Edvard Munch au Musée d'Orsay
Un poème de vie, d'amour et de mort
Edvard Munch
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Edvard Munch

Edvard Munch, Tête du "Cri" et mains levées, 1898,
crayon et pinceau sur papier de vélin. KODE Art Museums and Composer Homes. Photo : © Dag Fosse / KODE

"Une œuvre d'art est comme un point dans un système à trois coordonnées : l'endroit donné, le temps donné, la personne donnée. Plus le temps de production d'une œuvre est long, plus il apparaît clairement que l'individualité, les expériences et la psychologie de la personne donnée jouent un moindre rôle par rapport à la culture au sein de laquelle elle s'est exprimée."
Karl Ove Knausgaard (1)

Il est parfois utile de rappeler quelques sources historiques, notamment celles qui se rapportent de nos jours à la vie et à l'œuvre d'Edvard Munch (1863-1944). L'occasion nous est offerte avec l'exposition qui s'est ouverte au musée d'Orsay (Paris), ce mois de septembre. Une exposition qui n'est nullement une rétrospective mais qui s'attache à montrer des œuvres connues et peu connues. Il n'était pas dans l'intention des conservateurs de montrer Le Cri (2), sans doute le tableau le plus iconique de notre temps, mais un dessin (crayon et pinceau) de ce visage déformé hurlant sourdement, en noir et blanc, pour rappeler l'original. On sait qu'il y a plusieurs versions de cette œuvre. Nous verrons ici des œuvres tout aussi troublantes, impressionnantes, vives et colorées ou sombres, aux motifs les plus divers, qui sont tout autant le reflet de la vie et des idées de l'artiste. Solitude, mélancolie, paysages insolites, personnages dans la vie quotidienne, etc.

Des phrases extraites de ses carnets très nombreux sont reproduites dans les salles et ponctuent la promenade dans une œuvre parfois "déchirante et inquiétante" ! "La frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux, qui doivent donner un aperçu de la vie." C'est le grand thème de Munch qui sillonne en filigrane toute sa création et presque tous ses tableaux forment cette fresque qu'il dédie comme un poème : de vie, d'amour, de mort…". (1919). Cette Frise fut constituée plus tard de 22 tableaux qu'il montra à Berlin, en 1902. Le Musée d'Orsay note à propos de cette exposition : "La vision de la mort est omniprésente dans sa vie comme dans ses tableaux, il suffit de regarder cette œuvre aux multiples thématiques et directions. Nous savons que très jeune, il perd sa mère et sa sœur."

