Deux contemporains, Jean-Léon Gerôme et Claude Monet :
de la chronique sociale à la saveur de l'instant
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Jean-Léon Gérôme, L'intérieur grec, Le gynécée, 1850, huile sur toile
New York, collection particulière, property of Lady Micheline Connery

 
 
 
 
Jean-Léon Gerôme ( 1824-1904)

Spécialisé dans l'art du 19ème siècle, le musée d'Orsay à Paris présente jusqu'au 23 janvier 2011 la première exposition de ce peintre, tenue à Paris depuis sa disparition en 1904, soit 200 peintures, sculptures et dessins à ne pas manquer.
Très populaire en France dès les années 1840 et célèbre aux Etats-Unis d'où proviennent nombre de toiles, sa production fut négligée par les musées français fortement influencés par les critiques acerbes de peintres impressionnistes et d'écrivains lui reprochant, ce qui est absurde, "de donner l'illusion du vrai".
Il est vrai que la virtuosité éblouissante de sa technique picturale, alliée à une recherche méticuleuse du détail, engendre un rendu réaliste plus prégnant encore que celui que peut atteindre un cliché photographique. Ainsi, en 1885, de cette théâtrale mise en scène : "La douleur du Pacha". On y voit un sage oriental recueilli devant la dépouille d'un tigre reposant majestueusement sur un lit de roses, étendu au sol d'un salon richement décoré. La situation déroutante d'un sujet ainsi inhabituel ramasse en un seul plan plus qu'un savoir faire pictural : elle témoigne des mœurs d'une culture là où l'intelligentsia ne voulut voir que la transcription d'une anecdote.

En cette époque qui ne connaissait pas encore le cinéma (encore moins les séries télévisées), le peintre se faisait conteur d'histoires. De "petites histoires", dirent ses détracteurs, oubliant au passage que l'art sacré (qui est à l'origine de l'art) réunit une multitude de "petites histoires". Des histoires que Jean-Léon Gerôme traiteƒ non sans malice et qui, conjuguées au passé comme au présent, condensent en un plan un faisceau de coutumes.
Ainsi de "Pollice Verso" (1872), peignant le vainqueur d'un combat de gladiateurs romains saluant avec emphase la foule des spectateurs, le bras levé tandis que de son pied il écrase les poitrines de deux vaincus étendus sur le sol. La dimension caricaturale de la scène, voulue par l'artiste, n'en doutons pas1, distille en filigrane une satire des mœurs d'une époque où le courage ne s'exerçait pas sans cruauté.
De plus, ce côté ridiculement conquérant du vainqueur est-il si éloigné des excessives démonstrations qui se jouent aujourd'hui, sur un stade, quand le ou les vainqueurs jettent leur raquette de tennis en l'air, s'agenouillent ou se roulent par terre, se sautent mutuellement les uns sur les autres en prenant le ciel à témoin ?

Il fut aussi reproché à Jean-Léon Gerôme de trop bien vivre de son art. Utilisant les nouveaux moyens mécaniques de reproduction - lithographie et photographie - Jean-Léon Gérôme mit à la portée d'un plus grand nombre, non pas une toile, mais sa reproduction…son multiple. Il est inattendu qu'un critique du quotidien Le Monde, ayant soutenu l'intrusion, dans les prestigieuses galeries du château de Versailles, des kitchissimes objets de Jeff Koons, reproche à Jean-Léon Gerôme (un authentique peintre et sculpteur) d'avoir introduit par cette industrie de l'image, "le capitalisme appliqué aux Beaux Arts" : un jugement non dénué de réflexions idéologiques variant suivant l'humeur et la bourse du maître de céans…

Ami de Gustave le Gray et de Charles Garnier dont il dressa en 1877 un saisissant portrait (à voir dans l'exposition), Jean-Léon Gerôme fut admiré très tôt aux Etats Unis, influençant par son sens de la composition, la scénographie de peplum hollywoodiens des années 1950 : "Quo Vadis" (1951), "Ben Hur" (1959, jusqu'à "Gladiator", réalisé en 2000. En réalité, les "petites histoires de l'artiste n'abordent pas seulement les rives de l'exotisme et du passé puisqu'elles montrent des célébrités du moment et témoignent des drames de l'époque : c'est un portrait de la comédienne Rachel ( 1859), une toile sur "L'audience des ambassadeurs de Siam à Fontainebleau" ( 1864), mais aussi en 1896 "La Vérité sortant du puits pour châtier l'humanité", une allusion à l'Affaire Dreyfus. Avec "Le prisonnier", il avait dénoncé en 1861 les tragiques et récurrentes prises d'otages chrétiens en Méditerranée, les trois deys (musulmans) d'Alger s'enrichissant d'une piraterie comparable, aujourd'hui, à celle menée au large de la Somalie, pillant bateaux de commerce et réduisant leur personnel et les passagers au statut d'esclaves.(2)


