Le Noir mis en lumière, exporevue, magazine, art vivant et actualité

Après la Villa Tamaris Centre d'Art, à la Seyne sur Mer, au printemps, puis une étape estivale au Centre d'art contemporain Raymond Farbos, à Mont-de-Marsan, c'est au tour de l'Espace d'art contemporain Eugène Beaudouin à Antony (92) de mettre le Noir, le Noir absolu, sous les projecteurs. Le noir s'est affirmé comme un sujet central de l'art moderne et contemporain. Sous le commissariat de Gérard-Georges Lemaire, voici une histoire des œuvres marquée par la monochromie du noir depuis un siècle.

Introduite par le premier monochrome de l'histoire, le fameux tableau d'Alphonse Allais, au titre devenu politiquement incorrect : Combat de n… dans une cave, pendant la nuit, ca 1882, l'exposition réunit des toiles, des installations, des montages et autres collages, des photographies et des vidéos.

Voici une abstraction lyrique de 1973 au geste zen M3x3, de Jean Degottex, et, entre signe et construction, un grand polyptyque d'Olivier de Champris, Arbor-Crux Noir MM où la croix se retrouve au cœur d'une fusion symbolique ciel/arbre en forme de paysage modulaire (montage différent de celui de la Villa Tamaris). Daniel Dezeuze accroche La Forêt qui bouge un treillis extensible fort convainquant, cela à côté de son Arme blanche.
"Le monde de la lettre", selon l'expression d'Arthur Aeschbacher, l'héritier de Kurt Schwitters , se retrouve réuni, avec ses propres collages d'affiches déchirées, Turn-Cut noir et Medrano Turn-cut, et celui qui se considère comme son fils spirituel : Jean-Noël Laszlo, arrivé de Toulon avec une pièce au lettrisme en ronde-bosse massif Noir d'y voir. Robert Groborne, avec ses Reliefs, monochromes de matière (sols martiens ?), grave dans l'esprit un nouveau sens du mot estampe.

Autre ensemble marquant, les huiles d'Albert Bitran, qui interrogent, avec force et mesure à la fois, l'acte même de peindre en un énigmatique instantané de la création et jusqu'à l'émergence de la lumière. Robert Blanc, détaché du noir, détonne avec sa Notre-Dame du Roncier, caisson de balsa empli tant d'élégance graphique que d'élan cosmogonique. Monumental, Santiago Arranz montre ses Clés toutes totémiques.
Magistral peintre dans l'âme, Hans Bouman se présente en figures-suaires de ses années 80. Laurie Karp pose ses extraordinaires et prothètiques Floorpiece n°1 et Spin,Roll, Screw, en faïence émaillée, en élément central de la plus grande salle. Grand maître sud-américain du pastel, David Manzur impressionne avec La prison de la croix et Le Cheval et la Roue.

Mexicain authentique, Ruben Maya l'est avec ses fusains Rêve et Retiro. Quant aux dessins d'Estelle Courtois, signes à l'encre de vitrail sur papier d'imprimerie, ce sont des gestes minimes pour un sens sublime. Solange Galazzo surprend par son bleu regard sur un devenir–accomplissement de l'être, de son être. Denise et Claude Jeanmart excellent dans l'art vidéo avec une nouvelle pièce subtile et délicate, qui joue des lumineux contours d'un ballet féérique. Objets animés et quasi oeuvres totales, Mise en pli, et Rêve de Stéphane Mallarmé, les installations aériennes et mécaniques de Luce Delhove attirent l'œil et l'oreille par leurs élans autant que par leurs vibrations.

Voici le livre d'artiste, livre des livres, et la Passion d'Esther Segal, surfaces sensibles photographiques travaillées au poinçon, sorte de braille sublimé. "Magicien du chaos" comme il se présente lui-même, Jean-Claude van Blime trouve dans une alchimie toute personnelle, La Pagode, un noir aux accents rouge et or, tandis que Bernard Ollier apporte une magistrale et significative Contribution à une histoire de l'origine (extrait d'un dessin en expansion).

Habité par la nature profonde des grands peintres, entre tension intérieure et transcendance, le beau roman de Patrizia Runfola, Les Leçons de Ténèbres, (Editions de la Différence, 2002), constitue le thème de la seconde partie de l'exposition à la Villa Tamaris et à Mont-de-Marsan. Entre peintures, dessins, et vidéos, s'y retrouvent certains artistes du Noir, ainsi que d'autres, tels Anne Gorouben, toujours aussi inspirée, entre citations, fusains et huiles démultipliées, Sergio Birga, Catherine Lopez- Curval, Didier Tolla, Benjamin, ou Bernard Lacombe.

Soulignons l'édition du nouveau livre de Gérard-Georges Lemaire, l'auteur de référence sur le sujet, "Le Noir absolu et les Leçons de ténèbres", publié, à cette occasion, par la Villa Tamaris Centre d'Art. Il fait suite au précédent ouvrage de Gérard-Georges Lemaire, Le Noir, (Ed.Hazan, 2006). Dans son texte, "Abrégé de l'histoire du noir moderne", l'auteur en retrace les grandes étapes, depuis l'icône byzantine, jusqu'aux derniers développements actuels, en passant par Corot, Whistler, les Impressionnistes, Malevitch, Rodtchenko, Seurat, Matisse, Picasso, Ad Reinhardt et Franck Stella, aux Etats-Unis, Pierre Soulages (actuellemnt a Beaubourg), Alberto Burri, Lucio Fontana, en Europe, ou Beatriz Zamora, au Mexique, tous deux présents dans l'exposition. Ce livre fera autorité sur un sujet majeur, haut en couleur, la couleur totale, à la fois historique et particulièrement contemporain.