Beauté et confusion à Maastricht
centaines d'œuvres d'art et d'artefacts uniques |
Bonnefantenmuseum, photo © Kim Zwarts
L'occasion par excellence pour se rendre à Maastricht est, sans aucun doute, le rendez-vous annuel du marché international de l'art et des antiquités, connu sous le nom d'ailleurs pas très alléchant de TEFAF (The European Fine Art Fair). Pendant dix jours chaque mois de mars, cette rencontre draine des connaisseurs, collectionneurs et conservateurs de musées de tous les coins du monde ainsi que des dizaines de milliers d'amateurs plus ou moins avertis. Pour certains parmi les derniers, l'événement donne lieu à une visite de l'aéroport régional pour admirer les jets privés, dont la beauté reflète la richesse de leurs propriétaires. Ceci sans manquer l'exposition, qui se présente comme un vaste trésor hétéroclite. L'admiration jalouse qu'elle provoque est d'ailleurs justifiée. Déjà, l'architecture se caractérise par des couloirs aux couleurs chaudes reliant des espaces aux noms de places emblématiques de villes européennes, le tout accentué par des rangées de généreux bouquets de tulipes jaunes. L'éclairage met soigneusement tous les objets d'art, grands et petits, en valeur. Ce cadre voué, à part entière, à la séduction et à la beauté, n'est que l'enveloppe des centaines d'œuvres d'art et d'artefacts uniques que l'on peine à voir tous, et encore… On passe devant des tableaux anciens (comme cette fois-ci de superbes panneaux de Breughel), des œuvres de classiques modernes jamais vues par le grand public, des tapis orientaux rares ou des gravures et livres précieux, jusqu'à de la joaillerie de maisons célèbres comme Tiffany's. Toute la marchandise a été bien vérifiée par un comité composé de connaisseurs et de marchands importants, afin de garantir le niveau de la foire autant que pour protéger le marché. Les clients potentiels aussi bien que les visiteurs sans moyens trouvent tout le confort dans ce mariage éphémère entre glamour et patrimoine, où rien n'est laissé au hasard.
On peut se demander pourquoi cette "Bâle/Miami de l'art ancien" se tient dans cette petite ville souvent associée au Traité du même nom ou à la mort de d'Artagnan, et non pas à Bâle, Bruxelles ou ailleurs. Il est vrai que Maastricht est considéré comme la ville la plus "européenne" des Pays-Bas et, depuis toujours, comme un endroit stratégique entre les mondes latin et germanique. Mais la raison est bien plus anodine et remonte aux années 1970 avec l'initiative de deux marchands locaux. L'un d'eux, Noortman, est toujours membre du comité susmentionné. Dès ses débuts dans le marché de l'art, il a eu l'intelligence de marier son flair commercial avec la connaissance de l'art, avec des résultats inespérés. Ainsi, son premier collaborateur est devenu directeur du très respecté musée le Mauritshuis à La Haye. Et grâce aux bons contacts et à beaucoup de persévérance, la foire d'il y a trente ans est aujourd'hui réputée la meilleure du monde dans le domaine. Néanmoins la ville même en profite moins que l'on puisse penser. Les visiteurs étrangers s'y tardent uniquement pour digérer cette "grande bouffe esthétique" que leur offre la foire. Le "city branding" que développe la ville de Maastricht est articulé autour de ses multiples monuments historiques au style mosan ainsi que ses projets urbanistiques à caractère hollandais, sa situation géographique particulière et la qualité de vie, l'ensemble le rendant en une sorte de "Floride sur Meuse"… En font également partie : la jeune université (qui donne chaque année un coup de jeune à la cité) et le Musée Bonnefanten (ou plutôt : sa tour en forme de suppositoire). Cependant, même si Maastricht abrite également deux écoles d'art (dont l'institut post-diplôme la Jan van Eyckacademie), des galeries et bon