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Gardes, en avant !
Camarades suprématistes ! Émules constructivistes ! Révolutionnaires de l'expression plastique ! Vous ne pensiez pas être encensés en un temple de l'art bourgeois, presque un siècle après vos combats ? Eh bien si : vous voilà même récupérés. Mais de belle manière, comme il se doit. Sur deux des trois étages d'un hôtel de maître somptueux, un délicat parcours feutré place quelques-unes de vos œuvres exemplaires au long d'un trajet sans faille, tant par le propos que par l'accrochage élégant qui le soutient.
Pourquoi l'obscur Costakis s'est-il entiché de vos démarches, de votre philosophie, de vos expressions ? Cela reste un mystère. Avec quels moyens a-t-il acquis les plus pointues de vos œuvres, pour vouloir les céder ensuite à un improbable musée de Thessalonique ? Énigme, encore. Comment ces œuvres majeures ont-elles transité vers le Quartier Latin pour ce déploiement totalement inattendu ? Pas de doute : il doit y avoir quelques alliances secrètes qui ont soutenu ce processus. Mais sa mise en lumière ne fait aucun doute. Il existe une Secte d'Excellence qui garde le message vibrant et original de votre démarche, et veut en manifester les forces vives de temps à autre.
Vous êtes près d'une quarantaine à voir vos œuvres magnifiées ici. Nous n'allons donc pas nous livrer à l'exercice d'un article-catalogue lassant et métalinguistique. La pertinence de cette expo se suffit par elle-même, de même que son catalogue exhaustif, de haute et limpide tenue éditoriale. Tant par le fond que par la forme, ce qui devient rare - et mérite d'être souligné avec vivacité de regard et d'esprit.
Et puis, Ilya…
Maintenant, vos clairvoyances méritent résurgence. Et qui de mieux que Kabakov pour s'y attaquer ? Voilà bien la surprise que chacun attendra : son invraisemblable installation "La cuisine communautaire", qui illustre les dérives sociales du stalinisme qui a fini par vous couper les ailes. Joli résultat, en effet. Un environnement presque cubique de six mètres d'arête, dont chaque élément constitutif traduit le misérabilisme dans lequel le Peuple devait survivre alors. Dans les couleurs qui s'imposent, l'ocre-brun foncé et le vert lavasse propres aux usines de l'époque. Comme éclairage, deux ampoules de 60 watts – belle incitation à la méditation, vous l'aurez compris. Et au cafard tout autant : non, ces années-là étaient tout, sauf rose et lumineuses.
Ancêtres du Pop ?
Bien avant le Stijl et le Bauhaus, vous avez voulu étendre et démocratiser vos pratiques. Plus question de vous limiter à la peinture de chevalet. Vous êtes déjà en train d'exploser le graphisme, le mobilier, les décors de théâtre, l'architecture, même les objets de la vie quotidienne. Splendide cohérence, quête d'universalité éperdue, rigueur et intelligence des expressions. Tout est dans tout, dirait l'autre, et réciproquement. Tout transcende -ou magnifie- tout, ajouterions-nous. Et voilà, entre-temps les regards se sont ouverts, enrichis, les esprits se sont vitaminés. Et vous savez quoi, Camarades ? Voici que les vagues actuelles semblent nous amener "vers de nouveaux rivages". Comme par hasard, ce sont justement les vôtres… du siècle passé, an pour an. Rafraîchissant, ce IIIe millénaire, vous ne trouvez pas ?
János Kovács
Paris, janvier 2009
L'avant-garde russe, la collection Costakis, jusqu'au 2 mars 2009
Fondation Dina Vierny - Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris, www.museemaillol.com
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