Regardons ces œuvres comme si nous les avions plus vues depuis deux décennies, environ. Soit une centaine d'œuvres dont 47 peintures, des dessins, ainsi que des photographies. La commissaire d'exposition, Claire Bernardi, exprime l'intention de l'exposition : "Plutôt que d'opposer un symbolisme fin-de-siècle à un expressionnisme qui ancrerait Munch dans la scène moderne, sera proposée une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande cohérence. Le symbolisme chez Munch doit être lu comme l'épine dorsale de toute sa production artistique." Nous pourrions ajouter que le courant expressionniste allemand l'a aussi marqué dans la mesure où il a séjourné et exposé à Berlin (1892), à plusieurs reprises, comme sa présence en France et à Paris (1889) où il fit l'affiche de Peer Gynt d'Ibsen, et des dessins pour la pièce Hedda Gabler, commandés par Lugné-Poe, le directeur du théâtre de l'Œuvre. Il fut un proche de Strindberg (qui a vécu aussi à Paris) et connaissait ses œuvres ; il fit quelques illustrations pour certains de ses textes ; on peut voir un portrait de l'écrivain dans l'exposition. Il illustra notamment les Fleurs du mal de Baudelaire. Il composa aussi des décors pour le metteur en scène Max Reinhardt. L'autoportrait de Munch à la cigarette respire une certaine sérénité. Immédiatement après nous allons vers le "Désespoir", l'humeur malade d'un homme au coucher de soleil ! Le tableau intitulé "Puberté" d'un grand format est l'un des plus impressionnant de cette exposition. Une jeune fille sur un lit qui regarde vers le l'œil du peintre, avec sur le côté une ombre noire. Que signifie cette ombre ? Est-elle une autre version du personnage que Munch a voulu signifier ? Comme cette enfant malade ? Qui fit scandale au Salon d'automne de Kristiana (la fameuse université). Une certaine intensité dans les couleurs et la matière des tableaux de Munch concourent à donner une version personnelle de la condition humaine. Ici, pas de réalisme au sens strictement pictural, mais une autre facette de la réalité se révèle par le geste de Munch. Les visages des personnages ont souvent l'air hagard. Tout tourbillonne dans les tableaux. Les lignes filent au loin. Les couleurs vives font penser quelques fois à Van Gogh (Le Soleil, 1912). Soulignons ici qu'il y a un seul tableau d'Histoire, c'est La Mort de Marat (1907). Il est allongé sur un lit, et debout une femme nue se tient droite comme tétanisée. Ce grand tableau est strié de couleurs, comme hachuré. Il faut prendre connaissance de ses carnets où figurent des croquis et de nombreux textes. La galerie de Jérôme Poggi a publié un ensemble intitulé : Edvard Munch. Ecrits (3), il y a déjà quelques années (toujours disponible). Munch a sans cesse écrit, une manière à lui d'explorer l'âme humaine en parallèle avec sa pratique picturale. Regardons : Vampire (1895) et Vampire dans la fôret (1924-1925), très différents par leur facture l'un de l'autre ; ou Mélancolie, ici, le paysage au loin au bord de mer, est sinueux, le ciel est empli de couleurs inhabituelles, violet, jaune… Cette œuvre rappelle la désolation de l'écrivain Jappe Nilssen abandonné par son amante. Les titres des œuvres de Munch sont parfois complexes, par exemple : Métabolisme. La vie et la mort, représentation un couple nu.
Jeunes filles, couple dans la campagne, hommes se baignant, ou cette Nuit blanche d'un homme dans sa chambre, au tourment intérieur !

Une diversité de motifs souvent symboliques qui sont agrégés autour d'un axe, d'une pensée, d'un concept 8160edvard_munchural lié à la vie de l'artiste et à ses expériences vécues. Une œuvre chargée d'émotions parfois contradictoires. L'œuvre de Munch est immense, à tous les niveaux. Un champ ouvert de peinture. Comme l'écrit si bien K. O. Knausgaard : "Le monde advient dans notre regard, tout le temps. Il n'est pas, il devient." À la fin de son livre, il continue : "En eux-mêmes, les tableaux sont au-delà des mots, au-delà des concepts, au-delà de la réflexion, ils invoquent la présence du monde, ce qui signifie aussi que tout ce qui a été pensé et écrit dans ce livre est invalide dès l'instant où le regard se pose sur la toile." De la modestie, rare.

Car l'aura dégagée par Munch, c'est d'une certaine manière l'aura dégagée par chaque être humain-spectateur innervé dans le monde, innervé totalement dans un tableau, dans la peinture.
 
Patrick Amine
Paris, octobre 2022
 
 
Edvard Munch Un poème de vie, d'amour et de mort
Musée d'Orsay, Paris - 20 septembre 2022 – 22 janvier 2023.
Tous les jours, sauf le lundi, de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45.
Musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris.
Cette exposition est organisée par le musée d’Orsay, Paris, avec le soutien exceptionnel du MunchMuseet, Oslo. Commissaire : Claire Bernardi, Directrice du musée de l’Orangerie. Catalogue de l’exposition, coédition musée d’Orsay – Réunion des musées nationaux – Grand Palais, sous la direction de Claire Bernardi, 256 pages, sept. 2022.
www.www.musee-orsay.fr
 

Edvard Munch par Karl Ove Knausgaard

Edvard Munch par Karl Ove Knausgaard

Notes :

