Max Ernst
Une semaine de bonté, les collages originaux
 
 
Max Ernst Une semaine de bonté Les collages originaux

Edition originale d'Une semaine de bonté aux éditions Jeanne Bucher, 1934

 
 
Les collages de Max Ernst sont loin d'être un simple assemblage d'images insolites, destinés à frapper l'imagination. L'artiste ne feuillette pas le livre de la nature à la recherche d'un pittoresque qui surpasse le déjà-vu ; il explore les entrailles du visible, il plonge dans un infra-monde de fantasmes, d'images obsessionnelles qui s'immiscent irréversiblement à notre perception du monde. On pense au voyage souterrain de Faust chez les Mères, ces accoucheuses de toutes formes vivantes, ces maîtresses de toute métamorphose. De même, Max Ernst, pélerin passionné des sources de l'imaginaire, a trouvé dans le collage un moyen incomparable de réunir les délires visuels qui bondissent de tremplins multiples : les rêves d'émancipation technologique façon Jules Verne, la fournaise sexuelle et ses visions sado-masochistes, les cauchemars de corps suppliciés, les navigations périlleuses en quête de terres inexplorées, la lumière crue des salles de dissection où est étalée la machinerie intime du corps humain, les mutations de l'évolution qui tissent d'étranges chimères. Toutes ces visions, il les trouve à foison dans l'imagerie de la fin du dix-neuvième siècle, dans les illustrations de romans noirs ou de romans populaires, les journaux de vulgarisation scientifique, les revues de voyages et de découverte des mondes sauvages. Cette matière première imaginale, il la fait fondre et amalgamer dans le creuset de ses visions oniriques personnelles. Au finale ses collages n'apparaissent plus comme tels, mais comme une suite d'images profondément originales, d'une puissance quasiment hypnotique et d'une étonnante unité de style.

Le musée d'Orsay présente les collages originaux du recueil Une semaine de bonté en compagnie de documents qui montrent la technique de l'artiste et des gravures sources dans leur état d'origine. Le visiteur est comblé. Il peut regarder de près ces collages en vue rasante et découvrir ainsi la superposition des découpages et l'extraordinaire subtilité du travail de Max Ernst.
— Pourquoi cette exposition a-t-elle lieu au musée d'Orsay ? avons-nous demandé à Werner Spies, commissaire de l'exposition.
— Les images sources utilisées par Max Ernst sont non seulement l'un des aboutissements de l'art graphique, mais aussi une synthèse des rêveries et utopies du dix-neuvième siècle. Or, l'artiste en a fait l'un des chefs-d'œuvre du vingtième siècle. Une semaine de bonté, créée en 1933, se trouve donc à la charnière de l'art des deux siècles. C'est pourquoi cette œuvre de transition entre deux visions du monde est à sa place au musée d'Orsay.

Aucun texte n'accompagne les cinq cahiers d'Une semaine de bonté, mais chaque collage est agrémenté de l'indication du jour de la semaine, suivi de son élément ( exemples : la boue, le feu, le sang, la vue, l'inconnu ) et d'un thème iconique, masque ou attribut, qui unit les collages. (exemples : le lion de Belfort, la cour du dragon, Œdipe, le rire du coq ). Toutefois aucun esprit de système ne régente cette imagerie, ouverte à toutes les interprétations, telle des images-test qui révèlent les fantasmes du regardeur.

Il est clair que le titre de l'œuvre est à lire à contre-sens. Pas la moindre trace de bonté ne se manifeste au cours de la semaine proposée par Max Ernst, mais des images de violences, de cruauté, d'abus de pouvoir qui reflètent bien le climat de l'année de leur création, 1933, et les sombres prémonitions des désastres futurs, évidents à tous les esprits sensibles. Mais quelle splendeur dans cette imagerie menaçante ! Par exemple, la série du dimanche. Elle est placée sous le symbole du Lion de Belfort. Hasard ? Le monument de la place Denfert-Rochereau commémore la résistance de cette ville à l'agression allemande au cours de la guerre de 1870. Et ce lion prête sa tête statufiée à tous les personnages qui incarnent la violence ou l'abus d'autorité : le monsieur-chic-et-bien-sous tous-rapports qui amène une jeune inocente dans une maison de rendez-vous ; le garde-chiourme qui coupe la corde du prisonnier tentant de s'évader, le vouant à une chute fatale ; les deux policiers encadrant un prisonnier bien ficelé dans un compartiment de chemin de fer, cependant qu'à leurs pieds une femme subit la question des brodequins ; un jeune sadique faisant subir des sévices à une jeune fille dans une chambre close.
Max Ernst connaissait la cruauté pateline des contes des frères Grimm, le don de voyance somnambulique de la petite Catherine de Heilbronn, tout le fond légendaire germanique, surtout cette Naturphilosophie, qui se refusait de séparer l'homme de la nature, et qui a été le fondement même du Romantisme. Cette sensibilité introspective, ce dépassement visionnaire du visuel immédiat, vibrent dans ses collages.
 
Michel Ellenberger
Paris, septembre 2009
 
 
Musée d'Orsay, Paris, jusqu'au 13 septembre 2009
www.musee-orsay.fr
 
 
Max Ernst Une semaine de bonté Les collages originaux

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