Joana Vasconcelos
Chateau de Versailles 2012
Joana Vasconcelos
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Joana Vasconcelos

Joana Vasconcelos [1]

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Affaire(s) de femme ou principe de plaisir, pour parler de Joana Vasconcelos qui a investi Versailles tout cet été ? Pour moi, elle s'est taillée la part du lion, même (et surtout) recouvert de dentelle au crochet, en alliant les deux à la fois. Succédant à cinq artistes masculins, première femme exposée dans ce lieu lourd de pouvoir pas si passé qu'il n'y paraît, elle a pu conjuguer affirmation et jubilation, sans retenue, mêler son univers unique à celui si chargé qu'on a peine à envisager qu'il reste encore de la place pour l'autre, du château de Louis XIV.

En convoquant d'abord Mary Poppins dans un hall d'escalier, suspendue comme un lustre et colorée comme un rickeshaw, ne donne-t-elle déjà pas à comprendre que nous sommes invités à voir plus loin que ce que la masse de galons, d'écailles de tissu, de rostres fleuris nous empêchent de comprendre, perdus dans la contemplation de la composition, cherchant à émerger de l'infinité des détails (peine perdue, Mary Poppins est plus forte que nous) ? [1] Mary Poppins ? pourquoi ce titre? sortir de Walt Disney et se diriger vers Pamela Lindon Travers, la vraie créatrice du personnage, dont la vie ouvre la piste des destins de femmes qui n'ont pas accepté la place que la société leur assigne. Sans discours explicitement féministe pour autant.

Dans son cheminement, l'exposition nous confronte à des pièces à la fois diverses et unies par une ampleur sculpturale étonnante. Certaines démultiplient les proportions d'objets féminins comme un cœur (bijou pendentif portugais) ou des escarpins, pour mieux les remettre en cause dans leurs fonctions stéréotypées. La mesure étalon des cœurs rouges et noirs, eux aussi suspendus, est un couteau et une fourchette en plastique, objets jetables, mais ô combien associés aux tâches féminines du repas : le nombre nécessaire pour constituer la masse de la sculpture défie l'entendement, mais en dit long sur le quotidien répété de tous ces repas préparés au cours d'une vie, de ces couverts inlassablement lavés et rangés, ici sublimés en sculptures parures baroques. [2 et 4] Encore plus spectaculaires sont les escarpins, dont les proportions sont basées sur une autre mesure étalon, la casserole à riz, de 16 centimètres de diamètre. [3] Neuves et étincelantes dans leur virginité impeccable, ces casseroles ne se noirciront jamais au feu, et se superposent, avec leurs couvercles, par taille croissante, pour constituer une paire d'escarpins dont il est facile de reconnaître la forme : ce sont les chaussures de Marilyn, vues et revues sur la photo extraite du film de Billy Wilder "7 ans de réflexion", à l'envolée de robe célèbre. Une façon radicale de questionner, fixée par d'autres, l'alternative de toute femme : ménagère ou vamp ? L'idéal n'est-il pas de concilier les deux, non ? Certaines interrogent la matière même de la sculpture : en gainant deux lions en marbre vert de napperons blancs au crochet, Joana Vasconcelos pousse cette dentelle du pauvre à la perfection, puisqu'elle en épouse tous les bombés, se fait muselière, donne à voir à travers ses jours la noblesse de la pierre polie, faite pour durer et attachée à la glorification du pouvoir, ne laissant que l'espace des yeux libres de l'entrave du fil de coton, tordu et travaillé avec excellence. [7 et 8] La matière féminine du textile, l'artisanat domestique peu reconnu, dévalorisé, désuet des chefs d'œuvre au crochet prennent finalement le dessus et laissent éclater le blanc immaculé de leur recouvrement. Que gardent ces lions ? Le savoir-faire des artisans qui disparaît ? La mise en lumière de leur dépassement ? Leur inutilité en ces lieux ? La même technique se retrouve dans la chambre de la Reine, où deux langoustes appelées "Le Dauphin et "a Dauphine" la rejouent avec humour et plus de légèreté apparente. Notons que la Dauphine est bien sûr habillée de blanc. [5 et 6] On est fin prêt pour aborder le "lilicoptère", véritable hélicoptère (Bell 47 pour les amateurs) métamorphosé par des rajouts en camaïeu rose girly de plumes d'autruche (Marie-Antoinette en était folle), de feuilles d'or et de cabochons dorés, dans un baroque carnavalesque qui fait écho à celui des murs. Enfermé dans l'espace de la pièce, il ne volera plus pour aucune reconnaissance militaire. [15]

Mais c'est dans la Galerie des Batailles que les interactions entre son art et le lieu sont les plus pertinentes : trois Walkyries, aux corps complexes et gigantesques hissés par des machineries, volent au-dessus de nous, renouant avec leurs origines. Survolant les champs de bataille, y choisissant ceux qui mourraient, décidant de l'issue des combats, ces vierges guerrières menaient aussi quelques élus vers le paradis d'Odin. Passons sur l'abondance des formes tentaculaires ou ovoïdes, des entrelacs, des pampilles organiques, des pendeloques et des chaînes dorées, des innombrables tissus, broderies, patchworks, passementeries, franges, pompons qui se combinent entre ravissement amusé et impossibilité d'embrasser du regard la totalité de l'œuvre, l'intérêt n'est pas que là. [10] Au hasard des points de vue, l'œil saisit des correspondances entre les caissons du plafond [9 et 12], l'inventaire des aristocrates "tués en combattant pour la France" [11], les couleurs des tableaux, [14] les personnages peints : difficile de ne pas sourire de l'air embarrassé de Jeanne d'Arc devant cet enchevêtrement explosif qui la dépasse [13] d'autant qu'elle semble relancée par les protestations de ces compagnons qui apprécient peu l'art contemporain [11]. Un régal ! qui se poursuit dans les jardins, où le monumental se fait encore dentelle de métal, comme si, inlassablement, le féminin excédait le masculin dans ses choix artistiques. [16]

Joana Vasconcelos dit beaucoup apprécier Richard Serra, son minimalisme, mais elle inverse les tensions que la matière industrielle qu'il travaille génèrent, le poids des concepts. Elle rappelle combien la figure du sculpteur est figée dans le stéréotype d'un "homme avec une grande barbe". Elle prétend aussi que sa pratique du karaté lui a permis de rentrer dans la compétition qui se joue en art contemporain, d'être capable d'une grande concentration et d'un travail en équipe. Ses formes de résistance lui sont propres, et sa vision du monde choque encore. Si la plupart des pièces ont été créées in situ et en réaction au lieu, elle s'est vue refuser une sculpture qui l'a rendue célèbre à la biennale de Venise, sa "Fiancée", lustre haut de cinq mètres et composé de tampons hygiéniques inusités, qu'elle voulait mettre en relation avec un autre lustre, Carmen, fait de boucles d'oreille noires. Ce rêve de remplacer deux des lustres de la Galerie des Glaces par ces deux sculptures en écho n'a pas été autorisé. Comme si Versailles pouvait s'en laisser conter, en matière de sexe.
 
Dominique Lacotte
Paris, janvier 2013
texte et photos
 
 
A propos de l'exposition 2012 de Joana Vasconcelos au Chateau de Versaille
www.joanavasconcelos.com
www.vasconcelosversailles.com

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