James Turrell
Aux confins de la lumière
James Turrell
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James Turrell

 
 
 
 
L'occasion est belle de voir des œuvres de James Turrell, invité par la Galerie Almine Rech de Bruxelles jusqu'au 21 octobre 2010.

Avec Turrell la lumière se matérialise et devient art. Puissante ou voilée, absente ou révélatrice, elle transcende ses propres limites. Tantôt naturelle, tantôt artificielle, elle vit, dessine, sculpte, nous surprend, modifie l'espace, devient médiatrice, se fait mystérieuse ou mystique. Turrell joue avec faisceaux et rayons, manipule habilement la lumière et son pouvoir d'illusion en lui donnant volume, tactilité et profondeur spirituelle. Complice de notre regard, il force une porte de notre perception et déroute nos attentes. Il passe de la science aux arts plastiques et de la poésie à la géométrie, de la réalité au merveilleux, de l'aveuglement à la vision, à l'aide de deux matériaux, visibles et impalpables qu'il fusionne parfois : l'un simple, la lumière, l'autre plus complexe, la couleur. Itinéraire atypique que celui de ce plasticien qui allie ses élans créatifs à une formation de mathématicien et de psychologue

Malgré sa double appartenance aux cultures scientifique-technique et artistique Turrell s'adresse immédiatement à notre entendement. Ses œuvres restent simples; le spectateur les perçoit rapidement. Elles ne sont pas seulement à interpréter des yeux mais plutôt à ressentir, de loin ou de près.

De sa passion pour la lumière, l'artiste ne révèle ici que son traitement de la lumière artificielle. L'exposition se divise d'abord en deux installations abritées par des salles hermétiques, closes à la lumière extérieure. A tâtons, j'entre par un petit couloir noir dans la première pièce et j'attends que mes yeux s'habituent doucement à l'obscurité. Je me laisse envelopper par des sensations, surprise par ma soudaine cécité. Mes yeux ne perçoivent pas directement la lumière mais ses effets. Ils participent au jeu de la clarté de faible intensité et de l'ombre. Turrell me rend aveugle avant de m'entraîner vers une émotion visuelle, vers l'expérimentation physique. Au fond de la salle, dans un angle, il a dessiné un parallélépipède rectangle rouge: volume solide dans l'espace, qui n'est en réalité que lumière. Dans la deuxième pièce (De Chelly), je découvre une lucarne, fenêtre sans notion de profondeur, tableau plat monochrome, immatériel, qui se détache de l'ombre. Je résiste un moment au désir de me rapprocher, de comprendre les principes mécaniques de cette vision. Empirie ou bien simple considération rétinienne ? Son travail fusionne les deux expériences. De près, je découvre une cavité d'où émerge une lueur diffuse dont la source demeure mystérieuse. La combinaison dynamique de la clarté et de l'obscurité déclenche une perte de repères, la semi-lumière de la chambre invite au retour à soi, nous défait lentement de l'assise profonde que constitue notre relation avec le réel. La dimension suprasensible est présente. Je me demande quelle est ma place dans cet espace, dans l'univers.

F. Schelling croyait que la lumière, première manifestation de l'esprit dans le monde, dessine l'espace avant toute figuration de la matière elle-même. La pensée est la suprême fulguration de ce qui est engendré dans la lumière. Depuis quand cette passion pour la lumière couve-t-elle chez l'aviateur Turrell ? Influencé par son père, le ciel a-t-il été son premier atelier ? Ou bien est-il fidèle à l'ascétisme quaker qui prône la spiritualité tangible, expérimentée par chacun, dont un des dogmes est : « entrer en soi pour saluer la lumière ».

Au fond de la galerie, une troisième pièce abrite des œuvres d'échelle bien plus réduite et propose des situations perceptives différentes, à la frontière de l'art et de la technologie. Bon connaisseur de l'esprit humain, Turrell se concentre ici ingénieusement sur la perception optique: hologrammes, transparences et réfections attirent notre rétine. Lorsque je me déplace autour des œuvres, l'image en trois dimensions change, suscitant cette interaction chère à l'artiste.

La lumière est attrayante, le thème est passionnant mais, au final, la riche exploration de Turrell aurait mérité qu'on lui réserve un espace plus vaste.
 
Elisabeth Martin
Bruxelles, octobre 2010
 
 
Almine Rech gallery, rue de l'Abbaye 20, 1050 Bruxelles (Ixelles)
www.alminerech.com - tél. : +32 2 648 44 84

Kunstmuseum Wolfsburg, Hollerplatz 1, 38440 Wolfsburg
www.kunstmuseum-wolfsburg.de - tél : +49 5361 26690

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