Jules Schmalzigaug, Futurismo au KMSKA
Une météorite futuriste belge
 

Schmalzigaug

Jules Schmalzigaug, Environment of Colour-Form: Shape That Makes Up the Head of a Singer, 1914

Jules Schmalzigaug (1882-1917) est une sorte de météore dans l'histoire de l'art du début du XXe siècle européen et belge. Les français comme les belges ne le connaissaient que vaguement. La première fois qu'on a pu voir une part de cette œuvre fut à l'occasion de l'exposition 1917 au Centre Pompidou Metz, sous le commissariat de Laurent Le Bon, directeur du centre (26 mai-24 septembre 2012.)* Cet anversois fut de tous les grandes expositions italiennes des futuristes avec Balla, Boccioni, Carrà, Severini, le bruitiste Luigi Russolo et bien sûr le poète et écrivain, F. T. Marinetti qui a été l'auteur du fameux Manifeste publié par Le Figaro, le 20 février 1909, en Une du journal. (1) Le mouvement fut fondé à Milan. "Être futuriste signifie poursuivre la régénération continue de toute chose, c'est-à-dire rechercher la plus totale adéquation de la vie humaine à la logique du devenir." Ecrivait G. Lista.

Cette exposition est une chance de découvrir un artiste qui était d'avant-garde très tôt dans son pays et par la suite à l'étranger.
Schmalzigaug est l'artiste belge qui a voyagé en Italie et vécu à Venise. Auparavant cette décennie, il a connu tout ce qui comptait de l'avant-garde à Paris, Venise et Rome ; il s'est imprégné de l'esprit futuriste et d'une certaine mesure des impressionnistes – pour les couleurs. Il avait une prédilection notamment pour certains tableaux de Rubens. Ses peintures, comme celle exposée à Amsterdam (1916), unissent ses talents d'impressionniste, de futuriste et de coloriste. Schmalzigaug a expérimenté "La Panchromie", un manifeste inédit qui explore l'utilisation de la couleur dans la peinture, influencé par les idées théosophiques. Il meurt prématurément en 1917. On imagine ce que sa destinée d'artiste aurait pu être par la suite à travers les révolutions du surréalisme et la deuxième partie du XXe siècle. Mais son tribut à l'innovation artistique et à l'interaction entre la couleur et la lumière restent remarquables dans l'histoire de l'art moderne. Une carrière prometteuse était sans aucun doute devant lui. Son talent avait été reconnu très vite.

Un peu d'histoire. Jules Schmalzigaug est peut-être la redécouverte la plus importante que les collectionneurs et marchands d'art anversois Ronny et Jessy Van de Velde (2) aient faite au cours de leur carrière. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, ils ont sauvé de l'oubli l'œuvre de ce pionnier moderne en organisant les premières expositions de son art. Plus tard, ils ont continué à faire de Schmalzigaug l'œuvre de leur vie. Ils ont été les principaux consultants et prêteurs des trois rétrospectives muséales consacrées à l'œuvre de ce futuriste et coloriste en Belgique, au KMSKB en 1985 et 2010, au Centre Pompidou-Metz, en 2012 pour l'exposition 1917 et au Mu.ZEE à Ostende en 2016.

Le commissaire de l'exposition, Adriaan Gonnissen, rappelle : "Dans une lettre adressée à Umberto Boccioni, l'un des chefs du futurisme italien, l'artiste anversois Jules Schmalzigaug (1882-1917) écrit : "Vous avez peut-être vu L'adoration des mages de Rubens à Anvers. Je ne connais pas de tableau impressionniste avec un rouge aussi chantant que celui du manteau du roi mage Melchior dans L'adoration des mages." Écrire précisément ça à un leader futuriste, cela en dit long sur son appréciation du tableau."
En 1914, Schmalzigaug est invité à participer à une exposition majeure organisée par les Futuristes à Rome. Dans son atelier à Venise, il s'attelle à la création de tableaux qui s'intègreraient à une exposition très avant-gardiste. Mais il a beau soutenir le manifeste futuriste rédigé l'année précédente par Carlo Carrà ; ses valeurs esthétiques l'attirent au KMSKA et à Rubens. "Pour Carrà, l'art des impressionnistes est un art du silence, et non du bruit. Les futuristes rejettent les couleurs nuancées et délicates des impressionnistes : les mauves, les verts pâles, les roses. Ils rêvent de matérialiser en peinture la vitesse de la vie moderne, avec le vacarme qui l'accompagne. Il faut donc des couleurs resplendissantes et "criantes". L'une des couleurs les plus importantes est le rouge. Un rouge plus que rouge, du rouge profond, saturé. Ce n'est pas tant le sujet de L'adoration des mages qui intéresse Schmalzigaug, ce sont les couleurs. Il peint des couleurs intenses aux rythmes arabesques, suggérant par exemple des contours de danseuses dans des salles éclairées par des lampes électriques. Les arabesques aux couleurs vives évoquent la vitesse et le mouvement. Ils constituent le motif le plus important de son œuvre futuriste."

