Isabelle de Borchgrave, Miradas de MujeresTransfiguration de Frida Kahlo
Isabelle de Borchgrave
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Isabelle de Borchgrave |
"l’art de Frida Kahlo de Rivera est un ruban autour d’une bombe".
André Breton
D'une certaine manière Miradas de Mujeres x Frida Kahlo, exprime, dès son intitulé, deux "regards de femmes". La personnalité de Frida et sa peinture ont traversé le temps et l'actualité notamment pour quelques motifs caractéristiques du féminisme. Cet étonnant ensemble plastique nous est transmis par le regard rétrospectif et minutieux d'Isabelle de Borchgrave, non sans lyrisme. Une œuvre d'art conçue entièrement avec du papier – plus de 4 km et du carton pour réaliser robes (40), tapis, meubles, arbres, jardins, ustensiles de cuisine, animaux sculptés et bien d'autres objets – qui semble sortie d'un volcan. Isabelle de Borchgrave confirme ici ses qualités de plasticienne : coloriste sans pareille et créatrice d'univers étonnants, sublimes !
L'exposition commence par un moment sombre, empreint de douleur. On voit la silhouette de Frida Kahlo (1907-1954) sur sa chaise roulante (elle eut la colonne vertébrale fracturée dans un accident d'autobus). Elle est habillée d'un costume Mao de papier noir (pour signifier son appartenance au parti communiste), celui qu'elle portait lors de disputes avec son mari, Diego Rivera. La silhouette n'a pas de tête. Isabelle de Borchgrave a voulu, par ses compositions, nous faire remonter le temps et arriver à la lumière, aux instants rares et flamboyants de cette vie brisée par les accidents. Une vie de création singulière et riche d'événements. Dès que l'on passe l'entrée en effet, d'autres scènes surgissent et montre la version lumineuse de cette vie terrible qui fut néanmoins emplie d'histoires excitantes, à la Caza Azul, la maison de Frida Kahlo, dans le quartier de Coyoacán, à Mexico. Isabelle de Borchgrave l'a visitée et récréé à sa manière. La garde-robe de Frida était extraordinaire ! Tenues colorées du Mexique, bijoux traditionnels, objets de toutes sortes constituant son environnement personnel et intime. Mais, revenons au moment où l'idée d'une création autour de la figure de Frida Kahlo s'est imposée à Isabelle de Borchgrave. Elle avait eu le projet d'une exposition autour d'un ensemble étonnant de plus de 200 photos parfois sépia mais surtout en noir et blanc. Il devait se dérouler à Venise, en 2019, et devait évoquer, ces images que nous connaissions de Frida Kahlo par la création de quelques robes en papier inspirées de celles qu'elle portait, mais en noir et blanc. Isabelle de Borchgrave réalisa d'abord une série de croquis sur cette thématique, puis devait créer des robes en papier noir et blanc afin d'être en osmose avec les photos elles aussi en noir et blanc qui seraient montrées. Le projet tomba à hélas à l'eau ! Le travail sera néanmoins poursuivi. Elle développa une idée plus complexe et sensibilisa un certain nombre de personnes du monde de l'art à son entreprise extravagante… in fine, le projet, après trois ans de travail, aboutit à cette exposition Miradas de Mujeres x Frida Kahlo aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Elle raconte : "Mon idée consistait à mettre en scène et en perspective les images que nous connaissons de Frida Kahlo, par une création de robes en papier inspirées de celles qu'elle portait. J'avais visité à Londres une très belle exposition (Frida Kahlo : Making Her Self Up). Tous les objets personnels de Frida, retrouvés dans sa maison, y étaient exposés. Mais une impression de tristesse s'en dégageait ; des centaines d'objets étaient présentés par exemple sur des lits. Comme vous le savez, elle avait beaucoup souffert de ses nombreux accidents physiques. La dernière salle de l'exposition londonienne était spectaculaire : une explosion de costumes de couleurs vives, comme Frida Kahlo les portait." (…) "Comment ai-je eu ce déclenchement