Paris Noir, Centre Pompidou
Circulations artistiques et luttes anticoloniales

Paris Noir

"Paris noir" retrace la présence et l'influence des artistes noirs en France entre les années 1950 et 2000. Elle met en lumière 150 artistes afro-descendants, de l'Afrique aux Amériques, dont les œuvres n'ont souvent jamais été montrées en France." C'est ainsi que cette exposition est présentée.

Identité africaine, événements politiques mondiaux, immigrations des artistes vers l'Europe ou les Etats-Unis, un ensemble relié aux mouvements artistiques occidentaux : de l'histoire des abstractions internationales aux abstractions afro-atlantiques, en passant par le surréalisme et la figuration libre, une traversée historique qui révèle la participation des artistes afro-descendants dans la redéfinition des modernismes et post-modernismes. Exceptés quelques-uns qui étaient dès leurs débuts en France ou aux Etats-Unis, ou découverts par André Breton, tel que Wilfredo Lam, etc… La scénographie est conçue comme une matrice circulaire qui reprend le motif de l'Atlantique noir, océan devenu disque, métonymie de la Caraïbe et du "Tout-Monde", selon la formule du poète martiniquais, Edouard Glissant comme métaphore de l'espace parisien. L'exposition prend la forme d'une cartographie vivante et souvent inédite de Paris.

Il y a quelques années nous avons pu voir des expositions telle que Africa Remix, organisée par Jean-Hubert Martin et Simon Njami (en 2005) qui fut présentée avant à Düsseldorf puis à Londres. Le propos était le suivant : "Africa Remix regroupe les œuvres d'artistes déjà présents dans les circuits de l'art contemporain ainsi que le travail de jeunes artistes encore peu connus. Cette exposition met en avant 84 artistes africains ou d'origine africaine, des femmes et des hommes vivant sur le continent africain ou ailleurs. Plus de 200 œuvres sont présentées. Africa Remix dresse un état de la création africaine dans ses développements les plus récents. Remix signifie, pour Jean Hubert Martin, commissaire de l'exposition de Düsseldorf : "que les chances sont redistribuées, que nous nous trouvons en présence d'une situation hybride, reflet de la globalisation". Cette exposition présente un état de l'art africain d'aujourd'hui, en prise directe avec les tendances les plus novatrices de la création contemporaine." Il s'était agi de montrer une diversité de la richesse de la création africaine contemporaine, du Maghreb à l'Afrique du Sud en passant par l'Afrique sub-saharienne. Simon Njami, commissaire principal, disait : "Il était grand temps de créer une exposition qui ne constitue pas seulement le récapitulatif de la discussion sur l'art contemporain africain des dix dernières années. L'objectif était de mettre sur pied une exposition qui s'abstient de toute idéologie et met en évidence la motivation profonde de la créativité africaine. Un second objectif était de mettre fin à toute une série d'idées préconçues et mythes sur l'Afrique."

Faut-il rappeler la fameuse exposition de 1989 : Les magiciens de la terre, qui a changé le regard sur les cultures artistiques autres qu'occidentales. Le commissaire précisait qu'à la différence de l'exposition de 1984 "Primitivism in Twentieth Century Art : Affinity of the Tribal and the Modern" (MoMA,27/09/84 -15/01/1985, le commissaire était William Rubin, le texte précisait "affinité du tribal et du moderne"), et pour la première fois, l'art des sociétés occidentalisées n'est pas mis face à l'art du reste du monde avec l'objectif de faire un parallèle, de les opposer, mais au contraire avec l'envie de tout regrouper ensemble, comme provenant de la même branche d'art, ce qui permet la vision d'œuvres extrêmement diversifiées. Cette exposition annonce une nouvelle approche de l'histoire de l'art. Elle montre aux pays occidentalisés que l'art contemporain existe en dehors de l'occident. D'un coup, une prise de conscience, et cet art-là devient identifiable, trouvable. En 2014, le Centre Pompidou revenait sur ce moment historique : Initiative pionnière, Magiciens de la terre fut bientôt perçue comme inaugurale. Ainsi : "Aux prémices d'une mondialisation qui ne disait alors pas encore son nom, Magiciens de la terre déclencha des polémiques qui durent et qui prospèrent, suscita des vocations et des déceptions, produisit d'autres événements fondateurs et des imitations, influa sur nombre d'expositions à venir : ce fut donc l'un de ces "moments-seuils" qui marqua le changement dans l'histoire. À l'occasion des 25 ans de "Magiciens de la terre", le Centre Pompidou organisa une série d'événements pour revisiter cette exposition majeure et pour réfléchir à la nouvelle géographie du monde de l'art moderne et contemporain. Comme le marquait Jean-Hubert Martin.

Flash-Back : "En 1988, le critique d'art Achille Bonito Oliva est le promoteur du peintre africain Fathi Hassan à la XXIIIe Biennale de Venise, le premier artiste africain à cette Biennale de Venise, et il devient l'artiste africain le plus connu en Europe, ouvrant la voie aux nouvelles promesses du continent africain."