Claude Monet : éloge de l'instant

En 1839, Michel Eugène Chevreul (1786-1889), qui était directeur de la manufacture des Gobelins, fait paraître "De la loi du contraste simultané des couleurs". Il y montre qu'une couleur donne à une couleur avoisinante une nuance complémentaire de ton. L'ouvrage passionne de nombreux peintres dont Claude Monet présent cet hiver à Paris dans deux expositions : aux Galeries du Grand Palais et au musée Marmottan Monet qui donne à voir l'intégralité de sa collection, soit une centaine de toiles et 29 dessins ( parmi lesquels 21 caricatures et 8 carnets de dessins)

La particularité de l'exposition montée au musée Marmottan Monet est de permettre au visiteur de s'immiscer dans l'intimité du peintre. On y apprend que, tout jeune (15 ans), il débuta comme caricaturiste dans un journal local. Ses dessins furent remarqués par Eugène Boudin qui l'encouragea à peindre et à peindre en plein air. On y découvre les toiles de ses amis qu'il garda auprès de lui toute sa vie, des toiles signées par Manet, Renoir, Carolus-Dran, Lhuillier, Troyan, Millet, et surtout cette toile mythique "Impression, soleil levant" qui lança le terme Impressionnisme.(3)

Cézanne disait de lui : "Monet ce n'est qu'un œil… mais bon Dieu, quel œil !", car à la différence de Gérôme, Claude Monet ne conte pas des histoires sociales mais tente de transcrire l'éphémère, l'instant présent des jeux de lumière sur l'eau, sur la neige, sur la paille blonde des meules d'un champ ou sur la pierre des cathédrales. Monet s'efface devant sa sensation du paysage qui s'impose à lui : les moires de l'eau, les volutes de fumée d'une locomotive, le brouillard londonien.
136 œuvres dont "La promenade à Argenteuil" témoignent de cet acharnement à traduire par touches successives et contrastées les dialogues incessants des jeux de lumière sur la matière. Le propos de Monet, ce n'est pas le sujet peint mais la peinture même. Le sujet n'est que prétexte à s'émouvoir de la beauté de l'instant.
 
Liliane Touraine
Paris, février 2011
 
 
- Musée Marmottan Monet, 2 rue louis Boilly 75016 Paris, jusqu'au 20 février 2011
  catalogue d'exposition : éditions Hazan - www.marmottan.com
- Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris,
  tél : +33 1 44 13 17 17 - www.grandpalais.fr
- Musée d'Orsay, 62, rue de Lille, 75343 Paris Cedex France,
  tél : +33 (0)1 40 49 48 14 - www.musee-orsay.fr

Notes :
(1) A la même époque Offenbach triomphe à Paris avec "la belle Hélène" et "La Grande Duchesse de Geroldstein" qui brocarde allègrement monarques, touristes et parisiens
(2) Selon Robert Davis, du 16ème au 19ème siècle, des pirates d'Afrique du Nord et notamment basés à Boogie, Algérie, attaquèrent des milliers de bateaux marchands, pillant les marchandises transportées et asservissant marins et voyageurs. Ils capturèrent plus d'un million d'hommes et de femmes, exclusivement des chrétiens et des non-musulmans, les vendant comme esclaves sur les marchés d'Orient de Lybie, du Caire ou d'Istanbul… Les femmes blanches étaient particulièrement convoitées pour les bordels du Moyen-Orient. Les personnes trop vieilles ou faibles ne pouvant "servir", étaient massacrés.
Sur terre, les pirates d'Afrique du Nord décimèrent la presque totalité des habitants de Lipari, de Gozo (Malte) et conquérirent Grenade. Leur proximité géographique engendrait une telle menace que les régions côtières d'Espagne et d'Italie devinrent inhabitées. L'impact humain et économique de ces razzias musulmanes devint si dévastateur qu'une campagne militaire anglo-hollandaise fur lancée en 1815, bombardant Alger. La conquête de l'Algérie en 1830 mit fin à ces pirateries.
- Robert C. Davis est professeur d'histoire sociale italienne à l'université de l'Ohio, USA
- A lire : Esclaves chrétiens, maîtres musulmans – L'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800) de Robert C. Davis. Editions Jacqueline Chambon
(3) Jean Leroy, critique

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