Le "théâtre des opérations"de Michel François
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Michel François
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Le Frac Haute- Normandie a offert son espace à la quatrième "représentation" de l'exposition évolutive de Michel François, le "théâtre des opérations", où l'artiste plasticien en collaboration avec l'architecte et metteur en scène Richard Venlet, décline tout aussi simplement qu'efficacement son intérêt pour la circulation critique de l'image et de l'information à travers des dispositifs scéniques privilégiant la fiction et l'illusion théâtrale.
C'est le Frac Haute-Normandie, qui cet automne a programmé la dernière "représentation" de la pièce évolutive du plasticien belge Michel François : "Théâtre des opérations". Entre mise en scène et dispositif, utilisation de l'espace d'exposition et recyclage d'éléments opérationnels tels que vidéo, photographie, sculpture… l'artiste et son complice Richard Venlet ont composé le dernier acte d'un projet initié au Texas en 2004, lors d'une résidence d'artistes. Familier des gestes simples mais critiques face à une société individualiste qui ne sait plus guère donner ni partager, Michel François propose à Rouen une nouvelle forme de circulations et d'échanges, continuant ainsi à s'intéresser davantage à la forme d'exposition qu'à sa finalité si bien que le spectateur est autant amener à expérimenter le labyrinthe du parcours jalonné d' "actes plastiques" qu'à voir univoquement ce qui y participe. Et pourtant l'un sans l'autre n'existerait pas tant le propos de ces théâtres d'opérations fonde sa pertinence sur le comment et le "quoi" qui est mis en scène. Il s'agit en effet, nous dit l'artiste "de mettre en scène une série d'éléments, objets, images, vidéos qui tous, et chacun à leur manière, renvoient à une forme de théâtralisation de l'image ou de l'information telle qu'elle est promue à travers les médias". Ainsi, la vidéo Hallu (déjà vu) est-elle emblématique d'une démarche qui s'amuse à faire du réel un artifice crédible à moins que l'on n'interroge le médium qui a été choisi pour troubler notre perception. Deux images vidéo absolument symétriques hypnotisent le spectateur captif d'un jeu de mains s'appliquant à faire et défaire des formes symboliques, animales, ou fantastiques à partir d'une simple feuille d'aluminium froissé, plié, retourné. Un peu plus loin, au détour d'un couloir provisoire, une fausse plante grasse est éclairée violemment par des panneaux de néon tandis qu'une flamme toute aussi fictive donne l'illusion de réchauffer cette atmosphère de salon artificiel. Mais le promeneur de ce dédale de studios ou de corridors peut trouver cette fois-ci une vraie agave projetant son ombre portée à l'angle d'un mur tandis que la violence de cet éclairage trouve sa redondance symbolique dans l'emplacement d'un revolver, juste visible du haut d'une trappe ouverte vers un sous-sol inaccessible au visiteur. Isolé ainsi de tout contexte, l'objet est autant sculpture qu'allégorie d'un réel devenu la proie du recyclage. Alors que par le cinéma ou les faits divers sanglants, cet instrument à tuer est devenu virtuellement proche de nous, isolé ici de ces apories médiatiques, tenu à distance physiquement du corps du spectateur, et pourtant bien là, non à portée de main, mais à portée de vue, il devient aussi étrange que fictif. L'irréalité dont le réel se couvre à coup d'images répétées et diffusées aux quatre coins de la planète est alors dénoncée de manière explicite et radicale. C'est d'ailleurs cette métaphore de l'image médiatisée du réel et avec elle celle de l'actualité, que Michel François continue d'explorer dans l'exposition d'un vrai projecteur de diapositive, dirigeant son faisceaux lumineux vierge de toute image vers un miroir ne renvoyant que le néant d'une aveuglante luminosité. Démonstration didactique mais efficace de la perversité de l'image médiatisée et démultipliée que l'affiche comme support informatif est à même plus loin de désigner dans sa capacité à altérer le sens et la forme de toute image imprimée. Même si la lumière projetée est à la source de toute formation d'image photographique, cette dernière est aussitôt prise dans un circuit de diffusion où sa décontextualisation met en valeur la plasticité du sens et convaint de la vacuité de son intention. D'information sur le réel, l'image photographique va passer au stade d'illustration de tout et même de son contraire. Ou plus précisément, d'information sur une situation actuelle, l'image photographique, parce qu'elle aussi forme culturelle, va pouvoir devenir icône destinée à nous faire réfléchir sur l'étonnante redondance de nos actions, quelques soient les lieux et les époques. Ainsi retrouvons-nous côte à côte, dans un fac similé du journal Libération du 22 juillet 1996, la même iconographie (acteurs ou manifestants renversant un bus) illustrant deux propos différents : l'un à la rubrique "culture", relatant la représentation d'une pièce de théâtre d'Aimé Césaire, "la tragédie du Roi Christophe", l'autre dans la rubrique "monde", informant sur la situation des prisonniers en Turquie dont l'un vient de décéder d'une grève de la faim. Critique aussi acerbe de la vanité de la représentation lorsque la sculpture en glace de l'aigle américain fond le temps du vernissage et remplit d'encre noire les verres destinés aux autres représentants de la culture. Ne reste de la fête qu'une nappe blanche maculée de taches et destinée aux déchets de notre société de consommation. Fragilité de nos représentations qui fondent aux soleils des projecteurs mais aussi regard lucide sur notre crédulité de représentants de quoi que ce soit. Autant de pièges à réflexion, sur nous, la société et l'image qui en use et s'y use, dans lesquels "le théâtre des opérations" de Michel Francois nous immerge que ce soit par le cheminement corporel qu'il nous convie à emprunter que par la vue de haut que l'espace du Frac Haute -Normandie nous autorise à prendre. Soit l'homme (le visiteur ici) est de plein pied avec son temps, soit il est en mesure de prendre de la hauteur pour mettre à son tour à distance ce qui ne saurait lui échapper mais aussi ce dont il ne peut guère s'abstraire. Intelligence enfin de l'utilisation du premier étage du Frac Haute-Normandie, devenu le balcon d'une pièce de théâtre à suivre. Raya Lindberg
Paris, 2005
Michel François, "Théâtre des opérations", dispositif en collaboration avec Richard Venlet
Trafic Frac Haute-Normandie, du 15 octobre au 11 décembre 2005. Tél. : +33 (0)2 35 72 27 51 frac.haute.normandie@wanadoo.fr Lire aussi : Michel François, "Théâtre des opérations" par Michelle Debat |