Il suffit de regarder les tableaux de cette exposition pour se rendre compte de la composition géométrique dans les couleurs, les traces, les sillons de bandes de peintures qui traversent l'espace de la toile par une dynamique gestuelle et des fulgurances. Regardons par exemple ces œuvres : Dynamic Movement (1914), Impression of Café Florian, 1914, Development of a Theme in Red: Carnival, 1914, Light + Mirrors and Crowd: Interior of a Popular Ballroom in Antwerp, 1914, Speed, 1914, Light + Mirrors and Crowd: Interior of a Popular Ballroom in Antwerp, 1914, - Volume + Light: the Sun Shines on the Church of the Salute, 1914. Il y a également des tableaux de facture plus classique, dans le contexte de l'époque mais tout aussi moderne. Dans le catalogue on peut voir aussi de nombreux dessins réalisés à Venise. Un ensemble flamboyant qui nous est donné à voir. En revanche, la polychromie flamboyante de Schmalzigaug n'occupe une place de choix sur les murs du KMSKA que depuis la réouverture du musée en septembre 2022. Actuellement, ses tableaux sont exposés dans chacune des zones thématiques des "maîtres modernes" sur les thèmes de la lumière, de la couleur et de la forme.

L'histoire nous confirme que Schmalzigaug fut un grand artiste novateur, talentueux au cours d'une carrière éphémère mais florissante. Dans l'histoire du modernisme belge, sa place est celui d'un pionnier incontestable ainsi qu'en Europe. L'approche de la Première Guerre mondiale brise bien des rêves, y compris celui de Schmalzigaug ; il doit quitter son atelier de Venise, la ville qu'il aimait tant. Il rejoint sa famille aux Pays-Bas, pays neutre, et passe son exil forcé à La Haye où il se suicide en 1917. Il meurt dans son atelier, entouré de ses dernières toiles. Allez voir cette exposition historique et magnifique qui remet les pendules à l'heure !
Patrick Amine
Anvers, novembre 2024
 
 

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Jules Schmalzigaug, Futurismo ! du 28.09.2024 au 12.01.2025
KMSKA, Musée des Beaux-Arts Royaux d'Anvers. Royal Museum of Fine Arts Antwerp
Léopold de Waelplaats 1, 2000 Anvers
www.kmska.be

Notes :
Futurismo ! Le catalogue-livre a été publié suite au don de la Galerie Ronny Van de Velde en 2022 et accompagne l'exposition Jules Schmalzigaug (1882-1917). Futurismo ! du 28 septembre 2024 au 12 janvier 2025 au Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers (KMSKA). Ouvrage indispensable.

(1) L'intention de Marinetti est radicale : assez des chefs-d'oeuvre du passé et des musées, vive la modernité des villes et la beauté de la vitesse ! Des peintres s'y rallient bientôt : Boccioni, Carrà, Russolo, Balla et Severini … ils évoquent le "dynamisme pictural". Les soirées futuristes et conférences se multiplient un peu partout en Europe, de même que les manifestes, tant politiques qu'artistiques. Gagnant rapidement tous les domaines : sculpture, architecture, musique, mais aussi cinéma, théâtre, danse, mode et cuisine, le futurisme opère jusque dans les années 1930 une véritable révolution des idées. Voir les livres de Giovanni Lista. (2) En 2020, ils ont publié le catalogue raisonné de son œuvre. Cette importante publication est le principal ouvrage de référence sur Schmalzigaug et est régulièrement mise à jour (numériquement) avec de nouvelles informations et découvertes. Le catalogue est disponible en permanence et peut être consulté sur le site web de la Galerie Ronny Van de Velde.