sensitif ? J'ai toujours besoin d'une transposition, d'une transfiguration du sujet que je créé autour de mes propres thèmes. C'est une création autour d'Elle. Une rencontre d'images. Depuis toujours, je travaille avec ce papier unique, à l'origine de toutes mes créations, qui sert à faire du velours, du coton, de la dentelle, de la soie : ainsi on peut avoir des effets de trompe-l'œil et d'illusion de ces costumes folkloriques quelque peu "enrichis", qu'on dirait aujourd'hui "augmentés". S'habiller était devenu la seule de joie de Frida Kahlo, étant donné qu'elle et son mari recevaient beaucoup dans leur maison, la Casa Azul. Parents, amis, artistes, actrices… s'y retrouvaient". Nos entretiens ont été réalisés dès les prémisses de la création, de cet ensemble extravagant, qu'au cours des ans nous avons suivi dans le studio-atelier de l'artiste. Isabelle de Borchgrave avec Frida Kahlo n'en est pas à sa première création. Flashback. Souvenons-nous de Picasso-Minotaure et les sept femmes du Labyrinthe (2018), l'œuvre crée pour l'exposition : Picasso, L'Atelier du Minotaure, au Palais Lumière d'Evian. Dans cette installation, elle utilisait, sans mimétisme, certains repères graphiques de l'œuvre de Picasso. Cette reconstitution imaginaire de personnages réels fut réalisée à partir de modèles de robes portées par les sept femmes de Picasso. On découvrait les arcanes féminins du labyrinthe, évocation libre des figures de Fernande, Olga, Marie-Thérèse, Dora, Eva, Françoise, Jacqueline… (Nous signalons cette création dans la mesure où le musée montre une exposition de Picasso & l'abstraction au même moment. Nous reviendrons sur celle-ci). Le sujet et sa mise en perspective, pour qui connait la vie de Frida Kahlo, a quelque chose de monumental et de majestueux dans son approche. L'investissement physique et artistique de l'artiste apparaissent ici au grand jour, dans cet écrin, à la scénographie des plus originales : tout en cercle avec un puits de lumière au centre où est suspendu très haut un personnage, et où défilent sur les parois un film vidéo réalisé à cette occasion. Il reflète des images liées à Frida et à la thématique d'Isabelle de Borchgrave. On tourne autour de ces créations où les robes et les intérieurs de Frida défilent sous nos yeux. Elle, est toujours absente de ces robes. Ici et là, des fils de fer dessinent quelques traits de visages. Michel Draguet, directeur du musée, écrit que cette création "a fini par gagner l'espace dans une effusion baroque". Ce sont mille détails qui recouvrent ces formes où l'on surprend les motifs de l'univers de Frida Kahlo qu'Isabelle de Borchgrave connait parfaitement et qu'elle fait revivre à sa manière. Rien ne lui a échappé. Elle a interprété le fétichisme que pouvait avoir l'artiste mexicaine pour certains objets religieux ou politiques. Elle lui a donné corps. Elle a constitué depuis des années une documentation riche et variée sur son sujet, en témoigne la bibliothèque qui se déploie dans son studio et ses milliers de carnets de dessins. "Je me suis inspirée de la personnalité de Frida Kahlo. Elle était très attentive à sa personne et à son image. Elle était en extrême souffrance. Elle portait un corset, des robes et des jupes très larges qui reflétaient l'art folklorique du Mexique dans tout son éclat. Mais l'artiste qu'elle était rehaussait ces particularités avec plus d'intensité encore. Elle fit travailler des brodeurs, utilisa des dentelles, des macramés, s'enroba de grands châles en laine, orna sa chevelure abondante de fleurs. Elle se remit à tresser ses cheveux. Elle portait de nombreux bijoux, en mélangeant or et argent. Mon inspiration vient aussi de toute ma bibliothèque, des expositions, et bien sûr des tableaux qu'elle a peints. Par exemple, j'ai transformé ses couronnes christiques en bijoux. Mon regard s'est porté plus particulièrement sur les bijoux qu'elle a dessinés dans les autoportraits qu'elle a peints