L'Institut du Monde Arabe (IMA)Une scène artistique en bord de Seine
Chapans © Photo Philippe Albou
Couverture de lit "Takiyapush" de l'école de Nurata, vers 1867, Nurata. Coton, fil de soie colorés.
Khosuyat Dzhuraeva, Tapis feutré, 2e moitié du XXe siècle (détail).
Coiffe de mariée "Tobelik" XVIIe/XVIIIe siècles. Orfèvrerie (Argent, corail turquoise…) et textile.
R. Ch. Choriyev, Mariée 1968, Tachkent, Musée d'Etat des arts d'Ouzbékistan
Baya, Dame à l'Oiseau, circa 1975, Gouache sur papier, Paris, Collection particulière © Photo Alberto Ricci
Chapan de style buttador, Photo Laziz Hamani
Alireza Shojaian, Tristan, Jardin Persan 2020. © Photo Philippe Albou
Soufiane Abari, Bed Work, 2022 © Photo Philippe Albou
Kubra Khademi, Sans titre (17 femmes nues), 2020 (détail)
Portrait de Baya à l’exposition d’artistes algériens, Fête de l’Humanité, La Courneuve, septembre 1998.
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C'est à l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris sur les bords de Seine que nous découvrons les trois expositions qui marquent d'un point d'orgue la fin du 4ème mandat de Jack Lang, ex-ministre français de la culture et à, 83 ans, président sortant de cette institution culturelle regroupant les dix-sept états membres de la Ligue arabe. Monsieur Lang, candidat à sa propre succession face l'ancien ministre français de l'Europe et des affaire étrangères, Jean-Yves Le Drian (76 ans), veut démontrer que sa maison a encore des choses à dire et qu'il a l'énergie suffisante pour poursuivre son oeuvre et diriger celle-ci…
"Sur les routes de Samarcande merveilles de soie et d'or" (23 novembre 2022-4 juin 2023). L'exposition événement de la saison est le fruit d'une rencontre de sa commissaire générale, Yaffa Assouline, avec l'Ouzbékistan et d'un projet ajourné (en raison de l'invasion de l'Ukraine pas la Russie), qui prévoyait de présenter à Paris une grande exposition sur "Les routes de la soie". L'ère géographique, nous le comprenons, a pour cause de guerre, été réduite. "Sur les routes de Samarcande merveilles de soie et d'or" montre, dans une mise en espace grandiose aux éclairages subtils, des pièces d'une valeur culturelle exceptionnelle, parmi les plus spectaculaires de l'artisanat ouzbèque, des objets uniques datant de la période qui s'étend de l'époque du Khanat de Boukhara lequel, au XIXe siècle, connut un essor extraordinaire dû à la rivalité des khanats et à l'importance donnée à l'art de cour et son apparat, au début du XXe siècle. Héritage intemporel et témoins de traditions encore vivantes, ces trésors, ici sous la lumière muséale, sont issus des plus belles collections du pays. Ils ne sont, pour la plupart, jamais sortis d'Ouzbékistan. Cet ensemble, témoin de la sophistication luxueuse de la vie de cour à Boukhara, révèle d'extraordinaires chamans (Pièce la plus importante des costumes d'hommes appelé aussi caftan. C'est un manteau ample, long à la coupe unique qui couvre plusieurs couches de vêtements.) d'or, de soie et de velours ; des calottes brodées ; une robe talismanique ; un nombre impressionnant d'équipements équestres d'apparat ; de remarquables vêtements de femmes et d'enfants ; des pièces de tissus brodées (Suzani) utilisées comme décorations murales, couvertures de lit, taies d'oreiller, rideaux, tapis de prière ; les quatre principaux types de tapis : tapis à poils courts ou longs qui font partie des premiers tapis noués ; tapis tissés à plat, brodés facilement transportables ; tapis feutrés, tous révèlent une iconographie complexe au vocabulaire coloré et symbolique ; de nombreux et très riches bijoux d'or et de pierres précieuses. Cette partie d'exposition est complétée par une sélection de peintures présentée comme d'avant garde et provenant de la collection du Musée national des arts de la République du Karapalkstan (République autonome d'Ouzbékistan). Le tout est une invitation au voyage et à l'enchantement. Le président Jack Lang l'écrit : "[il s'est] engagé à réunir savoir et culture. Cette fantastique exposition joue merveilleusement ce rôle, celui d'admirer pour apprendre et d'apprendre pour admirer". Cette exposition fait un remarquable écho à celle du Louvre : Splendeur des oasis d'Ouzbékistan. "Habibi, les révolution de l'amour" (27 septembre 2022 au 20 février 2023). Ce deuxième volet du triptyque saisonnier de l'IMA explore, écrit aussi Jack Lang, "les forces de la société civile qui questionnent l'évolution de nos sociétés, en particulier sur le droit des femmes et des minorités". Le défi, clairement affiché, est de "faire avancer le dialogue sur l'acceptation de nos différences. La question des droits des minorités sexuelles [qui] agite la société bien au-delà des mondes arabes et de ses diasporas" écrit Nathalie Bondil, directrice du musée et des expositions de l'IMA. Ce défi est d'autant plus important que nous connaissons les grands obstacles érigés dans le monde arabo-musulman par les