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"Un atelier de peintre doit être un laboratoire.
On n'y fait pas un métier de singe, on invente."
Pablo Picasso (1)
On ne se lasse jamais de voir les œuvres de Picasso. Chaque moment de sa vie de créations est un enchantement renouvelé. Chaque œuvre dévoile toujours des éléments et des signes que nous n'avions pas saisi les premières fois. Cette grande exposition est réalisée avec le Musée national Picasso-Paris. Il s'agit de montrer les rapports de Pablo Picasso (1881-1973) avec l'abstraction. L'exposition s'est ouverte le 14 octobre 2022 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Les deux institutions abordent un thème peu exploré, à quelques exceptions près, il y a eu, certes, quelques expositions par le passé où un ensemble d'œuvres de Picasso ont été montrées pour ponctuer sa biographie, sa chronologie personnelle et sa traversée du XXième siècle. (2) Le sujet qui est mis en scène ici envisage les rapports parfois "tendus" de Picasso à l'abstraction. Plus de cent quarante œuvres exceptionnelles sont visibles au musée, et mises en vis-à-vis notamment avec quelques œuvres de Braque…de Cézanne. Michel Draguet, dans son introduction à cette exposition riche et dense, écrit : "Pablo Picasso a toujours été lié à l'abstraction, dont il a été l'une des grandes sources. À l'exception de Kandinsky, toutes les pionnières et tous les pionniers de la peinture abstraite se sont d'ailleurs appuyés sur la démarche de Picasso. Qu'il s'agisse de Kazimir Malevitch, de Vladimir Tatline, d'Olga Rozanova ou encore de Piet Mondrian. Grâce aux collections du Musée national Picasso-Paris, venues en droite ligne de l'artiste et qui constituent le laboratoire de son œuvre, nous pouvons retracer un cheminement unique au XXe siècle. Dans sa recherche d'expression, Picasso a exploré des pistes multiples et se livre à un travail de libération de l'expression dégagée de la norme mimétique et de son rendu naturaliste. Il consacre le cubisme en langage des avant-gardes. La présente exposition entend montrer comment le peintre n'a cessé de s'avancer vers l'abstraction tout en refusant d'y céder. Comme le dit l'expression des années 1950, il "franchira la ligne" régulièrement pour développer une peinture qui soit la représentation des seules valeurs qu'elle s'assigne : déduite – abstraite – du réel et totalement autonome à l'endroit de ses conventions."
Picasso a traversé tous les courants de l'art sans s'attardé sur l'un d'eux en particulier. Il a été une comète insaisissable. Cubiste ou abstrait, il a montré qu'il pouvait créer des œuvres sans appartenir totalement à aucun courant. Il traverse et file ! Libre par son imaginaire et ses visions impénétrables comme celles qu'avait pu avoir un Cézanne. Maître absolu pour cette décennie. Abstraction ou expérimentations cubistes qui datent de 1907 – après les périodes bleu et rose – Picasso peint en parallèle également les Demoiselles d'Avignon. Il semble nous dire qu'il tient toutes les barres de l'Histoire des arts ! Il invente tout simplement des images inédites et originales. À cette même époque, au printemps 1907, Picasso découvre les collections d'objets africains et océaniens du Musée du Trocadéro. Et en août 1912, il achète à Marseille un masque Krou (Grebo) provenant de Côte-d'Ivoire. Leur plasticité étonnante lui inspire une série de guitares aux formes insolites qu'on l'on peut voir dans cette exposition. Il va en collectionner quelques-uns (une partie de sa collection est visible à Paris notamment). Puis très vite, il intègre toutes les formes de ces sculptures qui proviennent d'une autre culture. Il absorbe et recréé. Picasso et Braque, son ami de "cordée", lancent le cubisme (daté de 1908). Les figures et les formes trouvent une nouvelle vie dans l'espace de la toile, la géométrie, les volumes sont des éléments qui révèlent de nouveaux rapports avec les corps, les nus sont découpés à la manière de la statuaire africaine. Tout change de perspective pour la suite de l'histoire. En 1912, Braque et Picasso innovent par leurs techniques. Leurs œuvres dialoguent entre elles. Collages divers, les "papiers collés", coupures de journaux, les objets, tout se retrouvent sur les toiles.
