Rachel Labastie, Remedies
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Rachel Labastie, Remedies
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Rachel Labastie, Remedies

J'ai découvert l'artiste, Rachel Labastie, lors d'une très impressionnante exposition sur le littoral de Biarritz, à Anglet, en 2016 (1), sous la direction de Paul Ardenne. La barque rougeoyante qu'elle avait façonnée, qui gisait sur la lande immense, non loin de la mer, reste présente dans notre mémoire. Profondément liée aux éléments naturels : terre cuite, grès, céramique, le bois, la porcelaine modelée, elle prend à bras le corps toute une panoplie d'éléments pour construire son univers, ses fictions et sa perception du monde à travers un regard critique et ludique, d'une certaine manière. Chaque exposition, conçue ces dernières années, est une occasion pour nous de découvrir ses diverses préoccupations stylistiques et conceptuelles. Ses objets sculptés, ses céramiques, ses bois, ainsi que son installation intitulée "Des Forces" : des bras de marbre tendus, qui délimitent un espace du musée et participent d'une scénographie pleinement réglée.

Pour cette exposition, à Bruxelles, dans un cadre magnifique, elle a déployé un ensemble thématique, qui évoque les contraintes physiques et mentales dans nos sociétés. Ses éléments de réflexion et ses matériaux se combinent pour refléter des préoccupations personnelles et publiques, historiques pourrait-on dire, plus larges. Se dégage de ce déploiement plastique une grande force et une attention particulière dans les détails des œuvres présentées (une trentaine environ), liées directement à l'immersion de son corps dans la sculpture. Sa résidence aux Musées royaux l'a porté vers un dialogue très particulier avec un tableau de la collection permanente, "La mort de Marat" de Jacques-Louis David (1793), qu'elle a choisi et qui ouvre l'exposition dans le grand hall du musée. Une œuvre imaginée comme un "hors-champ". Une nouvelle interprétation, une évocation avec un point de vue singulier : montrer la tête de Charlotte Corday, céramique en médaillon - celle qui assassina Marat.

Plusieurs séries d'œuvres constituent cette exposition : les Entraves, les Bâtons, les Forces, les sculptures réalisées notamment à Carrare, les tableaux-caisses, les Pieds, les ossements et têtes réalisés en grès avec une installation de céramique qui évoquent d'une certaine manière la condition humaine. Les bâtons, qui sont piqués de tessons de céramique, proviennent d'un séjour en Espagne (Navarre). Cette artiste prolixe emploie divers matériaux : le bois noble, l'osier, la terre, l'argile, la porcelaine, le grès, le marbre, qui distillent une atmosphère qui nous plonge dans une sphère d'éléments singuliers qui évoquent un écosystème attractif par sa forme de "naturalisme". Les pieds de femmes en argile sont bien ancrés dans les socles ; le retable renvoie simultanément à un espace profane et à un espace sacré, où le verre, le calice instaure une fragilité. Sur un mur, nous avons des haches en céramique grise qui sont plantées dans la pièce principale de l'exposition. Non loin, dans un espace circonscrit, ce sont les "Forces", ces bras de marbre tendus avec des sangles bleues. Cette œuvre dans son ensemble respire la sensualité, l'approche physique de l'artiste, son corps projeté dans la matière utilisée… Les mains de Rachel Labastie révèlent une force qui habite toutes ses créations.

Je voudrais citer à son propos, l'historien d'art, Henri Focillon (1881-1943), dans son remarquable Éloge de la main. Il écrivait que "la possession du monde exige une sorte de flair tactile. La vue glisse le long de l'univers. La main sait que l'objet est habité par le poids, qu'il est lisse ou rugueux… L'action de la main définit le creux de l'espace et le plein des choses qui l'occupent. Surface, volume, densité, pesanteur ne sont pas des phénomènes optiques. C'est entre les doigts, c'est au creux des paumes que l'homme les connut d'abord." Il continuait par ces mots : "Je ne sépare la main ni du corps ni de l'esprit. Mais entre esprit et main, les relations ne sont pas aussi simples que celles d'un chef obéi et d'un docile serviteur. L'esprit fait la main, la main fait l'esprit."

Cette profonde pensée est à l'œuvre chez Rachel Labastie. Faisons un flash-back dans le temps pour évoquer quelques mots de Robert Lebel qui disait à propos de la conception d'une œuvre d'art que : "toute expression est proposition d'une conduite, toute interrogation recherche d'une conduite." Dont acte ! Je vous invite à découvrir le travail de cette artiste qui ne cesse d'ouvrir les portes vers l'infini.
 
Patrick Amine
Bruxelles, novembre 2021
 
 
Rachel Labastie, Remedies, du 15-10-2021 au 13-02-2022
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Rue de la Régence, 3 - 1000 Bruxelles - tél. : +32 2 508 32 11
Commissaire de l'exposition : Sophie Hasaerts.

Et en ce moment à l'Abbaye de Maubuisson (France) : LES ELOIGNEES - 3/10/2021 - 28/02/2022. (1)2016 - Anglet - La littorale, Biennale d'Anglet, France, commissaire Paul Ardenne.

Note :
Nous pouvons voir dans les expositions des Musées Royaux : Amé Mpane, le premier artiste congolais à exposer aux Musées royaux, il partage son temps entre Kinshasa, sa ville natale, et Bruxelles, son lieu de résidence, ce qui lui permet de poser un regard dynamique sur l'histoire de l'art mais aussi sur l'histoire des civilisations. A l'invitation des Musées royaux de choisir un chef-d'œuvre à revisiter parmi ses collections, la réponse s'est imposée à Aimé Mpane : Quatre études de la tête d'un Maure (1614), de Peter Paul Rubens. Et une exposition notamment de l'artiste, Fabrice Samyn, à voir.

www.fine-arts-museum.be

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