Antonio Segui, de l'absurde, peintre à dessein, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Antonio Segui,
de l'absurde, peintre à dessein
 
 
Grâce au catalogue, aux librairies et autres bibliothèques, les expositions institutionnelles, grandes et moins grandes, ne finissent jamais tout-à-fait, et c'est heureux. Celle que le Centre Pompidou a consacrée à Antonio Segui au second semestre 2005 mérite qu'on y revienne.
Voici

un

expressionnisme

de

l'énigme

et de

l'absurde
Antonio Segui
 
Portrait de Antonio Segui. Photo : Eduardo Grossman
 
 
Première rétrospective en France des œuvres sur papier, cet évènement - avec le catalogue toujours disponible - permet de mieux cerner l'importance de cet artiste majeur de notre temps, encore insuffisament diffusé. On regrettera seulement que l'occasion n'ait pas permis une exposition couvrant l'ensemble de son travail (il a notamment réalisé des fresques, céramiques et sculptures en acier peint monumentales).

Dans cet ouvrage figure en réalité une bonne approche de l'œuvre de Segui. En effet, le support papier a toujours été très présent dans son travail de peintre. En outre, toute son œuvre est fondée sur le dessin. Non qu'il fasse un dessin préparatoire : il dessine directement sur la surface, même les compositions les plus grandes et complexes, certaines mesurant plus de quatre mètres.

Picasso le formula, Segui le développa : dessiner comme un enfant.
Avec une âme de poète.

Antonio Segui, argentin né en 1934, vit en France depuis 1963. Lecteur de Sartre, Camus, Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo, Kafka ou Poe, des argentins Leopoldo Lugones et Roberto Arlt, nourri de George Grosz, Otto Dix, Constant Permecke et Max Beckmann, qu'il a découverts grâce au peintre espagnol Gutiérrez Solana, Segui cultive les références en voyageur invétéré et "voyeur exagéré", ainsi qu'il se présente. Il a aussi regardé Peter Blake, David Hockney et Allen Jones. Mais il avoue aimer Tanguy et Matta.

Voici un expressionnisme de l'énigme et de l'absurde, qui déroule la vision d'un monde imaginaire habité de phénomènes aberrants.
 
 
Antonio Segui
 
Bucolique, 1982. Collection particulière
Photo : André Morain © Adagp, Paris 2005
 
 
Les premières œuvres des années 1959-63 - Licenciado en vacaciones, Twisters, Generales probos - dénotent une recherche de simplification par des formes géométriques. Biennale de Paris 1963, galerie Jeanne Bucher, galerie Claude Bernard, la notoriété s'instaure.

Les Promeneurs, huile sur photographie et collage sur bois de 1963, fait apparaître une nouvelle évolution : la fixation d'éléments tels que l'homme au chapeau et le chien ou encore les inscriptions et les flèches. Car Segui nous invite dans son jeu : A vous de faire l'Histoire, série de 1969, se présente comme un patchwork de rectangles peints à l'huile sur carton, figurant pyramides et arbres, vestes et bottes, où des mots - dias pour la pyramide vue de jour, noche pour celle vue de nuit, etc. - ajoutent du dérisoire au burlesque et au métaphysique.

Cette série fut reprise par l'artiste dans les années 1990 en écho à sa propre collection d'art primitif (poteries Nazca, objets Quimbaya, africains,…). A Claude Schweisguth, conservatrice au Cabinet d'art graphique du Centre Pompidou et commissaire de l'exposition, Segui dit de l'"art premier", terme qu'il préfère : "Je pense qu'il dégage une certaine charge, dont j'ai besoin pour vivre. C'est mon miroir du matin."

Paris journal, montrée en 1992 à la galerie Marwan Hoss, est une suite - un film ? - de  cent quinze toiles peintes en quelques mois. Car il flâne, Segui, il flâne et il plane. Paris, La ville, prise de vitesse, ses monuments et ses habitants, déviés, diffractés, sur papier journal. Ironie. Avec son marcheur au chapeau, il les prend de haut et passe. Dérision. Au petit bonheur. 
 
 
Antonio Segui
 
Dia de viento (Jour de vent), 1992. Collection particulière
Photo : Jean-Claude Planchet, Centre Pompidou © Adagp, Paris 2005
 
 
Renouveler les techniques picturales

La technique revêt, à ses yeux, une grande importance. Il l'expérimente à l'envi : encre de Chine et bitume sur papier, huile et graphite sur bois peint découpé, encre lithographique et huile, huile sur photographie et collage sur bois… Lui qui fut professeur à l'ENSBA de Paris pendant cinq ans, pense d'ailleurs que l'enseignement des Beaux-Arts "devrait se limiter aux seules techniques, pour qu'ils (les élèves, NDLR) ne perdent pas de temps". "J'aime d'abord le "faire" dans la création".

Peinture imprégnée de sentiment rebelle face au monde et son spectacle, au puissant et son ridicule, à l'homme et sa vanité. Mais ce qui pourrait se traduire par une violence gestuelle ou chromatique trouve chez Segui une expression graphique infiniment rigoureuse et élaborée, posée : elle puise dans une ambiguité toute poétique servie par un trait caustique et maître de l'espace. "Pour moi ce qui importe dans ces images c'est que le spectateur soit actif : c'est à lui de créer l'histoire (…), autant de spectateurs autant d'histoires. L'image sert à imaginer, non ?".

Jardin, 2005. Segui ne dessine plus avec de la peinture, mais avec un feutre japonais. Couleurs fluo, personnages fantasques… Le rêve, au fil des ans, l'emporte sur le cauchemar, mais l'absurde plane encore. Et toujours… A la manière du théâtre de Copi.

Pessimiste, Segui l'est : "Je ne vois malheureusement actuellement aucun signe qui prouverait que l'homme réagit, aucune lueur nulle part qui me rende optimiste. L'argent a fait beaucoup de mal, même dans l'art. Avant, on voulait de l'argent pour survivre. Maintenant, tout le monde veut un château. Mais, plus que tout, j'ai peur d'une nouvelle guerre des religions."

Quand ils ne sont pas romanciers les meilleurs commentateurs de Segui sont des poètes. André Pieyre de Mandiargues, Jacques Lassaigne, Edouard Glissant, Gilbert Lascault, Jacques Meunier, Antonio Ramos Rosa, André Velter.

Car Antonio Segui crie, il crie dans le désert où les trouvères, seuls, se trouvèrent.
Olivier de Champris
Paris, Juillet 2006

Antonio Segui, Œuvres sur papier, Editions du Centre Pompidou, Paris
lire aussi : Antonio Segui, Le piéton de l'air, 2012

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