On verra aussi des grands tableaux très colorés qui furent montrés à Avignon en 1973, après la mort du peintre, et aussi de nombreux dessins et carnets. La richesse de cette exposition est évidente par sa conception. Les œuvres de Picasso nous font traverser le Temps et nous rappellent tous les grands moments de l'histoire de l'art du XXième siècle qui resurgissent dans notre mémoire. Inépuisable moment de joie et de découverte sans cesse renouvelée.
Patrick Amine
Bruxelles, novembre 2022
Picasso & l'abstraction
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
du 14 octobre 2022 au 12 février 2023.
Commissaires : Michel Draguet, directeur général des Musées royaux & Joanne Snrech, conservatrice du musée Picasso-Paris.
www.fine-arts-museum.be
(1) "En peinture tout n'est que signe", nous dit Picasso" (in Arts, Paris, n° 22, 29 juin 1945) ; repris in Pablo Picasso, Propos sur l'art, (Edition par Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998, p. 55). Des cycles de conférences sont organisés, voir les infos du musée en line.
Note sur Picasso (1881-1973) et le Cubisme. Citons l'ouvrage très important : Le Cubisme de Picasso, Catalogue raisonné de l'œuvre peint, des papiers collés et des assemblages, 1907-1916. Texte de Pierre Daix, Catalogue par Pierre Daix et Joan Rosselet, Editions Ides et Calendes, Neuchâtel, Suisse. Un texte lumineux et circonstancié de Pierre Daix qui a travaillé avec Picasso, pour classer ce corpus, où figurent les papiers collés, les assemblages, qui entretiennent un dialogue avec l'œuvre peint, comme la fameuse Guitare (1912) en tôle ou bien la Nature morte à la chaise cannée, comme William Rubin l'a montré dans ses essais, sont des éléments décisifs à la fois des transformations de la peinture qui s'ouvrent sur les collages et les papiers collés de Picasso, comme le justifie très justement Pierre Daix, dans son texte empli de détails et de précisions historiques ! Pierre Daix a cette phrase lapidaire et explosive : "En effet, rien ne fausse plus le travail de Picasso que l'anthologie de ses chefs-d'œuvre."
(2) Yve-Alain Bois, écrivait dans un texte en 2015, que Picasso avait un certain mépris envers l'abstraction. Il cite un extrait d'entretien : "Quand on colle des tons les uns à côté des autres et qu'on trace des lignes en l'air sans que cela corresponde à quelque chose, on fait tout au plus de la décoration." in Tériade, "Une visite à Picasso", repris dans Tériade, Écrits sur l'art, Paris, Adam Biro, 1996, p. 162. Il écrivait dans un texte Picasso et l'Abstraction au colloque Picasso-Paris en 2015 qu'on avait tendance à faire l'impasse sur Picasso par rapport à ce courant. Il cite : "La première fois que le mot "abstrait" apparaît, c'est dans le célèbre "interview" de 1923 avec Marius de Zayas, "Picasso Speaks" : "Du point de vue de l'art, il n'y a pas de formes concrètes ou abstraites, mais uniquement des formes qui sont des mensonges plus ou moins convaincants." (…) "Au moment où la conversation se tourne sur le soi-disant cubisme hermétique de 1910-1911, Tériade remarque : "On a prétendu alors que vous faisiez de l'abstraction." in Propos sur l'art, Ed. Gallimard, 1998. Au lieu de répondre que c'était un reproche très courant à l'époque, que même Matisse avait dû le subir pour une œuvre pourtant aussi figurative que son Bonheur de vivre, Picasso se raidit immédiatement : "J'ai horreur de toute cette peinture dite abstraite. L'abstraction, quelle erreur, quelle idée gratuite. Quand on colle des tons les uns à côté des autres et qu'on trace des lignes en l'air sans que cela corresponde à quelque chose, on fait tout au plus de la décoration." id. repris in (1) A. Biro.
Picasso & l'abstraction s'inscrit dans le cadre des célébrations du jubilé de Picasso, le cinquantenaire de sa mort. Du Prado au Centre Pompidou en passant par le Metropolitan Museum of Art de New York, 42 expositions vont être organisées dans le monde à cette occasion. Seuls huit pays accueillent cette mobilisation sans précédent dont la Belgique. Ce sera la seule exposition belge dans le cadre du jubilé de Picasso.
www.fine-arts-museum.be
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