nombre d'artistes locaux, l'art plastique n'en fait pas l'image de marque. C'est la confusion et la distraction qui marquent le jeu. Et pour comprendre cette caractéristique, il suffit de visiter le musée, qui se trouve sur la rive droite de la Meuse, juste à un petit kilomètre de distance de la TEFAF. Ce musée provincial, construit par Aldo Rossi, est consacré à la fois à l'art contemporain et à l'art ancien. Depuis longtemps, il abrite une importante collection de sculptures en bois médiévales ainsi que des tableaux des écoles des Pays-Bas méridionaux. Un prêt de l'état de nombreux tableaux médiévaux italiens complètent l'ensemble ainsi qu'un prêt de longue durée du musée national d'art et d'histoire d'Amsterdam, présenté sous le titre "Rijksmuseum aan de Maas" (le Rijksmuseum-sur-Meuse). En est garante l'étroite liaison avec un grand atelier de restauration de tableaux anciens, partiellement incorporé dans le bâtiment : à travers une baie vitrée dans l'une des salles d'exposition, on peut même observer les restaurateurs au travail ! Le Musée Bonnefanten, parfois accusé d'avoir une collection pas à la hauteur de la grandeur de l'architecture, vaut le détour, si ce n'est que pour savourer l'ambiance rigoureusement esthétique mais décontractée. Le vide que l'on semble éprouver en errant d'une salle à l'autre et d'un étage à l'autre, est trompeur. L'apogée de la visite est la rencontre avec des œuvres souvent inconnues, dans un ensemble plutôt hétéroclite axé sur l'architecture sévère de Rossi. En haut d'un grand escalier, qui est la colonne vertébrale du bâtiment, on entre au milieu d'une murale monumentale de Sol LeWitt peinte dans la coupole de la tour. Puis on passe devant un tableau impressionnant de Robert Ryman, une énorme collection d'affiches signées Joseph Beuys, des photos de Marcel Broodthaers réalisées dans la région, un grand tableau de Peter Doig, un ensemble surprenant de l'artiste allemand Michael Krebber… Cet ensemble aussi divers que ciblé (par un souci résolument esthétique qui stimulerait le goût de la découverte auprès des visiteurs) comporte également des œuvres d'artistes locaux comme Fons Haagmans et Suchan Kinoshita, pour n'en mentionner que les plus couronnés de succès sur le plan national. Cependant le fer de lance du musée est bel et bien l'art ancien… quoique celui-ci sera bientôt amputé de plusieurs tableaux spoliés pendant la guerre de 40-45, qui seront restitués aux héritiers américains. Ce sacrifice n'affecte qu'en moindre mesure l'essentiel de la collection et est souvent compensé par des expositions temporaires de bonne qualité. Au moment de la dernière édition de la TEFAF, le musée présentait une très belle exposition de peintures et de dessins de maniéristes anversois du début du XVIe siècle. Sous le titre "Raffinement dans la dévotion", celle-ci jetait une nouvelle lumière sur l'application du terme Maniérisme et sur les attributions assez académiques du célèbre historien de l'art Max Jacob Friedländer, en mettant en avant la réalité de la pratique artistique de l'époque. L'ensemble fut d'abord le fruit d'une collaboration à la fois tendue et réussie entre l'esthète Alexander van Grevenstein, directeur du musée, et son ancien collaborateur scientifique Hans van den Brink, récemment nommé directeur des musées d'Aix-la-Chapelle. Et si cette superbe exposition traitait d'une confusion d'idées et de langage, elle était presque à l'image du musée même, voire de toute cette région, frontalière à tous les niveaux. À découvrir.
Vue du salon TEFAF
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TEFAF Maastricht www.tefaf.com
Bonnefantenmuseum, Avenue Céramique 250, NL-6201 BS Maastricht, Tel +31 (0)43 3290190
info@bonnefanten.nl, www.bonnefanten.nl
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