Dominique Rousseau à Angers
Un atelier océanique
Dominique Rousseau
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Dominique Rousseau, Planktos

En entrant dans l'atelier angevin de Dominique Rousseau, le regard est d'emblée submergé par les papiers qui tapissent toutes les surfaces, horizontalement, verticalement, dévalant en cascade les hautes parois de bois, ou reposant, en cours de création ou de séchage, étales, sur de longues tables au centre de la pièce.

Submergé, le verbe est celui qu'il nous faut pour décrire le travail en cours. L'artiste prépare depuis plusieurs mois de grands papiers destinés à illustrer le poème Planktos (1), dernière création de Régis Poulet, géologue et poète, actuel président de l'Institut de géopoétique (2) fondé par Kenneth White, pour une prochaine exposition qu'ils projettent ensemble. Où et quand, cela n'est pas encore fixé, mais c'est une évidence, elle aura lieu. Avec Planktos, où “Tout est en mouvement / à toutes les échelles / et à tous les instants / cellules continents / tout s'écoule / tout est fluide / du tissu au cristal / de la vague / au plancton / les forces dans les plis / forment des champs / d'orientation”, nous plongeons dans les profondeurs marines, à la découverte des êtres microscopiques à l'origine de la vie même, marine puis terrestre, qui aujourd'hui encore peuplent les profondeurs, nourriture essentielle du vivant. Un thème qui lui permet de nous immerger autant dans les abysses des océans actuels que dans l'histoire antédiluvienne de la planète. Il constitue une suite logique à son travail, après l'exposition en 2022 au Museum d'histoire naturelle de Bourges consacrée à la terre, à la vie des sols (Sols majeurs), qui nous entrainait sous la surface de la terre, dans sa chair dense, pleine d'une vie aveugle à nos regards.

La vie de la Terre, des océans ou des continents, ses métamorphoses multiples et incessantes, dans le présent comme sur le très long terme, passionne depuis longtemps Dominique Rousseau. Il y scrute les plantes, les roches, les animaux, les formes et les traces qu'ils laissent sur ou dans les sols. C'est ce qui l'a toujours captivé et ce sur quoi il veut attirer notre regard. L'artiste mime en quelque sorte ce travail de la vie à l'oeuvre à travers le temps en déposant des empreintes de feuilles, d'écorces, de fruits, de racines, de coquillages, de polypes, d'algues sur ses papiers. Des papiers épais qu'il fabrique lui-même, de façon artisanale, en reprenant une technique ancestrale. La pâte à papier, fraichement imprimée, dégoutte lentement dans de longs tamis, comme fait une eau de pluie sur un sol jonché à travers les lianes de la jungle, comme l'eau de mer sur l'estran, à marée descendante, et des formes apparaissent, créant de nouvelles concrétions, de nouveaux fossiles. Les éléments naturels, les fibres, les pigments, et rien qu'eux, pour évoquer la nature ; la nature immémoriale, celle du temps long, qui nous englobe, qui nous a précédés, qui nous suivra. C'est cette histoire de la Terre plutôt que celle des hommes, ces “lignes du monde” qu'il veut ainsi suivre, recréer et nous révéler à travers ses papiers.

Ce regard intensément porté sur la Nature l'a conduit à se rapprocher depuis longtemps d'artistes comme Frans Krajcberg et Kenneth White avec lesquels il avait noué une longue et vive amitié.

Krajcberg d'abord, le sculpteur d'arbres, l'artiste multiforme, le militant écologiste, le grand défenseur de la planète Terre et de la forêt amazonienne : il va de lui-même le voir chez lui à Bahia dans les années 90 à l'occasion d'un séjour au Brésil, et l'artiste brésilien (d'adoption), en retour, l'invite à venir le voir à Paris dans son atelier de Montparnasse (3). Ils s'y verront à de nombreuses reprises, à chacun des passages de Krajcberg à Paris. Il ira ensuite, invité par lui, travailler au Brésil dans son domaine de Nova Viçosa, où la découverte sur le rivage d'un squelette de baleine lui inspire à son second séjour, la série “O sonho da baleia”. Il lui emprunte à ces occasions des pigments et des empreintes d'animaux, de végétaux, qu'il insère dans ses papiers.

