Germaine RichierCentre Pompidou
Agnès Varda, Germaine Richier dans son atelier,
Mars 1956,
Michel Sima, Germaine Richier dans son atelier
derrière L'Ouragane, Paris, vers 1954,
Germaine Richier, Le Diabolo, 1950, Bronze, 160 x 49 x 60 cm,
Germaine Richier, Le Cheval à six têtes, grand, 1955
Bronze, 103 x 110 x 44 cm
Germaine Richier, La Chauve-souris, 1946, © Adagp, Paris 2022,
Germaine Richier, L'échiquier, grand,
Plâtre original peint, 1959
Germaine Richier, L’Araignée II, émaillée sur équerre émaillée, 1956,
Germaine Richier, Plomb avec verre de couleur
no 3 [Homme-oiseau], 1952, Coll. privée
Germaine Richier, vue de l'exposition
Germaine Richier, vue de l'exposition
Germaine Richier, vue de l'exposition
Germaine Richier, vue de l'exposition |
La rétrospective Germaine Richier (1902-1959) est présentée au Centre Pompidou du 1er mars au 12 juin 2023, et organisée conjointement avec le musée Fabre. Elle nous donne l'occasion d'avoir un nouveau regard sur celle qui fut la première artiste femme exposée de son vivant au Musée national d'art moderne en 1956. Ariane Coulondre est la commissaire de cette exposition consacrée à l'artiste (conservatrice, service des collections modernes, Musée national d'art moderne, elle est assistée de Nathalie Ernoult, attachée de conservation).
Comme le soulignait Jean Cassou, l'artiste est douée d'une bouleversante imagination poétique (1956). Les écrivains tels que Jean Paulhan et Francis Ponge l'ont soutenu et célébré à maintes reprises. Ce dernier écrivait : "Je dirais qu'il est formidable, cet homme, qu'il n'a jamais été plus sauvage, foudroyé, réveillé par son propre orage ; sortant tout abruti de quel sommeil dans les fourrés de la métaphysique, le crâne fendu, l'œil éclairé, sorte de King Kong, de champion de catch catégorie poids lourd mis knock-out debout par notre sculpteur". (1) De ses fascinants portraits des années 1930 à ses expérimentations colorées des dernières années, cette exposition restitue à la fois la fulgurance du parcours de la sculptrice, l'originalité de sa création et sa place majeure dans l'art du 20e siècle. Elle souligne comment, tout en prolongeant la tradition de la statuaire en bronze, Germaine Richier invente après-guerre de nouvelles images de l'homme et de la femme, jouant des hybridations avec les formes de la nature. Elle fut l'élève de Bourdelle. Elle évolue dans le cercle de Robert Couturier, Chana Orloff, Robert Wehrlin, et d'anciens élèves de Bourdelle tels que Alberto Giacometti, Maria Helena Vieira da Silva, etc. Elle vivra à Zurich pendant la guerre car son mari, Otto Bänniger, sculpteur également, était suisse. La figure en terre intitulée Loretto en 1934 marquera la destinée artistique de Germaine Richier qui affirme sa maîtrise dans cette sculpture. Elle fut immédiatement remarquée chez Max Kaganovitch, elle sera achetée par l'État l'année suivante. Dans l'histoire de la sculpture en France, elle est la première sculptrice à recevoir le prix Blumenthal en 1936. Elle exposera au Musée d'art moderne, la même année qu'Henri Matisse. Elle rencontre un succès international et européen. En 1947, elle expose à Londres puis à la galerie Maeght, l'année suivante. Elle est accueillie par les poètes tels que Georges Limbour, Ponge et André Pieyre de Mandiargues, proches de la Nouvelle Revue Française dirigée par Jean Paulhan. Le sculpteur Marino Marini dira qu'elle avait commencé à "se déchirer", en 1944 après une exposition à Bâle. "Notre époque, au fond, est pleine de griffes. Les gens sont hérissés, comme après les guerres. Pour moi, dans les œuvres violentes, il y a autant de sensibilité que dans les œuvres poétiques. Il peut y avoir autant de sagesse dans la violence que dans la douceur." Propos rapportés par le journaliste Paul Guth, dans Le Figaro. Viendront quelques années plus tard, L'homme qui marche, Le Guerrier (1945). Plus tard, ce sont L'Orage, L'Ouragane couchée qui séduisent Brassaï par la force et la violence qui s'en dégage. Sa sculpture semble d'une certaine manière provenir de l'intérieur de son être, de ses fibres, de sa physique propre. Elle regénère la figure de l'homme. Son étonnant Christ d'Assy fera scandale (1950) : elle fait fusionner le corps humain au bois de la croix, tout l'ensemble est entièrement noué et produit une forte impression, une charge émotionnelle sans conteste. Il lui fut commandé pour l'autel de l'Église de Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d'Assy en Haute-Savoie. A ce sujet, elle écrivait à son mari : "(…) je veux le résultat d'une conception, d'un savoir, d'une audace, le tout si possible très vivant." (Paris, 1er juillet 1948. Lettre à son mari, Otto Bänniger. Archives suisses