Oda Jaune"Once in a Blue Moon"
Oda Jaune, Sparkle, 2009
Oda Jaune, The Kiss, 2010
Oda Jaune, Two Love, 2010
Oda Jaune, Once in a Blue Moon, 2010
Oda Jaune, Tilllate, 2010
Oda Jaune, Worship Central, 2010
Oda Jaune, Wonderful, 2010
Oda Jaune, For All to See, 2010 |
"Once in a blue moon" est une expression anglaise qui décrit un événement qui ne se produit que très rarement, voire jamais : ce moment où la lune est bleue équivaudrait à nos francophones calendes grecques. Elle est à peine réelle, cette "blue moon", n'en déplaise aux dizaines de versions de la chanson éponyme. Elle est une pure liberté poétique, qui résonne on ne peut mieux avec l'esprit du travail d'Oda Jaune.
Mythique, sûrement un peu effrayante, elle vibre dans l'imaginaire à l'unisson d'un ensemble d'œuvres fascinantes réunies sous son patronage.
Pour Oda Jaune, née en 1979 en Bulgarie et formée à l'école des Beaux-Arts de Düsseldorf, la peinture est une évidence. Et pour l'huile sur toile, un credo : "c'est ce que c'est" ; les délimitations sont claires, la facture léchée, le tout est tenu. L'aquarelle lui offre la liberté des coulages et des couleurs qui passent – il faut découvrir cette version transparente de son univers dans la magnifique monographie parue chez Hatje Cantz cet automne. En 2008, sa première exposition parisienne dépeignait, tout en couleurs primaires et douces - bleus ciel, verts tendres et rouges rosés sous une lumière directe - de grands paysages arcadiens et un peu maniéristes ou des scènes dignes de séries télé désuètes. Une forme-doigt récurrente ou un morceau de chair à vif venaient y introduire un peu d'étrangeté, bousculer, mais doucement, les jolis motifs familiaux ou amoureux. Aujourd'hui, fini les boy-scouts, les illustrations pour GIs américains, l'Europe de l'Est des années 1970 - 80. Oda Jaune désormais plonge dans les teintes mordorées, dans l'ombre, parfois dans l'obscurité, et fait avec bonheur resurgir ses figures dans la lumière, les exposant à des sources orangées fort cinématographiques. Les poils de bras de cette blonde hydrocéphale se dressent comme des herbes phosphorescentes, alors que son dos est noir, plat, froid. Le baiser entre une femme aux ongles bien vernis et un être en décomposition est baigné d'une lumière sereine qui suggère une fusion sublime. Et puis, que se passe-t-il dans le fond de ces peintures, Two Love, Horseback ou To My Lady ? Des coups de pinceaux, un éventail de nuances, du noir à l'orange, un orage dangereux ou réconfortant comme le mauvais temps observé depuis la fenêtre du foyer. Dans le noir toujours, sous les branches tordues d'un arbre théâtralisant, une mariée à la lourde poitrine est installée dans son bain. Son visage disparaît, comme grignoté, et une tête noire grimaçante le remplace, regard tourné vers la nuque originelle. Oui, le parquet en perspective est familier – De Chirico, Max Ernst ? Et cette déformation du visage, le cri dans l'image, la chair : Bacon ? Les analogies avec Magritte, bien sûr, sont nombreuses. Il faut louer le courage de cette jeune femme, qui ose travailler le figuratif, se colleter aux associations inattendues, aux métamorphoses et au jeu du voilé - dévoilé alors que d'autres illustres l'ont fait avant elle. Et si Oda Jaune adaptait un surréalisme à notre société contemporaine ? Ses images - le clown pervers, la silhouette sous sa couverture de survie, la petite fille au corps de pin-up, Jean-Paul II baisant un pied - sont redoutablement efficaces. L'inspiration a volé à l'étalage du trop plein d'illustrations sur le net, les murs de la ville et les magazines, mais elle est passée par le feu d'une intériorité et d'une créativité complexes. Oda Jaune se donne, et notre intellect est désarmé devant l'authenticité de la démarche. On s'étonne encore d'une artiste qui s'adresse directement à notre sensibilité, et qui ose parler sans se moquer "d'extérioriser un sentiment", de "trouver une image de l'intérieur". La douceur infinie qui se dégage des œuvres longuement fréquentées est d'ailleurs l'un des aspects les plus étonnants de son travail. La peintre déteste qu'on ne voit qu'une "vulve trashouille" dans ce visage-sexe aux yeux d'enfant encore collés par la fatigue ; pour elle c'est la poésie qui sourd ici. Et l'amour, aussi, dans cet univers violent de torses digitaux et de nounours enceints, où une main passe son doigt noirci sur la flamme d'une bougie, encore et encore. En fait, la jeune femme est une guerrière. Angélique mais déterminée, elle parle souvent de guerres et de lutte. La vie est dure, ses personnages se battent pour être présents sur la toile – mais eux ont la chance d'être arrivés quand nous devons toujours continuer le combat. Oda Jaune parle de soulager le regardeur de sa peur, en lui faisant accepter sa grande famille de motifs étranges. Tendresse pour les monstres dont elle veut nous rappeler qu'ils ne sont jamais que nous-mêmes. C'est pourquoi l'artiste se dit inspirée par le discours d'Aristophane dans le Banquet de Platon : le mythe des androgynes primitifs explique la quête sans fin de l'autre, de la partie manquante, chez les hommes, ces éternels amputés. Amour et jeux de pouvoir, douleurs et différences physiques, maturation et temps qui passe, transformation du corps, deuil et don de la vie : il y a bien plus que des images léchées dans ces formes mouvantes mais rigoureusement rendues à la vie. Arrivée à Paris il y a deux ans, l'artiste est toujours fascinée à l'idée des centaines d'histoires et de secrets qui se cachent derrière toutes les portes de la ville. Du côté du spectateur, c'est la curiosité de savoir ce que la jeune femme nous réserve après seulement trois expositions personnelles qui ont chacune marqué une étape étonnante dans un parcours prometteur. Victoire Disderot
Paris, décembre 2010
Oda Jaune, Once in a Blue Moon, jusqu'au 31 décembre 2010
Galerie Daniel Templon, 30 rue Beaubourg, 75003 Paris Un catalogue de 56 pages est publié à l'occasion de l'exposition, avec un texte de Judicaël Lavrador Oda Jaune, First Water, texte de Robert Fleck, 2010, Hatje Cantz, 240 pages Oda Jaune participera aux expositions : "Je te mange, tu me manges" du 11 février au 15 mai 2011 à la Maison Rouge à Paris. et "Mises à l'eau" du 22 janvier au 6 mars 2011 à la Maison de la Culture de la Province de Namur. Elle sera également exposée au Musée Félicien Rops à Namur en 2011 |