L'Opéra Garnier
Une architecture humaine
Charles Garnier
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Charles Garnier

Charles Garnier, Temple de Jupiter panhellénien à Egine
coupe transversale restaurée, envoi de Rome , 1852, encre et aquarelle.

 
 
 
 
A l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris( ENSBA) se tient jusqu'aux 9 et 30 janvier 2011 (1) la première grande exposition consacrée à Charles Garnier, depuis celle très restreinte et peu visible, commise en 1989 au sein de la bibliothèque de l'Opéra.

Une exposition passionnante, ce qui ne se laisse pas deviner dans l'intitulé : "Charles Garnier, un architecte pour l'empereur", un titre par trop réducteur au regard de la très riche complexité créative de l'auteur du nouvel opéra (2) sa renommée ne pouvant se limiter au seul cadre de la commande impériale.
Passionnante, car lorsque tant d'enseignants et de médias étatiques dénigrent aujourd'hui le concept de nation française, l'exposition fait revivre une page d'histoire de la France au 19ème siècle, période politiquement instable mais si riche en innovations techniques et artistiques dont nous avons hérité.

Charles Garnier (1825-1898) naquit sous la restauration (1815 -1830) (3) dans un milieu modeste, le père étant forgeron et la mère dentellière. De santé fragile il ne peut travailler à la forge et, sur les conseils de sa mère, s'inscrit en 1838, aux cours gratuits de l'Ecole royale de dessin .Il y rencontre entre autres Jean-Baptiste Carpeaux qui, quelques décennies plus tard, (1865-1875) apposera, en façade du nouvel opéra, sa célèbre sculpture : La Danse. Admis sur dossier à l'Ecole Royale des Beaux Arts en 1842, il se fait embaucher pour payer ses cours par des agences d'architectes dont celle de Viollet- le- Duc.
De cet apprentissage des différentes pratiques du dessin architectonique – crayon, plume, aquarelle…- naîtra le désir de préparer le concours du Grand Prix de Rome, concours qu'il réussit à 22ans, en 1848, année où Paris et la France renouent avec les troubles révolutionnaires conduisant à la chute de la monarchie et à celle définitive de la royauté.
La Seconde République est proclamée (1848-1852) et en cette fin d'année 1848 Charles Garnier part à Rome où il sera pensionnaire à la Villa Médicis cinq années durant, voyageant en Italie, en Grèce et jusqu'à Constantinople (aujourd'hui Istambul)

De ces voyages d'études, l'intelligente scénographie de Robert Carsen en rend compte or il n'est pas facile de rendre attractive une telle documentation.
Trop souvent, la juste appréciation d'une succession de maquettes et de plans requiert un regard averti d'autant que des informations essentielles et susceptibles d'éveiller un regard critique chez le non professionnel (telles que le cahier des charges, les coûts et les projets refusés) ne sont pas communiqués.
La force de séduction de la scénographie de Robert Carsen repose sur le fait d'avoir su dresser autant un portrait de l'architecte que de son architecture.
Un portrait de Charles Garnier - une huile sur toile de 1853 signée William Bougereau - ouvre l'exposition. On y voit un visage tracé de profil, aux traits fermes et charnus, respirant volonté et sensualité. L'architecte y est représenté non en notable mais en "artiste": blouse de travail au col ouvert, cheveux abondants et bouclés, regard perçant et dominateur.

Dés la première salle, le visiteur est appelé à voyager dans les temps et les lieux fréquentés par Charles Garnier. Une enfilade de longues tables – sur lesquelles sont jetés des crayons et fixés plus de mille photographies et dessins au crayon, à l'encre, à la gouache ou à l'aquarelle - recrée l'intimité bourdonnante d'un atelier d'architecte. Des photographies et des dessins, issus majoritairement de la collection exceptionnelle (4) de l`ENSBA, parcourent la vie de Charles Garnier, depuis des travaux scolaires jusqu'aux constructions les plus célèbres : l`Opéra parisien bien sur, mais encore ceux de Monte Carlo et de Vichy, l'observatoire de Nice(1888), la Maison des Bains de l'Etablissement Thermal de Vittel (1885) avec Casino et Chapelle, ou la luxueuse villa du banquier Raphael Birschhoffsheim à Bordigheira (1876-1880) en Italie sans oublier la commande pour l'exposition universelle de 1889 de 44 maisons devant refléter la diversité de l'habitation humaine à travers les âges et les 5 continents…
Si l'on n'a retenu de Charles Garnier que le maître de l'opéra portant son nom (ce qui est très rare qu'un bâtiment porte le nom de son architecte) on sera surpris de découvrir des dessins et photographies de tombeaux et chapelles funéraires réalisés en France et en Italie ainsi que le dessin du catafalque pour la cérémonie des obsèques nationales rendues à Victor Hugo, en 1885, à l'Arc de Triomphe.

Ces dessins et photographies montrent l'étendue de ses réseaux d'amis et commanditaires. On apprend ainsi qu'il fut un familier de Gambetta, de Renan et de Théophile Gautier et Nadar livre de Garnier une saisissante et drôlatique caricature.
A noter, que pour Charles Garnier, la photographie n'est qu'un outil servant à enrichir sa mémoire et non l'expression d'un nouvel art. Quand en 1861 il emporte la commande du nouvel opéra il se livre à une véritable campagne photographique à travers l'Europe des salles de spectacle,complétant ses clichés de notes précises sur l'éclairage, l'agencement des sièges, l'acoustique, la disposition des loges, l'âge et le style du bâtiment visité.
Il constate par exemple que les lustres italiens et allemands sont de trop petites dimensions et procurent un éclairage insuffisant .Celui du nouvel opéra – réalisé en bronze, opalines et cristal de roche - sera donc beaucoup plus important : pas moins de 320 ampoules à une époque où seule l'utilisation du gaz pouvait être envisagée. Il prévoit un immense treuil capable de soulever ce lustre de 7 tonnes dont les ampoules – aujourd'hui électrifiées - sont changées deux fois par an. De même il visita de nombreuses carrières de marbre en France et en Italie, les jaugeant selon la couleur de leur veinure.

