Le regard qui précède le visage
Michel Macréau, Face à faces
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
Michel Macréau
 

Michel Macréau

Michel Macréau

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ces trente-cinq visages peints par Macréau dévisagent le spectateur avec une énergie qui frise l'hypnotisme. Et pourtant ils se laissent regarder ; on s'attarde même sur leur muette interrogation avec une certaine délectation. D'abord les yeux : inéchappables, inévitables, obsédants, obsessionnels. Leur horizontalité est traversée par l'axe vertical du nez, créant ainsi les points cardinaux autour desquels se déverse un véritable magma de signes, de taches, de giclées de couleurs, composant une apparence humaine. L'artiste ne montre pas des têtes de caractère, moins encore des portraits. Aucune recherche anecdotique ou "réaliste" : des visages peints qui cherchent à entrer en existence devant ceux des regardeurs.

On pense à cette phrase d'Antonin Artaud : "Le visage humain n'a pas encore trouvé sa face ; c'est au peintre à la lui donner, à le sauver en lui rendant ses propres traits." (1947, présentation de son exposition à la Galerie Pierre). La parenté d'esprit entre Artaud et Macréau est évidente. Ils sont habités par la même rage, la même tension expressive et cette volonté de tout mettre dans ces taches et ses traits posés sur la toile (ou l'ardoise ou le papier). L'œuvre est pleinement sur son support, ici et là, rebelle à toute interprétation, ignorant tout discours culturel ou social. Elle s'élève, bien sûr, d'un fonds de souffrance vécue, mais peut-être plus encore de la joie sauvage de venir au monde dans l'exubérance de son propre chaos.

Que l'on regarde attentivement la facture de ces visages. La présence d'une bouche, d'un menton, de narines est plus qu'évidente. Mais elle résulte d'un ensemble de coïncidences qui se renouvelle dans chaque tableau, comme par l'effet du hasard. Il est terriblement difficile d'être un visage ! Comme il est difficile d'exister ! Un semis de points, des traces de haute pâte, des couleurs menaçantes, des stries, des surcharges, des flèches qui semblent pointées vers une dissymétrie, des notes de musique, des lettres, parfois un mot… tous ces signes composent un paysage qui prend la signification d'un visage. La problématique de l'artiste n'a probablement pas été d'arriver à évoquer une figure humaine, mais d'être le témoin de sa fabrication aléatoire.

Leur évidente théâtralité invite à un rapprochement avec la géniale pièce de Pirandello, Six personnages en quête d'auteur. On connaît la trame. Des êtres étranges (et suspects) surgissent sur une scène de théâtre alors que les acteurs sont en pleine répétition. Ce ne sont pas des hommes vivants. Ils n'ont pas d'existence littéraire achevée , puisqu'ils ne sortent d'aucun texte. Ils sont des personnages qui aspirent à vivre intensément sous les projecteurs le drame qu'ils portent en eux. Il me semble que les visages de Macréau sont de même nature.

Ils ne sont pas des portraits, ils ne représentent aucun personnage historique ou allégorique, ils ne sont chargés d'aucun affect de la quotidienneté humaine. Ils ont l'existence d'un graphisme complexe sur une toile, qui cherche ressemblance humaine. Mais ils se dégage d'eux une présence prodigieuse.

L'art de Macréau est immédiat et évident, il n'a besoin d'aucune explication et il n'en demande pas. Mais il est unique, ce qui le rend dérangeant. Il n'a pas de référence, pas de parrainage dans le consensus culturel dominant. Il émane d'une riche personnalité qui ne cherche pas à plaire ni à croiser un courant à la mode.

Michel Macréau est né à Paris en 1935. A 27 ans le succès vient à lui avec sa première exposition, mais il retrouve la solitude quelques années plus tard. Il renoue avec le succès en 1989, mais, au bout de quelques années, il retourne à sa marginalité. En 1994 (il frise la soixantaine) il rencontre Alain Margaron avec qui il se lie d'amitié. Celui-ci reste fidèle à sa mémoire. Son œuvre reste bien présente dans sa galerie, depuis sa disparition (1995).
 
Michel Ellenberger
Paris, octobre 2012
 
 
Michel Macréau, Face à faces, jusqu'au 13 octobre 2012
Galerie Alain Margaron, 5 rue du Perche, 75003 Paris
www.galerieamargaron.com - tél. : +33 1 42 74 20 52

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