Depuis une trentaine d'années, on assiste à une émergence de plus en plus forte d'artistes africains en Europe, de Bruxelles à Paris en particulier, et dans toutes les foires internationales d'art, comme à Dakar en particulier, sans compter les nombreux collectionneurs que nous connaissons. Le Centre Pompidou rejoue sa fameuse série de monographie couplée : Paris-Berlin, Paris-Moscou, Paris-New-York et puis Paris-Paris, en 1981, concentrée sur la scène française, sans oublier le Japon des avant-gardes, en 1986-1987 (qui fut une sorte de révélation pour la richesse de la création artistique dans tous les domaines : on découvrait les happenings de Yayoi Kusama ou les interventions de Yoko Ono, entre autres artistes). Alicia Knock présente ici plus de 350 œuvres, entourée de quelques commissaires, de 1950 à 2000. La palette qui nous est donnée à voir est évidemment abondante, ne serait-ce que par les thématiques proposées et l'éclatement des sujets et des villes dont sont issus les artistes. Il y a quelques installations produites spécifiquement pour l'exposition par Valérie John, Nathalie Leroy-Fiévée, Jay Ramier et Shuck One : dont un mur entier de peintures et collages de toutes sortes à la fin de l'exposition. Dans ce cadre, les contextes historiques sont importants, et la documentation générale proposée demande du temps de lecture pour naviguer dans les fleuves innombrables des thématiques historiques et socio-politiques. Dès les années 1950, des artistes afro-américains et caribéens explorent à Paris de nouvelles formes d'abstraction (Ed Clark, Beauford Delaney, Guido Llinás), tandis que des artistes du continent esquissent les premiers modernismes panafricains (Paul Ahyi, Skunder Boghossian, Christian Lattier, Demas Nwoko). Dans cet ensemble hétérogène, nous pouvons voir trois œuvres d'Hervé Télémaque (Haïti, 1937-2022, Paris), ce dernier s'installa en France en 1960. Il avait son atelier à Villejuif (Val-de-Marne).

Cette exposition, qui est en quelque sorte un retour sur une histoire peu connue de l'émergence de certains artistes de cette diaspora, permet de prendre connaissance de certaines pratiques artistiques liées aux mouvements européens et occidentaux où quelques artistes ont su marquer leur "territoire" par leur spécificité plastique et par leur originalité intrinsèque. Si l'on remarque certains artistes par leur "force" d'invention et d'originalité par rapport à des époques : années 1950 et années 1960, nous pouvons, néanmoins, dire qu'une partie des œuvres présentées restent en-deçà des grandes créations ou recherches des décennies présentées dans cette exposition. C'est une cartographie documentaire d'un paysage qui a évidemment déjà changé et qui de nos jours va vers d'autres chemins.
Patrick Amine
Paris, Juin 2025
 
Paris Noir, 1950/2000
Circulations artistiques et luttes anticoloniales
Centre Pompidou, Paris - 19 mars au 30 juin 2025
www.centrepompidou.fr
paris_noir.pdf


Notes :
Alicia Knock, conservatrice, cheffe du service de la création contemporaine et prospective, Musée national d'art moderne − Centre Pompidou. Commissaires associés : Eva Barois De Caevel, conservatrice, Aurélien Bernard, Laure Chauvelot, et Marie Siguier, attachés de conservation, service de la création contemporaine et prospective, Musée national d'art moderne − Centre Pompidou.
Le catalogue Paris noir. Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950-2000. Sous la direction d'Alicia Knock, 22 × 28 cm. 320 pages.49 €. L'album Paris noir. Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950-2000. 21 × 27 cm | 60 pages | 10,50 € - Bilingue anglais / français
Présentation de l'exposition américaine : Primitivism in Twentieth Century Art : Affinity of the Tribal and the Modern" (MoMA,27/09/84 -15/01/1985 "En 1906, la sculpture tribale a été "découverte" par les artistes du 20e siècle ; ces objets étaient soudainement devenus pertinents en raison des changements dans la nature même de l'art moderne. Ces deux volumes constituent le premier traitement scientifique complet depuis un demi-siècle de l'influence cruciale des arts tribaux - en particulier ceux d'Afrique et d'Océanie - sur les peintres et les sculpteurs modernes. Dans cet ouvrage visuellement éblouissant et intellectuellement provocateur, 19 essais abordent les problèmes esthétiques, historiques et sociologiques complexes posés par ce chapitre dramatique de l'histoire de l'art moderne. Le corps principal du livre contient une série d'essais sur le primitivisme dans les œuvres de Gauguin, des Fauves, de Picasso, de Brancusi, des expressionnistes allemands, de Lipchitz, de Modigliani, de Klee, de Giacometti, de Moore, des surréalistes et des expressionnistes abstraits. L'ouvrage se termine par une discussion sur les artistes contemporains primitivistes, notamment ceux qui participent à des travaux de terrassement, au chamanisme et à des performances inspirées par des rituels."

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