plutôt que ceux qu'elle portait tous les jours". Alberto Ruy Sánchez rappelle, dans son texte du catalogue, les mots de Diego Rivera à propos de la tragédie vécue par Frida, sans oublier les pires maux qu'elle endura toute sa vie : "L'obscurité de sa douleur n'est que le fond velouté pour la merveilleuse lumière de sa force vitale, sa très fine sensibilité, sa splendide intelligence et sa force invincible de se battre pour vivre et enseigner à ses camarades, les humains, comment elle résiste aux forces contraires et triomphe de celles-ci pour atteindre la grande joie, contre laquelle rien ne prévaudra dans le monde du futur". Déclaration faite en 1953, un an avant la mort de Frida Kahlo. L'écrivain continue en affirmant que c'est cette "lumière merveilleuse" qui fut le moteur d'Isabelle de Borchgrave. Un carnaval de couleurs et de formes étonnantes. Les robes de Frida furent enfermées durant cinquante ans après sa mort par Diego Rivera. Ces robes formaient une composante de la personnalité excentrique de Frida. Elles signifiaient toujours un élément de sa vie, de son style, de son art. Un rituel qui accompagnait toute sa création auquel elle tenait jusqu'au dernier moment. Ses tableaux reproduisaient "la musique profonde de son corps", et : "Au lieu de continuer à me plaindre, j'ai appris à chanter". Disait-elle. Ainsi le geste pictural de l'exposition d'Isabelle de Borchgrave est tout autant poétique et emplie d'énergie que celui de Frida dans sa vie. Il est visible que l'artiste – une force de la nature – est animée par cette joie intérieure intense de créer et d'étonner son environnement proche et public. Elle nous avait confié, au commencement de son projet : "Ce sujet m'a passionné pour d'innombrables raisons. Et principalement, par l'élégance et la manière dont elle [Frida] a magnifié la souffrance en beauté". Dans son Journal, Frida Kahlo, écrivait : "Pourquoi voudrais-je des pieds puisque j'ai des ailes pour voler." Cette œuvre foisonnante, hypnotique et radicalement créative nous plonge dans un panorama d’éléments mémoriels et symboliques qui réactive l’image de l'artiste mexicaine. La création d'Isabelle de Borchgrave donne une dimension mythique à son interprétation libre et presque surnaturelle ! Cette transposition, qui nous est donnée à voir aujourd’hui, traduit un brillant imaginaire. Andy Warhol pourrait y trouver ce qu'il fit lui-même avec les portraits de stars et des personnalités, une sorte de transfiguration. Patrick Amine
Bruxelles, octobre 2022
Commissaire :
Sylvia Reyes. Directeur du musée : Michel Draguet, auteur du texte : Les ombres de Frida pour le catalogue. Notes bibliographiques : Rauda Jamis, Frida Kahlo, Biographie, Coll. Babel n° 170 - Actes Sud, 1985 – 1ère Edition aux Presses de la Renaissance, en 1985, intitulée : Frida Kahlo, Autoportrait d'une femme. Un des meilleurs livres sur l'artiste que nous vous conseillons. Les textes du catalogue sont écrits par Michel Draguet, Isabelle de Borchgrave, Sylvia Reyes et Alberto Ruy Sánchez, écrivain et poète mexicain qui a vécu à Paris et au Maroc, que nous avons rencontré il y a quelques années. Son texte est remarquable : La Frida d'Isabelle ou l'Isabelle de Frida. Ed. Ludion & Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Note biographique : "Isabelle de Borchgrave (1946) a réalisé ces dernières années des collections de costumes historiques en papier (Papiers à la Mode, Mariano Fortuny, I Medici, un ensemble sur Les Ballets Russes), qui ont fait le tour du monde et lui ont assuré une notoriété internationale. Depuis quelques années, elle peint sur du papier plissé, un style qu'elle a développé. Inspirée par ses voyages et la nature autour du monde, elle a fait plusieurs expositions. Elle crée également des objets et du mobilier aux formes inspirées de la nature et des peintures sur papier plissé." Création pour l'Exposition en 2018 : Picasso, l'atelier du Minotaure, Palais Lumière-Evian. |