(1)Dans son livre, Tant de désir pour si peu d'espace, L'art d'Edvard Munch, Ed. Denoël, 2022, l'écrivain Karl Ove Knausgaard précise la nature de son texte, un livre exceptionnel à tous les égards. Il écrit : "Edvard Munch a peint toute sa vie, depuis son ado- lescence où il a réalisé ses premiers petits tableaux, des plantes en pot et d'intérieur, des portraits de membres de la famille et du voisinage, jusqu'à sa mort à Ekely, à l'âge de quatre-vingts ans, entouré de ses œuvres. L'activité per- manente que constituait pour lui la peinture peut se diviser en différentes phases dont la première est formée par ses années d'apprentissage, où il apprit à peindre selon les règles de l'art et exécuta, avec la maladresse de la jeunesse, des paysages et des portraits, puis étonnament rapidement de bons tableaux témoignant d'une grande assurance et culmi- nant dans une œuvre de rupture qui fut son premier chef- d'œuvre, L'Enfant malade, en 1885-1886." (…) "La troisième phase est celle à laquelle nous associons le plus Munch, celle des tableaux tels que Mélancolie, Vampire, Le Cri, Soirée sur l'avenue Karl Johan, Près du lit de mort, Puberté, Angoisse, Madone, Jalousie. La quatrième phase a commencé à l'orée du xxe siècle, quand il s'est éloigné de la langue et de la pensée symbolistes ; son style est alors devenu moins littéraire, plus pictural, ce qui ne l'a pas empêché de retravailler régulièrement d'anciens motifs, jusqu'à sa mort en 1944." Le livre est traduit du norvégien par Hélène Hervieu – 09.2022. Ce livre fut écrit dans le cadre de la collaboration de Karl Ove Knausgaard (né en 1968) avec le musée Munch d'Oslo pour l'exposition "Vers la forêt. Munch par Knausgaard", 6 mai – 8 octobre 2017. Ce livre est peut-être comparable à celui qu'Aragon écrivit sur Matisse, dans son mouvement biographique et critique, Henri Matisse, Roman, Ed. Gallimard, Coll. Quarto. L'auteur a lui-même choisi les tableaux de l'immense collection du musée avec un point de vue particulier, celui de montrer des œuvres peu connues de Munch.
Notons par ailleurs que l'auteur, Stanislaw Przybyszewski (1868-1927), proche de Munch, a écrit un roman intitulé : Le Cri (1917), qui tout en utilisant ouvertement certaines références directes à son ami, ne constitue pas pour autant un roman sur lui, et se comprend plus comme une référence amicale, dans un roman traitant de peinture, comme on peut en trouver chez Huysmans ou Zola.

(2)L'un de ses plus célèbres tableaux, Le Cri, n'y sera pas exposé : il n'est prêté que très rarement par la Norvège depuis un vol en août 2004. Cette absence laisse le champ libre au reste de l'œuvre prolifique et préoccupée de l'artiste, où il peint son propre état émotionnel. En 1991 déjà, une première exposition avait été consacrée à l'artiste norvégien. Intitulée Munch et la France, elle s'attachait plus particulièrement à ses années parisiennes. La dernière exposition qui lui a été consacrée en France (Centre Pompidou - Musée national d'art moderne, 2011). En 1998, à Paris, on a pu voir Le cri (peint en 1893) au Musée d'Art Moderne. Certains commentateurs ont qualifié cette peinture d'expressionniste, en regard du courant allemand. 2015 : mars, Fondation Vuitton.

(3) Editions du Réel. 160 pages. A la galerie de J. Poggi, nous pouvons voir 3 tableaux rares qui figurent aux côtés des œuvres en dialogue avec des œuvres de Anna-Eva Bergman. Jérôme Poggi a conçu une exposition autour d'un tableau rare d'Edvard Munch : Deux garçons sur la plage (1911), qu'il montrera aussi à Paris + By Basel, du 19 au 23 octobre.

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