, Séoul (Corée)

Repères biographiques :

1955 : Naissance en Corée du Sud, à Taean, au bord de la mer, de parents paysans et pêcheurs.
1974-1980 : entre à L’Université Dankook à Séoul, en art ; il est le premier de son village à faire des études supérieures. Ses parents sacrifient une vache pour lui permettre de les suivre.
1974 : s’initie à la céramique dans un atelier à Ichon, où il sera bientôt professeur.
1981-1983 : vit et travaille en Grande-Bretagne où il participe à des expositions collectives.
1983 : débarque à La Borne, et se fixe définitivement à quelques kilomètres, à Montigny ; construit deux fours couchés Tongkama sur son terrain, en utilisant une technique personnelle.
1985 : installe un autre four en Suisse, à Emmental, où il passe aussi du temps.
1990-2000 : expositions aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse, en France...
1998 : Spirit of Nature, exposition personnelle à Mulhouse, au Musée de la Céramique.
2000 : retourne en Corée, où il ouvre un atelier sur le terrain de ses parents. Consacre du temps à l’éducation d’enfants par le biais de la poterie.
2000- 2024 : partage sa vie entre la Corée et la France (son atelier en Suisse est fermé en 2009).
- Crée le Festival “Eco-Art Naori” chez lui en Corée et l’été à Montigny (Cher).
2014 : Exposition à La Borne, pour ses trente ans d’activité.
- Au total, en quarante ans, plus de 250 expositions, personnelles ou collectives, en Corée et en Europe (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, France, Suisse, Allemagne) - Ses œuvres se trouvent dans de nombreuses collections publiques, en Corée, France, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Lituanie et Angleterre. 2024 : Exposition au Centre Céramique La Borne pour ses 40 ans de présence.

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