Ses liens avec le poète et écrivain écossais Kenneth White se tissent dans la décennie suivante. Dominique Rousseau provoque là encore la rencontre. Se sentant proche de lui par son goût pour les voyages aux limites du monde, pour une nature sans l'homme, pour sa géopoétique, il le contacte en 2006 et lui demande s'il veut bien écrire une préface au catalogue de son exposition qui doit avoir lieu au Museum d'histoire naturelle à Angers, et qui s'intitulera, à son instigation, “Lignes du monde”. Non content de lui écrire cette préface, Kenneth White, enthousiasmé, propose qu'ils se lancent ensemble dans un programme de livres d'artistes à quatre mains. Ils en créeront une vingtaine entre 2007 et 2023, entre Angers et Trébeurden (en Bretagne), et plusieurs étaient encore en cours d'élaboration au moment du décès il y a un an de Kenneth White, qui lui a demandé de les achever pour eux deux. Prolifique amitié ! Ils avaient eu le temps de décider le legs de leurs livres communs à une institution publique, finalement la bibliothèque d'Angers, donation que Dominique Rousseau vient de parachever. Suivant un rituel bien établi, ce dernier proposait ses papiers, uniques ou en quelques exemplaires, à Kenneth qui en retour y inscrivait au crayon ou à l'encre des textes inédits : ainsi sont nés Lettre à Blaise Cendrars, Le livret du Cabaneiro, Okéanos, Mémoires de la mer Erythrée, le livre de la tortue, le tombeau de Queequeg, ou Kula, pour n'en citer que quelques-uns. Ils ont pour sujet les terres ou les mers lointaines, de l'Asie à l'Amérique, du Pacifique à l'Atlantique, et l'évocation des cultures traditionnelles attachées à ces territoires, souvent à travers un personnage réel ou légendaire qui les a arpentés, pour en magnifier la nature et les êtres qui ont su vivre avec elle dans un rapport harmonieux, acquisition d'une expérience millénaire. Vaut-il la peine de dire qu'une telle démarche artistique traduit les préoccupations fondamentalement écologiques de leurs auteurs, qui, sans être aucunement une posture de circonstance, résonnent pleinement avec nos inquiétudes actuelles.

Ce goût presque exclusif pour la Nature, pour les cultures premières aussi, se comprend aisément chez Dominique Rousseau si l'on reprend tout son parcours. Ayant débarqué jeune au Vietnam avec ses parents en 1962, il a vécu une trentaine d'années en Asie puis en Afrique de l'Ouest et du Nord, et s'est ainsi imprégné des paysages et de l'esprit de ces pays. Le fait d'avoir été immergé dans des cultures extra-européennes dont la relation à la nature est plus étroite et plus respectueuse que la nôtre a forgé sa sensibilité esthétique. Même revenu en France, il n'a de cesse par la suite avec son épouse de voyager sur tous les continents, découvrant notamment l'Amérique latine, particulièrement le Brésil auquel il va se sentir attaché par l'adoption de leurs deux enfants. Cette curiosité viscérale pour les cultures traditionnelles, et un lien ressenti comme de plus en plus étroit avec la nature fondent sa personnalité d'artiste. Il s'était mis à dessiner de façon compulsive à l'adolescence – une sorte d'écriture automatique proche des surréalistes, dit-il, - et a exposé pour la première fois à Tunis à 17 ans avant même d'avoir passé son bac. Passionné par l'habitat traditionnel d'Afrique du Nord, il suit des études d'architecture entre Tunis, Paris et Montpellier, puis, à son retour en France, passe les concours d'enseignement, capes puis agrégation dont il sort major en 1999. Il se relance dans la gravure, un medium qui lui semble bien traduire ses obsessions. Mais, le multiple l'intéressant peu, il en vient à fabriquer ses propres papiers à la fin des années 90. C'est à ce moment qu'il a le sentiment de s'être véritablement trouvé comme artiste, d'avoir établi une cohérence entre son regard, son intérêt profond et sa pratique.

