Jan Fabre 2001Performance Sanctis/Mantis
Nous sommes dehors dans une sorte de grand préau autour d'une bâtisse où est enfermé un homme avec une armure étrange. Nous l'épions des fenêtres qui donnent sur la cour. On entend des bruits qui sont diffusés par les haut-parleurs disposés à cet effet dans la cour. Des micros incorporés dans le casque que porte Jan Fabre re-transmettent le cliquetis de la ferraille, les déplacements du corps dans ce lieu. La tête ressemble à une tête d'un insecte avec deux tiges pointées vers le ciel. Il vient de tirer les grandes feuilles de papier qui servaient de rideaux. On peut entrer dans la pièce par groupe de trois. Des caméras, des photographes suivent l'artiste. Nous sommes une trentaine, nous nous apprêtons à suivre cette performance imaginée par Jan Fabre. Cela fait dix huit ans qu'il n'en avait pas plus réalisé. La dernière pièce de théâtre durait plus de 8 heures.
L'impression est étrange, insolite et très forte. Quelque chose est en train de se passer. Jan Fabre est présent au milieu de douze tables, des fioles y sont posées avec des pinceaux et des plumes, des marteaux et des haches sont disposés au sol, des panneaux de bois entourent la salle, une jeune femme en blouse blanche se tient près d'une chaise et de la "table des opérations", c'est une infirmière. Elle va opérer des prises de sang à intervalles demandés par l'artiste. Dehors, la perception du spectateur évoque celle du narrateur de Proust observant à travers les vitres le déroulement de la soirée, à l'intérieur. Ainsi il enregistre un nouveau point de vue. Jan Fabre se déplace lentement, puis vivement vers les instruments avec lesquels ils adoptent des points d'équilibre et de déséquilibre, il va les lancer en pointant l'une ou l'autre table. Le jeu n'est pas gagné. Le poids de l'armure pèse sur le corps du performeur. La chaleur monte dans l'après et dans cette pièce fermée. Il arpente la salle, les spectateurs évoluent autour de lui. On lui fait une prise de sang. Il le verse dans une fiole, prend un pinceau, va vers une autre table où des feuilles de papier sont posées près de carnets de dessins. Il écrit : "On ne s'habitue pas à l'art", avec son sang. Puis il se saisit d'une hache qu'il projette devant lui. Un climat de tension et d'étonnement parcourt le lieu. Parfois Jan Fabre se bloque au sol pour ramasser ses instruments. Il y aura cinq prises de sang et l'artiste le versera dans 6 fioles. Des paquets de cigarettes sont éparpillés sur les tables, Jan Fabre fumera de temps en temps, au long de pratiquement cinq heures de performance. Il dessinera et projettera rapidement des formes avec son sang sur les feuilles de papier qu'il clouera sur les tables. Une autre phrase : "La situation de l'artiste dans le monde est désespérée ; étant donné que l'on ne peut changer le monde". Ces présences marquées autour des tables peuvent apparaître comme les douze stations du Christ. Jan Fabre reste dans un silence constant, dans la concentration de son rituel et dans le strict déplacement de son corps dans l'espace. Il nous dit encore par ses mots : "L'artiste dispose tout au plus une chance de remporter une victoire sur la chance". La performance donnée, telle quelle, fut exceptionnelle. Et il n'y en aura pas deux. texte inedit de Patrick Amine
Lyon, mai 2001 publication janvier 2017
Performance de Jan Fabre
Sanctis/Mantis 18 mai 2001- Lyon Festival des Polysonneries lire Jan Fabre Stigmata, Mac Lyon 2016 |