Ce qui a distingué le projet de Charles Garnier des 171 autres soumis au jury - dont celui de Viollet-le-Duc - c'est la logique rigoureuse de sa composition, une distribution des espaces intérieurs si parfaitement efficace qu'elle peut se lire de la rue :
- en façade, l'accueil du public (2500 personnes) avec le foyer et son majestueux escalier qui enchanta le cinéma Hollywoodien(5)
- en recul : la salle (1900 fauteuils d'orchestre) et son couvrement domical en forme de couronne impériale aplatie au dessus de la cage de scène, à 54mde hauteur ;
- latéralement, les services techniques et administratifs, et en extérieur deux cours permettant un stationnement de véhicules, l'une réservée à l'empereur, l'autre au public.
Le plan de distribution des espaces s'articule autour d'un axe horizontal qui rassemble et facilite la circulation entre les diverses fonctions et ce plan qui a enthousiasmé les critiques d'alors pour son apparente simplicité est devenu un modèle du genre. La scénographie de l'exposition donne à voir et à arpenter ce plan, Robert Carsen l'ayant fait imprimer sur un revêtement plastifié posé au sol.
L'autre prouesse architecturale conduite par Charles Garnier fut de parvenir à édifier le bâtiment sur un marécage. Après avoir vainement fait pomper pendant 7 longs mois les débordements d'une nappe phréatique envahissant le centre des fondations, Charles Garnier résolu de tirer partie de cette présence aqueuse en la transformant en une réserve destinée à lutter contre un incendie, évènement dramatique toujours à craindre dans une salle de spectacle. Aujourd'hui 20 pompiers sont en charge de la sécurité du lieu et inspectent régulièrement ce volume de 6000m3 d'eau qu'enserrent les fondations.

La scénographie témoigne aussi de l'humanisme de l'architecte, aimé de ses collaborateurs - issus le plus souvent des écoles des Beaux Arts, Arts Décoratifs et Boulle- mais, ce qui n'est pas fréquent, également des ouvriers qu'il recruta, ceux du chantier du nouvel opéra lui offrant une touchante médaille qui participe à l'exposition.

Autre facette inattendue du personnage : l'humour vif et persifleur dont témoignent 268 caricatures, exposées pour la première fois au Cabinet Bonna, le cabinet de dessins de l' ENSBA. Garnier croque avec esprit et légèreté des personnalités politiques, mondaines et culturelles du moment, un trait de caractère que su prolonger, au 20ème siècle Jacques Tati, mais qui semble perdu des "humoristes" d'aujourd'hui.

Rigoureux mais amical, curieux des évolutions techniques de son époque sans y être subordonné, amoureux des formes et des couleurs, l'exposition nous montre un Charles Garnier créant une architecture à la mesure de la ville et de ses habitants,une architecture humaine. L'Opéra Garnier., tel un château fermant une allée d'arbres, souligne et respecte les rangées d'immeubles environnants ; il est l'heureux point d'orgue de l'avenue portant son nom.
Que dirait Garnier aujourd'hui devant ce blockhaus qui écrase, de par sa hauteur et sa massivité, l'ex-harmonieuse la place de la Bastille, défigurée par le nouvel opéra des années 80, doté d'une acoustique défaillante et dont la façade ne cesse de s'effriter ?
 
Liliane Touraine
Paris, décembre 2010
 
 
(1) Charles Garnier :
- Jusqu'au 09/01/2011, Ecole des beaux Arts, 13 quai Malaquais 74006 Paris - www.ensba.fr
- Jusqu'au dimanche 30 janvier, "l'Oeil et la Plume", Charles Garnier et la Caricature (1825-1898), Cabinet Jean Bonna, 14 rue Bonaparte 75006 Paris

(2) Ecrivain, Garnier publie en 1869 "A travers les arts, causerie et mélanges" puis deux livrets d'opera : "Palembois" et "L'impromptu" qui seront joués à l'Etablissement Thermal de Vittel. En historien de l'architecture, il publie en 1888 "L'habitation humaine"

(3) On appelle ainsi la période rétablissement de la monarchie par les Bourbons : Louis XVIII (1815-1824), puis par son frère Charles X (1824-1830), période qui s'acheva par les Journées Révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet, dites "Les Trois Glorieuses", lesquelles seront suivies de la Monarchie de Juillet ( 1830-1848)

(4) Collection de dessins d'artistes passés par l'Ecole depuis 400 ans.

(5) BNP Paribas dit descendre en droite ligne de l'entreprise bancaire de Raphaël Louis Bischoffsheim et a mécéné la restauration de nombreux dessins de Charles Garnier retrouvés pliés, déchirés ou tâchés de moisissure.

(6) l'escalier apparaît dans plusieurs films américains depuis " Le Fantôme de l'Opera" et "Folies de Femmes", films muets de 1922 et 1925, puis "Ariane" ( 1957) et "Drôle de Frimousse" (1957).

Catalogue de l'exposition : "Charles Garnier, un architecte pour un empire", 351 pages, 351 illustrations, dont de très nombreuses en couleur. Editions Beaux Arts de paris, 2010

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