Le résultat est une oeuvre dont la figure humaine, celle de l'artiste aussi, est désormais quasi absente, mais qui fait pas à pas émerger du blanc des horizons éloignés, ou rapproche de nos yeux les figures d'un monde étrange. L'artiste utilise des formats et des formes variées, qui vont du papier allongé plié en leporello, vertical comme un kakemono, carré ou rond comme un tondo, à d'immenses feuilles ajourées de la taille d'un mur qui délaissent toute géométrie simple. Dans cette originale cartographie, qui pourrait au premier abord s'apparenter aux planches des géologues, des zoologistes ou des botanistes, le papier, devant notre oeil, n'est plus une surface, plus ou moins chargée de pigment et de matière ; véritablement sculpté, il suggère les mystères d'un monde en épaisseur, en profondeur ; nous dérivons dans des paysages sous-marins ou terrestres, parmi les roches, les plantes, les animaux aux formes étonnantes, où s'agrègent des strates, des plissements, des couches, où se font jour des effilochements, des transparences, des creux, des vides. Et curieusement, ses courbures, ses pliures, ses floraisons ont beau être les signes des turbulences de la terre et du vivant, elles paraissent, figées dans le papier, ici assagies et harmonieuses. Une manière justement pour lui de révéler des pans d'un univers ignoré ou de réveiller des mondes endormis, de reconquérir par l'imagination des espaces vierges aux apparences fabuleuses pour ses contemporains, habitants pour la plupart de villes quadrillées au damier sans mystère.

Une oeuvre qui nous décentre, tout en nous rattachant à toutes les créations de la Terre, qui nous dissout autant qu'elle nous replace dans l'immensité de son espace et de sa durée. Un artiste qu'il est temps désormais de découvrir, car, aussi discret qu'obstiné, il trace en secret les lignes d'un monde près desquelles, s'il n'était là, on passerait sans en rien deviner, et dont la contemplation nous entraîne dans un silencieux voyage.
 
Gildas Portalis
Angers, décembre 2024
 
Dominique Rousseau à Angers. Un atelier océanique
dominiquerousseau.com
 
 
Dominique Rousseau

Dominique Rousseau à l'atelier

 
Notes :

(1) Planktos, Régis Poulet, page 82, Ed. Isolato, 2018
(2). Kenneth White et l’Institut international de Géopétique, institut-geopoetique.org
(3). Espace Frans Krajcberg, 21 avenue du Maine, 15ème, Paris, espacekrajcberg.fr
 
Repères biographiques et expositions :

1953. Naissance au Mans
1962-1971. Enfance nomade. Il grandit dans divers pays grâce à ses parents coopérants au Vietnam, puis au Cameroun et en côte d’ivoire et enfin en Tunisie où il réalise sa première exposition personnelle (Galerie Nahum) avant de passer son Bac philo.
1971-1977. Etudes d’architecture à Paris, puis Montpellier. Voyage d’étude dans le sud Tunisien et Algérien.
1977-1987. Travaille en Algérie et Côte d’ivoire comme architecte.
1988 – 2014. Retour en France. Enseigne les Arts plastiques à Angers. Major à l’agrégation d’Arts plastiques en 1999.
2006. « Lignes du monde » - Muséum des sciences naturelles - Angers (49) - Début de la collaboration avec Kenneth White sur les papiers et livres d’artistes.
2010. « FragmenTerre » - LarcadeGallery Environnemental Art (Paris)
2013. « Mémoires du fleuve » - Montjean-sur-Loire (Maine-et-Loire)
2017. Triennale internationale du papier Charmey (Suisse) . « Eaux dormantes » jardin botanique de Meise (Belgique)
2018. Papier Biennale Rijswijk - Museum Rijswijk
2019. Shanghai International Paper Art Biennal - Musée Fengxian (Chine)
2020. « Figures de la terre » - Centre d’art régional de Fontenoy (Yonne). « Océanités » Dominique Rousseau et Kenneth White - Chapelle des Ursulines (Lannion, Côtes d’Armor)
2021. Paper Toyota (Japon) ."De fibres et d'eau" - Abbaye d'Alspach - Kaysersberg
2022. « Confluence » Institut français de Hué (Vietnam) . « Sols Majeurs » - Muséum de Bourges (Cher)
2023. « A viagem dos papeis géopoéticos » Rectorat de l’UNEB Salvador de Bahia (Brésil)
2024. « Opus cosmopoeticum » Donation au fond patrimoine de la bibliothèque d’Angers
voir vidéo https://vimeo.com/980648445

Prochaines expositions 2025 :

- Février - « Océanités » Tour Saint Aubin Angers – Officialisation de la donation à la ville d’Angers
- Mai – « Printemps du papier » Beaulieu les Loches Invité d’honneur
- Juin – « D’îles en îles » Chapelle Notre Dame de l’île Barbe Lyon Souchaud Art Project
- Octobre – « Magna Carta » Expo et Colloque UNEB Salvador de Bahia (Brésil)
- Novembre – « Comme de l’écume » Centre Jacques Prévert Montreuil-Juigné

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