Paysages de l'absence ?

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Bernadette Tintaud

Ces paysages photographiés témoignent et attestent, d’abord, de la surface du monde terrestre.
Géo-graphie : une écriture, dit-on, à même le sol. La terre est écrite, griffée, labourée, cultivée…
Les labours sont un tissu strié qui enveloppe les sols. Le paysage, au fond, tient tout entier dans une couche de peau.
Mais la peau tremble, moutonne, et il y a dans ce tissu de sol comme une longue vague qui traverse et l’anime,
qui tend les surfaces et les replie, les troue et les chiffonne aussi, la vie.
Le paysage souvent bascule, comme emporté par un élan qui le pousse vers l’avant et en travers.
Sous ces apparences figées, dans les choses mêmes, un temps est présent, une germination et une inquiétude,
qui brouillent les limites et parfois explosent sourdement… Saturations de lumières, éblouissements de blancs,
noces élémentaires et dispersées du ciel et de la terre.
Il est difficile de ne pas bouger dans un tel monde, il est difficile de ne pas se sentir courir déjà, plonger
vers ces horizons de ciel incertains et nécessaires, vers ces lointains discrètement ouverts et déposés, vers ces blancs…

Jean-Marc Besse, Le tremblement des terres, 2002 (extraits de la préface du catalogue Arbres Horizons)

 
 
 
 
 
 
 
Un paysage dépourvu de toute figure peut-il ne pas être un lieu désolé ? Ce pourrait être la question posée par l'historien d'art Itzhak Goldberg, que fascinent le vide et l'effacement, dans l'exposition où il a rassemblé les œuvres d'une dizaine d'artistes que lient, par-delà la diversité des générations et des pratiques, les espaces désertés, vidés de toute silhouette humaine : jeux de lignes assemblées en chevrons par Vincent Mauger pour composer sa lithographie d'un massif de montagne ; plages couleur de cendres lavées par le jusant chez Fadia Haddad ; "Mauriennes" de Sylvie de Meurville qui s'apparentent à de subtils moulages de feuilles de papier froissé et forment les maquettes muettes de plissements géologiques mis à nu dans la blancheur du polyester. Dans aucune de ces œuvres, l'homme ne paraît avoir sa place et le paysage ne saurait lui être un décor. Mais, c'est là tout le paradoxe de cette belle exposition, si l'homme est absenté de ces contrées représentées, il y demeure en filigrane. On en perçoit ainsi les traces éloquentes dans les photographies colorisées de Bernadette Tintaud où se déploient des champs labourés. En outre, l'artiste est présent, qui ne cesse de vouloir embrasser l'espace pour le placer sous nos yeux, comme s'il fallait toujours en contenir l'immensité et en transmettre l'expérience. D'où les vocables de la cartographie (dans les caissons opaques de Mathilde Guillemot comme dans les dessins pliés-dépliés de Stéphane Guenier) ou de la miniature que, pour sa part, Henri Cueco explore dans une série de petits tableaux juxtaposés comme autant de visions concises et fragmentaires, aussi évanescentes sur la surface de la toile grège maintenue en réserve, que les couleurs sont soigneusement posées pour fixer la netteté de lieux familiers au peintre, mais dont l'intensité vire à l'étrangeté. La figure en est absente, certes, mais on y sent intuitivement l'artiste en arpenteur d'un territoire qu'il connaît dans ses moindres recoins érigés en motifs. Face à l'étendue du monde et devant le chiffre qu'est le paysage, l'artiste est un guide (géographe, géologue, explorateur…), nous invitant à investir l'espace pour en devenir la figure invisible mais aussi le nécessaire spectateur : ne sommes-nous pas ainsi contraints de nous tenir au bord de l'installation de Marinette Cueco, dont les plateaux assemblés de sables colorés, de graines, écorces et aiguilles séchées inventorient la teneur élémentaire du paysage ?
 
Bertrand Tillier
Paris, février 2013
 
 
"Paysage à la figure absente"
Galerie Univer, 6 cité de l'Ameublement, 75011 Paris
www.uni-ver.com - tél. : +33 1 43 67 00 67

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