Les Choses
Une histoire de la nature morte
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Les Choses. Luis Egidio Melendez, Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage.
Museo Nacional del Prado © Photographic Archive Museo Nacional del Prado

"Pendant que nous parlons, le temps jaloux s'enfuit.
Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain".

Horace
 
L'historienne d'art, Laurence Bertrand Dorléac, a conçu cette exposition sur la nature morte pour montrer comment les représentations des choses recouvrent de nombreuses significations, comment les artistes qui les ont composées révèlent des particularités qui ont trait tout autant à leur biographie qu'à leur époque. Ce genre n'a pas toujours été à la "mode". L'auteur avait publié il y a deux ans un ouvrage sur ce sujet au titre quelque peu singulier et provocateur : Pour en finir avec la nature morte (1). Lors de sa présentation de l'exposition au musée, elle a précisé l'intention qui l'a guidé pour Les Choses. Il s'agit de prendre en compte les objets qui accompagnent la vie de tout un chacun, la société dans laquelle les artistes ont créé ces œuvres – un genre que l'on peut dater dès le XVIIième siècle, même si on peut trouver plus tôt des natures mortes dans l'histoire de l'art et des civilisations. Le propos s'ouvre sur l'élargissement des frontières chronologiques et géographiques.

La dernière exposition sur la nature morte, que les anglais nomment : "Still Life", a eu lieu en 1952 à l'Orangerie, organisée par Charles Sterling, conservateur du Louvre. Il y a eu d'autres expositions dans d'autres villes et en Europe qui ont eu lieu sur le sujet. N'oublions par les œuvres des artistes flamands et hollandais, ni des italiens, etc. Nous reviendrons sur certaines œuvres plus avant. Le choix réunit près de 170 œuvres prêtées par diverses institutions et collections privées, au Louvre. Un parcours composé en quinze séquences chronologiques et thématiques, représentant tous les médias. Tout d'abord, notons la présence remarquable du peintre français, Lubin Baugin, dont un tableau figure dans la sélection pour notre bonheur. On aurait pu en avoir un autre…

La commissaire a donné une grande place à des œuvres contemporaines, aux films et aux vidéos, qui ouvrent le sujet au monde d'aujourd'hui et au dialogue sur les sensibilités d'une époque à une autre. Les êtres humains vivent avec des objets et des choses, "exaltent" certains d'entre eux, et ainsi leurs vies prennent un sens, à travers leurs rêves et leurs imaginaires. Laurence Bertrand Dorléac a voulu injecter, à sa manière, dans son corpus, ce qui a renouvelé les techniques de représentation dans les diverses catégories du savoir : littérature, philosophie, anthropologie, sciences… On peut y voir notamment des œuvres très anciennes d'autres cultures autres qu'occidentales. Est-ce les Grecs ou les Latins (l'Italie) qui ont inventé les natures mortes ? Question posée par la commissaire. Musil écrivait : "Aucun objet, aucune personne, aucune forme, aucun principe ne sont sûrs, tout est emporté dans une métamorphose invisible, mais jamais ininterrompue." Une vision évoquée dans ce cadre. Ce parcours est voulu sans véritable chronologie. L'ensemble de cette exposition compte près de 170 œuvres, prêtées par plus de 70 institutions et collections privées, un parcours composé en quinze séquences thématiques, représentant tous les médias (de la peinture à la vidéo, en passant par la sculpture, la photographie et le cinéma), dialoguent entre elles, au-delà du temps et de la géographie, jusqu'à l'époque contemporaine…

Les œuvres viennent d'Italie (Naples) et de plusieurs villes d'Europe (Allemagne) et du Metropolitan Museum de New York, une grande part est dédiée aux artistes flamands, belges et hollandais, etc. Il y a évidemment des œuvres incontournables : Lubin Baugin, Louise Moillon avec sa Coupe de cerises, prunes et melon (vers 1633), Rogier Van der Weiden, Chardin, au milieu d'œuvres plus "antiques" provenant de musées archéologiques de Naples ou d'Allemagne. Mais nous ne verrons pas la fameuse les fraises de Chardin : Le Panier de fraises des bois (1761, huile sur toile, 38 × 46 cm), qui est passée en vente il y a quelques mois. Le Louvre ne l'a pas acquise. Les flamands : les coquillages d'Adriaen S. Coorte, Clara Peeters (1611), on peut voir les œuvres de cet artiste à Anvers au fameux musée le KMSKA qui vient de rouvrir ; Snyders ; Goya, Manet et ses citrons, asperges, Gauguin, La Truite de Courbet, Goya, Cézanne, Matisse, Morandi, De Chirico, Van Gogh, Morandi, un crâne de Germaine Richier, le Bœuf écorché de Rembrandt (1655), l'agneau de Zurbaran, et le fabuleux Espadon de Miquel Barceló, une œuvre récente, notons l'extraordinaire présence de la photo de la tête de vache décapitée (1984) d'Andres Serrano qui nous regarde avec une sorte de fureur rentrée !… Et une œuvre de Dali très rare, Nature morte vivante de 1956, où tout vole en éclats ! Martial Raysse, Arman, Warhol. Un extrait du film Dieu sait quoi (1994) de Jean-Daniel Pollet.