• Outre cet aperçu de sa carrière avec les contributions des conservateurs du KMSKA Herwig Todts et Adriaan Gonnissen, une biographie de l'artiste a également été publiée, rédigée par Peter J.H. Pauwels. En 2023, un délicieux projet est venu s'ajouter à ce programme déjà passionnant, sous la forme d'un podcast intitulé Jules Schmalzigaug (1882-1917). Het gedreven leven van een Antwerps futurist ("La vie dévouée d'un futuriste anversois") (accessible via Spotify, voir le code QR sur la dernière page de ce livre). Le narrateur Eric Rinckhout et l'acteur belge Matteo Simoni dans le rôle de Schmalzigaug donnent vie à l'homme et à l'artiste dans ce livre audio unique et parfois émouvant. Le nom de Schmalzigaug mérite d'être plus connu au niveau international. Certaines de ses œuvres figuraient déjà dans l'exposition Futurismo & Futurismi de Pontus Hultén, qui a attiré les foules au Palazzo Grassi (Venise) en 1986. En 2003, deux tableaux ont été présentés dans la section "Orphisme" de l'exposition Aux origines de l'abstraction au Musée d'Orsay. En 2022, deux de ses meilleures œuvres ont été présentées dans le cadre d'une exposition intitulée Futurismo. La nascita dell'avanguardia 1910-1915 au Palazzo Zabarella de Padoue. Comme le rappelle Adriaan Gonnissen, dans le catalogue. • Free Futurist International Exhibition at Galleria Futurista of Giuseppe Sprovieri, Rome, 1914

Umberto Boccioni invited Schmalzigaug to participate in the Free Futurist International Exhibition in Rome in 1914 at Galleria Giuseppe Sprovieri. Schmalzigaug selected six paintings. More than 100 years later, in 2016– 2017, this ensemble was reconstituted for the first time at Mu.ZEE, Ostend. In this publication, the six works are reunited for the first time according to the original catalogue's numbering (1-6). For a more in-depth explanation of these six paintings, see Adriaan Gonnissen, ‘Ik leef in het midden van een prisma...', / Je vis au milieu d'un prisme/ in Ronny and Jessy Van de Velde (eds.), Jules Schmalzigaug 1882-1917. Oeuvrecatalogus, Antwerpen : Van de Velde/Ludion, 2020.

* Centre Pompidou Metz, 2012. "L'exposition 1917 questionne la création artistique en temps de guerre, à l'échelle de cette "année impossible" au cours de laquelle le monde s'enlise dans un conflit dévastateur, avec la présentation exceptionnelle du rideau de scène du ballet "Parade", œuvre monumentale de Picasso, qui n'a pas été montrée en France depuis plus de vingt ans.
Foisonnante et pluridisciplinaire, cette exposition propose un aperçu instantané de tous les champs de la création d'une année de la Première Guerre mondiale. Il s'agit ainsi d'interroger ce que représente, pour l'activité artistique, un contexte aussi resserré et précis qu'une année, tout en déjouant les attentes et les a priori sur ce que peut être l'art en temps de guerre."


Biographie :
Au début des années 1900, Jules Schmalzigaug (1882-1917), peintre anversois d'origine allemande, se passionne pour la vie urbaine trépidante de métropoles telles que Paris, Rome et Venise. C'est dans la mythique ville d'eau du nord de l'Italie qu'il s'est entiché de la lumière chatoyante et des vues sur les nombreuses églises et basiliques de la ville, le palais des Doges et les piazze, ainsi que la lagune et ses gondoles. Il fréquente les salles de danse et les caffè concerti de la ville. Il a également été le témoin direct des débats animés entre les "passéistes" les plus conservateurs et les futuristes les plus progressistes au célèbre caffè Florian sur la légendaire place Saint-Marc. Rarement le choc entre l'ancien et le nouveau n'a été aussi passionnant qu'en ces premières années grisantes du XXe siècle.
Schmalzigaug croit de plus en plus au modernisme visuel des futuristes. Il avait également remarqué l'accélération de la vie moderne, de la technologie et de l'industrie, ainsi que les bouleversements socio-économiques, auxquels ces avant-gardistes adhéraient sans réserve. En 1911, il écrit de Paris à ses parents à propos de sa visite des "machines volantes" lors du Salon de l'aéronautique : "Il y a des stands avec des machines qui rivalisent de perfection et sont d'une pureté admirable. C'est infiniment plus intéressant qu'un salon de peinture où la règle est que quelques artistes montrent des œuvres sérieuses mais beaucoup de croûtes." Deux mois plus tard, toujours dans la capitale française, Schmalzigaug est encore plus époustouflé par sa visite de l'exposition des futuristes à la galerie Bernheim-Jeune. Bouleversé par ce qu'il voit, il écrit qu'il sent qu'il est témoin d'une certaine innovation, mais "je ne la comprends pas encore". Il faudra attendre le début de l'année 1914 pour qu'il ose clouer ses couleurs au mât dans une lettre adressée à Umberto Boccioni, l'un des leaders incontestés du mouvement futuriste. Il affirme avec assurance qu'"une discipline nouvelle pour l'étude de la couleur" ponctuera sa propre aventure moderniste, déclarant qu'il a l'intention de composer des tableaux futuristes comme une grande "polyphonie optique" de pigments. Il se référait plus précisément au "rouge qui chante" : le vermilion luxuriant qui chante, comme dans l'iconique manteau rouge flottant au premier plan du retable de Pierre Paul Rubens L'adoration des mages (1624), exposé au KMSKA.

