Les timbres
et cachets
sont
évidemment
le plat de
résistance
et la marque
de fabrique
de l'art
courriériste
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Le mail-art, vous connaissez ? Une forme d'expression graphique qui adhère à l'enveloppe timbrée, plus généralement à tout envoi postal, comme la pieuvre adhère à sa proie. Les "artistes courriéristes" digèrent leur objet selon leur praxis et leurs phantasmes, ils le manipulent, le détournent, le déforment, le surchargent, puis ils le mettent à la boîte, (ou plus souvent le déposent au guichet de leur choix) et ils attendent la suite… L'objet atteint son destinataire – souvent identique à son expéditeur – dûment estampillé et revêtu des mentions officielles de l'administration qui lui donnent son cachet d'authenticité. Le mail-art se pratique à trois : l'envoyeur, le bénéficiaire et l'institution postale. Cette activité ludique, contestataire et provocatrice a été lancée dans sa forme actuelle en 1962 à New York par Ray Johnson.
Mais Mallarmé y jouait déjà, quand il libellait l'adresse de ses amis sous forme de quatrains, comme celui-ci :
Victor Margueritte. On t'enjoint,
Poste, de le prendre en ta nasse
Rue, est-ce Bellepêche ? point
Mais quarante-deux Bellechasse.
Les préposés, tous amateurs de poésie et hommes de culture, se faisaient un plaisir de remettre les précieuses missives en mains propres. Les inventions de Mallarmé ont été recueillies sous le titre Les loisirs de la poste.
Robert Ruscoe, Stamp Boxeur, Stamp Gainsbourg
Aujourd'hui que les postiers ont plus de loisirs que sous la troisième République, ils cultivent l'art postal en acheminant toutes sortes d'objets, pourvu qu'ils soient munis d'une adresse et affranchis au juste tarif. L'exposition en présente quelques échantillons croustillants : des gants de caoutchouc, des chaussures, des sous-vêtements et de nombreux hauts et bas reliefs obtenus à partir de ces insignes chefs-d'œuvre de la technique d'emballage que sont les moules en carton protéiformes qui protègent toute sorte d'objets. Par exemple, ce moule à melon qui, coupé en deux hémisphères et dûment décoré, se transforme en soutien-gorge pour être expédié dans son paquet-cadeau. J'ai remarqué, entre autres, des têtes d'artistes décapités (en polystyrène peint) créées par Gérard Bignolais, qui, réglementairement timbrées et cachetées, ont été expédiées à l'occasion du bicentenaire de la Révolution. Sous le titre Paris Fantasmes, l'exposition groupe les envois de quelque 80 artistes d'Europe, d'Amérique, du Japon et d'Australie. Un défoulement jubilatoire à base de collages, graffitis, assemblages hétéroclites, fétiches et poèmes objets.
Michel Hosszu, Tampon
Le pliage et le dépliage des envois font partie du plaisir postal. Le pli, n'est-il pas aussi défini comme "papier replié formant enveloppe" (Robert) ? Une œuvre de mail-art a une surface extérieure qui s'est frottée aux sacs postaux et des facettes cachées qui seront dévoilées par l'heureux destinataire. L'exposition en présente quelques spécimens, bien étalés dans leur cadre transparent, comme des papillons dans la boîte du lépidoptérophile.
Ryosuke Cohen, Braincell
Les timbres et cachets sont évidemment le plat de résistance et la marque de fabrique de l'art courriériste. Représentant la part imagée d'un envoi généralement réservé à l'écrit, ils on t été particulièrement soignés. Certains timbres d'artiste, tirés en nombre limité, sont déjà des classiques. Les cachets, eux, se sont encanaillés sous le signe de la dérision et de l'art pochoiriste. Une belle composition d'art postal assemble des textes, des graphismes et illustrations, des timbres et des cachets, sans oublier l'adresse et le timbrage officiel. Le tout doit tenir dans le format d'une grande enveloppe, aux dimensions prescrites par l'Union postale internationale.
Fernand Barbot, Bag n°2
L'exposition réserve des salles à sept "mail-artistes" chevronnés. Christian Balmier pratique cet art depuis plus de vingt ans. Organisateur principal de l'actuelle présentation, il a inventé la "mail-performance". Par exemple, l'envoi contre remboursement à des conservateurs de musée d'autoportraits qui sont autant d'hommage à des artistes vedettes (Picasso, Magritte & Cie). Il excelle dans les "enveloppes femelles" dont le rabat triangulaire souvent orné de dentelle évoque le triangle le plus représenté de l'anatomie humaine. Michel Hosszu bat les officiels dans la rhétorique du timbre poste. Ses compositions en série répétitives avec variations ont la précision géométrique des grandes inventions. Les collages avec surcharges de gouache de Matthew Rose, américain de Paris, sont liés à une pratique journalière autobiographique du mail-art. Robert Ruscoe multiplie les "gommogravures", influencées par l'art des pochoiriste. Fernand Barbot crée des timbres en hommage aux célébrités de son panthéon personnel.Laurent Rousseau s'impose avec une figuration puissant de portraits jumelés aux couleurs fauves . Du Japon, Ryosuke Cohen diffuse les mosaïques foisonnantes de ses "braincell fractal".
Matthew Rose, Cendre-poussière
L'exposition offre aussi l'occasion de découvrir un hôtel particulier du XVIIIème siècle, niché en plein quartier des grands boulevards.
Michel Ellenberger
Paris, octobre 2003
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