Le musée a dans ses réserves certaines natures mortes les plus prodigieuses de l'histoire de l'art, telles les Saisons d'Arcimboldo ou le Bœuf écorché de Rembrandt, et bien sûr un nombre impressionnant d'œuvres de Chardin, les Pipes et vases à boire, dit aussi La Tabagie, ainsi qu'un ensemble montré ici. Signalons l'œuvre pleine d'ironie et d'humour, le Collecteur d'impots de Marinus van Reymerswaele (vers 1556). L'ensemble est foisonnant, notre regard se perd dans les siècles qui se bousculent ici dans les salles où les œuvres de Joachim Beuckelaer, les pastèques de Luis Egidio Melendez, s'entrechoquent avec les artistes du XXe et les contemporains : Joel Peter Witkin, une superbe photo ! qui provient de la galerie Baudoin Lebon, son galeriste. Erro, Gilles Barbier, Buraglio, Miguel Chevalier… un extait d'un film de Tati, Ester Ferrer. Citons la phrase étonnante de Kafka qui figure sur les textes de présentation : "On photographie des choses pour se les chasser de l'esprit." Ce qui nous fait penser à notre époque où tout le monde utilise les smartphones pour faire des photos qui disparaissent dans les mémoires numériques, sans jamais plus être revues ! Dans les références littéraires, on peut évoquer les grandes proses de Francis Ponge, Le Parti pris des choses ; le roman de Perec, Les Choses, et bien d'autres textes et catalogues d'expositions qui ont été publié sur le sujet en France comme à l'étranger. "Les choses n'ont pas de signification : elles ont une existence.", écrivait Pessoa.
La ponctuation des salles n'est pas toujours évidente. Même si on nous propose une lecture contemporaine des natures mortes avec les films et les vidéos, en baladant notre regard des époques anciennes à la nôtre pour les comparer et les analyser – selon le choix de la commissaire pour un parcours de l'exposition avec une structure diachronique.

Certaines œuvres contemporaines restent en retrait dans leur voisinage avec les grands classiques. Elles se diluent et se perdent dans l'ensemble ! D'autres n'entrent pas vraiment en dialogue avec ce grand sujet d'exposition, qui est néanmoins remarquable par sa conception, mais nous restons, d'une certaine manière, un peu sur notre faim. Nous aurions aimé voir plus d'œuvres emblématiques sur le sujet ou des œuvres modernes créées par des artistes plus jeunes et inventifs, sans oublier la dose d'humour qui manque à notre époque. Mais ces Choses, ces objets, ce panorama d'images et l'expérience humaine des artistes qui s'y rattache nous font voyager et nous font penser, sans aucun doute.
 
Patrick Amine
Paris, octobre 2022
 
 
Les choses, une histoire de la nature morte
Musée du Louvre, Paris, du 12 octobre 2022 au 23 janvier 2023
www.louvre.fr

Commissaire de l'exposition : Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l'art, avec la collaboration de Thibault Boulvain. Catalogue sous la direction Laurence Bertrand Dorléac. Coédition Linéart, Musée du Louvre éditions, 448 p., 231 ill. 39 €.
(1) Laurence Bertrand Dorléac, Pour en finir avec la nature morte, Ed. Gallimard, 2020, 374p. Note de la commissaire : "Les natures mortes n'ont jamais été rassemblées de façon aussi originale qu'en 1952, lors de l'exposition présentée par Charles Sterling à l'Orangerie des Tuileries. Il est temps de rendre hommage à ce grand savant qui fut au Louvre un conservateur inspiré – nous dialoguons toujours avec les anciens dans les institutions qui savent garder en mémoire leurs événements marquants. Comment, sinon, savoir où nous en sommes, ce qui est demeuré, ce qui a changé, ce qui est en train de changer ?"

Sous la grande Pyramide du Louvre : Evoquons l'œuvre monumentale de l'artiste camerounais Barthélémy Toguo, Le Pilier des migrants disparus, qui se déploie sous la Pyramide, un entassement de baluchons de toutes les couleurs qui symbolise les choses perdues par les migrants en mer ou sur terre, cette évocation fonctionne ici comme "un prélude à l'exposition", comme cela est signalé par la commissaire. Cette installation surgit dans l'entrée sous la grande Pyramide comme un totem. Grand dessinateur et sculpteur, l'artiste expose régulièrement ses créations à la galerie Lelong, Paris, et dans divers salons d'art internationaux.
Pour en finir avec la nature morte, sujet du livre : "Ce livre revisite de fond en comble le genre de la nature morte comme lieu idéal du dialogue entre le vivant et le non-vivant, entre nous et les choses, entre présent et passé. Il invite à repenser l'histoire et la géographie de la représentation des choses : il remonte à la Préhistoire et ouvre des frontières sur d'autres contrées que l'Europe et les États-Unis. Il établit des correspondances entre les arts contemporains et les arts anciens en montrant de quelle manière les choses représentées par les artistes sont un bon observatoire des sensibilités. Cet essai est aussi une histoire de la tension entre l'abondance et son contraire, entre l'être et l'avoir depuis que l'on accumule des vivres, des outils, des armes, des proies, des vêtements, des parures, des choses désirables. Il est fondé sur l'observation des œuvres d'art des peintres, sculpteurs, photographes et cinéastes (anonymes, Piraïkos, Mu Qi, Aertsen, Spoerri, Gupta, Tati, Tarkovski…) et sur la pensée des savants (Philostrate, Marx, Weber, Sterling, Barthes, Latour, Appadurai…). Il et est traversé par l'esprit des poètes et des écrivains (Montaigne, Léon Deubel, le poète, Baudelaire, Hugo, Michaux, Ponge, Perec, etc…)."

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