défenseurs d'une orthodoxie religieuse obscurantiste devant ceux qui affichent leurs "différences" dans des pays ou ces "révolutions" sexuelles sont critiquées voire interdites et sévèrement punies alors qu'elles y existent depuis la nuit des temps. Courageusement, l'IMA expose les oeuvres multiformes plastiques, poétiques, littéraires et sonores d'artistes LGBTQIA+ et de leurs "alliés" des diasporas du monde arabe mais aussi d'Iran et d'Afghanistan qui témoignent des prises de positions et des combats parfois acharnés qu'ils mènent afin de pouvoir exprimer librement l'amour, les diverses identités de genre et la sexualité. Leurs créations explorent leurs propres orientations sexuelles, leurs secrets, leurs émotions, leurs souvenirs, leurs rêves et parfois leurs cauchemars. "Baya. Femmes en leur jardin" (8 novembre 2022 au 26 mars 2023). Troisième volet du triptyque, une première rétrospective à Paris de l'artiste algérienne Fatma Haddad (1931-1998), connue sous le pseudonyme "Baya" qu'enfant elle s'était choisi. Cette exposition s'inscrit dans le cadre éminemment politique de "2022. Regard sur l'Algérie à l'IMA". Nous avions pu y découvrir la remarquable collection d'oeuvres contemporaines algériennes du musée de l'IMA. "La reconnaissance de nos passés communs passent par la connaissance de nos cultures entrecroisées" écrit Jack Lang. C'est pourquoi, l'exposition présente l'oeuvre d'une jeune algérienne musulmane et croyante (Cela n'est pas anodin quand on voit qu'elle prit le parti de représenter des figures humaines et des animaux alors que la religion musulmane l'interdit.) qui, durant la période coloniale, grâce à son génie créatif, son goût pour l'art mais aussi avec l'aide de quelques personnalités du milieu français des arts et des lettres - dont essentiellement, et cela dès l'âge de 13 ans, sa mère adoptive, Marguerite Caminat (1903-1987), rencontrée en 1942 dans une ferme agricole ou travaillait l'enfant et sa grand-mère, puis, le directeur du musée national des Beaux-Arts d'Alger, Jean Maisonseul (1912-1999), le poète Jean Sénac (1926-1973) qui se revendiquait algérien, l'écrivaine et académicienne Assia Djebar (1936-2015), la journaliste femme de Gaston Defferre (1910-1986), Edmonde Charles-Roux (1920-2016) - a pu s'émanciper de sa condition d'adolescente campagnarde, orpheline, maltraitée par la vie et jamais scolarisée. En effet, Baya, l'artiste algérienne la plus connue et reconnue par l'intelligentsia française du XXe siècle (André Breton, Pablo Picasso George Braque etc.), dont l'oeuvre a été (contestablement ?) apparentée par la critique au courant de l'art brut, a été propulsée sur la scène artistique à l'âge de seize ans par une exposition personnelle à la Galerie Maeght. Cette dernière eut un succès retentissant sur les plans médiatique, commercial et politique. La richesse et la singularité des dessins, des oeuvres peintes, et des pièces modelées dans la glaise de Baya ont fait d'elle une icône du monde artistique algérien. A l'IMA son travail fait écho aux nombreux documents prêtés par les Archives nationales d'outre mer (ANOM) situées à Aix-en-Provence. Sa précoce et fulgurante entrée, dès 1945, sur la scène internationale des arts et son expression artistique influencée par sa double culture populaire, algérienne et kabyle font d'elle une artiste singulière. Son travail, que d'aucuns ont qualifié de répétitif, a évolué par grandes périodes. Durant la première de celle-ci, qui se termine en 1953, Baya représente des femmes aux traits à la fois européens et algériens vêtues de robes aux motifs variés, heureuses d'évoluer dans une nature luxuriante peuplée d'oiseaux. Après une longue interruption due à son mariage et ses maternités, Maya entame en 1963 une nouvelle période, un nouveau cycle qui se terminera peu avant sa mort en 1998. Elle développe dès lors de nouveaux thèmes, une célébration joyeuse de la nature et de la vie, son "jardin d'Eden" aux teintes bleues de la Méditerranée, rouge rosé de la terre, vertes la végétation, jaune des dunes de sable. Ses "couleurs de l'Algérie" sont saturées à l'extrême mais curieusement peu lumineuses, "rabattue". Un autre thème est développé, celui des "natures mortes vivantes". Les femmes ont disparu d'une partie de ses oeuvres mais les oiseaux, les instruments de musique deviennent des personnages. Enfin, à partir de 1963, elle travaille également sur le thème des femmes musiciennes, danseuses, mères… Elles sont cette fois entourées de poissons, d'oiseaux, de papillons dont les écailles, le plumage et les ailes évoquent les motifs des coiffes traditionnelles et des robes de femmes d'Algérie. Les yeux de toutes ces créatures sont étrangement semblables et rappellent le regard sombre de Maya. Philippe Albou
Paris, février 2023
Institut du monde arabe 1, Rue des Fossés Saint-Bernard, Place Mohamed V, 75005 Paris
www.imarabe.org Philippe Albou, Docteur en esthétique sciences et technologies des arts. |