Schmalzigaug n'a donc eu aucun mal à faire le lien entre les souvenirs du musée historique de sa ville Outre l'écho de l'opéra en peinture de Rubens, le rouge qui chante est aussi une référence aux effusions sensorielles de Carlo Carrà, un futuriste qui, dans son manifeste La Peinture des Sons, Bruits, Rumeurs (1912), a fait la déclaration suivante : "La peinture des sons, des bruits et des odeurs demande… : 1. Toutes les couleurs de la vitesse, de la joie, des carrousels et des carnavals fantastiques, des feux d'artifice, des chants de cafés et des music-halls ; toutes les couleurs vues dans le mouvement, les couleurs vécues dans le temps et dans l'espace ; toutes les couleurs de l'air, de l'eau, de l'air, de l'air et de l'espace. (…) Au printemps 1914, le style de Schmalzigaug commence à être apprécié dans les milieux futuristes, notamment grâce à sa participation à la très médiatique Exposition internationale libre du futurisme à la Galleria Giuseppe Sprovieri à Rome. L'ensemble de six tableaux qu'il présente est accueilli positivement et décrit avec justesse comme des "rythmes d'arabesques colorées" dans la revue italienne d'avant-garde Lacerba. A Rome, il trouve également une oreille attentive et très érudite auprès du peintre Giacomo Balla, qui a ouvert un atelier d'enseignement.

Si cette réhabilitation est tout à fait justifiée, elle a pris du temps. D'une part, comme nous le verrons, l'essentiel de la collection de Schmalzigaug a été constitué en une seule fois [phase 1] en 1928 grâce à un don de l'artiste. Et grâce à une donation du frère de l'artiste. Jules Schmalzigaug" est devenue la sous-collection du musée qui a connu la croissance la plus rapide en quatre phases consécutives entre 2015 et 2022. Le KMSKA possède désormais une collection de 218 numéros d'inventaire (sans les documents d'archives), ce qui en fait la collection la plus complète et la plus qualitative au monde – comme pour Ensor et Wouters – de l'œuvre de Schmalzigaug. Le 15 mai 1928, le conservateur en chef du KMSKA, Arthur Henry Cornette, a posté une lettre adressée à son "cher ami" Walter Malgaud, avocat de profession et frère cadet de Schmalzigaug. (Peu après la guerre, la famille d'origine allemande avait changé son nom en Malgaud à consonance française. La crainte, pas tout à fait injustifiée, d'une antipathie latente à l'égard d'un nom à consonance allemande à Anvers à l'époque aurait joué un rôle essentiel à cet égard). L'historique de l'exposition de tous les tableaux donnés par Malgaud révèle qu'ils (ainsi que les pastels) ont été présentés lors de la rétrospective du Kunst van Heden en 1923. Il nous apprend également que des tableaux tels que Vitesse, lumière + miroirs et Foule et rythme des ondes lumineuses n'ont été sélectionnés pour une autre exposition temporaire qu'en 1963. Cette année-là, Michel Seuphor organise une exposition intitulée Abstracte Schilderkunst in Vlaanderen ("Peinture abstraite en Flandre") à la Hessenhuis d'Anvers. C'est la première fois que le rôle de Schmalzigaug en tant que pionnier de la peinture abstraite est clairement reconnu. Bien des années auparavant, en 1932, Seuphor avait déjà dédié son livre Un renouveau de la peinture en Belgique à Schmalzigaug. Mais c'est surtout parce que Seuphor a écrit ce livre dans une petite chambre de l'auberge du Nouveau Boulevard à Lissewege, où Schmalzigaug a également séjourné en 1909 et 1910. Voir Catalogue de l'exposition.
 

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