de l'art, Zurich.) La romancière Dominique Rolin qui était marié au sculpteur, Bernard Milleret (voisins notamment de Richier) avait pu décrire sur cette œuvre, en 1956, ces mots : "Près du gros poêle rougeoyant se dressait un homme nu, les bras écartelés dans le geste de la crucifixion. Il était excessivement vieux, avec un ventre énorme, son sexe gris, la plaie maladroite du nombril et les jambes desséchées. […] Le modèle, tout pénétré par sa mission, vivait son martyre, et pourtant il était déjà statue." (in Carrefour, 10/10/1956). Ce modèle était Nardone que Germaine Richier avait "garroté" sur une vraie croix… mais il était trop gras, elle fit appel à Lyrot, un modèle-élève plus maigre qui posa les bras relevés, dans un état de quasi-suspension… On pense à d'autres œuvres qui firent scandale, celles de Rouault ou de Bernard Buffet avec ses crucifixions. Mais n'a-t-on pas oublié le Retable d'Issenheim par Matthias Grünewald ? En 1951, l'affaire remontera jusqu'au Vatican, et dans sa publication L'Osservatore Romano, son œuvre sera condamnée. Cette œuvre, parfois "fragile" et étincelante, a souvent été qualifiée d'"expressionnisme", de "baroque", mixé à une "sensibilité primitive", en écho parfois aux conceptions théâtrales, proches d'un Antonin Artaud ou d'Eugène Ionesco, comme le souligne Maud Marron-Wojewodzki, dans son texte du catalogue. Germaine Richier a toujours cherché à inclure sa sculpture dans l'espace environnant où les éléments pouvaient s'enrichir les uns les autres. Elle utilisait parfois des miroirs dans son atelier pour créer une certaine profondeur ; c'est ce que l'on perçoit dans nombre de photographies des années 1950. C'est à partir des années 1944 que sa sculpture s'inspire du monde animalier (insectes, chauve-souris, crapauds) pour créer des êtres anthropomorphes à l'image de La Sauterelle (1944, coll. part.). Il y a notamment dans cette œuvre : L'Aigle, Le crapaud, La Mante, L'Araignée, La Chauve-souris qui ont subi parfois des hybridations. "Mes statues ne sont pas inachevées. Leurs formes déchiquetées ont toutes été conçues pleines et complètes. C'est ensuite que je les ai creusées, déchirées pour qu'elles soient variées de tous les côtés, et qu'elles aient un aspect changeant et vivant." Les formes sculptées s'émancipent du support. Elle fut souvent entourée par des amis sculpteurs tels que Eugène Dodeigne et Philippe Hiquily pour certaines tâches techniques. N'oublions pas que plus tard, César dira qu'il avait beaucoup appris de la créatrice de L'Ouragane ! Regardez par exemple : L'Ogre ou Le Pentacle ! La sculpture de Germaine Richier exprime toujours un concentré de sensations qui se déploie dans une aura poétique, c'est ce qui caractérise son style et son œuvre d'art total au fil du temps. "Le but de la sculpture, c'est d'abord la joie de celui qui la fait. On doit y sentir sa main, sa passion." Dans un entretien réalisé pour son exposition à New York, en 1955, elle s'exprimait ainsi : "Finalement, la sculpture est un lieu, une entité, une synthèse de mouvements. Je ne sais pas si La Tauromachie évoque l'arène, mais aucune forme, me semble-t-il, ne saurait être séparée de son univers, des éléments. C'est donc davantage qu'une image." Il est donc temps de prendre aujourd'hui la mesure de cette grande artiste. Les jeunes générations de spectateurs et d'artistes devraient s'y frotter et se rendre compte de la puissance de cette œuvre. Patrick Amine
Paris, avril 2023
Germaine Richier, Centre Pompidou, 75191 Paris cedex 04, 1er mars au 12 juin 2023.
www.centrepompidou.fr Notes : (1) Francis Ponge, "Sculpture", in cat. exp., Germaine Richier, Derrière le miroir, Paris, galerie Maeght, octobre 1948, Éd. Pierre à feu, n° 13. L'exposition "Germaine Richier" sera présentée au Musée Fabre de Montpellier du 12 juillet au 5 novembre 2023. Catalogue de l'exposition : sous la direction d'Ariane Coulondre assistée de Nathalie Ernoult, avec la participation scientifique du musée Fabre Relié, 304 pages, env. 330 illustrations, paru le 22/02/2023. 45€. On y trouvera de nombreux textes d'écrivains, des entretiens avec Germaine Richier et des documents très intéressants sur son époque. On peut retrouver à l'INA des interviews des années 1949 à 1953. Notons que l'ensemble de cette exposition réunit près de deux cents œuvres - sculptures, gravures, dessins et peintures - l'exposition offre une relecture de sa création et souligne ses résonances contemporaines, à l'heure d'une prise de conscience globale du vivant. Elle réunit un ensemble d'œuvres sans précédent, à l'aide du soutien généreux des ayants droit de l'artiste et de grandes collections publiques et privées, françaises et internationales. |