Francis Alÿs : FabiolaJeu de rôle
Francis Alÿs : Fabiola
Francis Alÿs : Fabiola |
Que se passe-t-il quand l'artiste se mue en collectionneur ? Il n'est pas rare, voire banal, qu'un artiste collectionne et conserve des œuvres d'art et devienne collectionneur. C'est ce jeu de rôle qui anime Francis Alÿs qui, depuis plus de 15 ans, accumule les multiples copies du portrait de Sainte Fabiola en voile peint par Jean-Jacques Henner en 1885. Cette patricienne romaine du 4ème siècle qui, après une vie dissolue, est retournée à la foi pour devenir la patronne des femmes divorcées et des veuves avait été pratiquement oubliée jusqu'à devenir en 1854 l'égérie de la nouvelle de Nicholas Wiseman, Fabiola ou l'Eglise des catacombes.
Francis Alÿs ne peut expliquer ce qui l'attire vers cette figure, si ce n'est qu'elle ait été maintes fois copiée et recopiée, dans tous les styles, toutes les dimensions, avec plus ou moins de bonheur, à travers le monde. Cette sainte figurine a même émigré loin des terres catholiques. En réalité, il semble que sans le concevoir avec précision, Francis Alÿs qui place sa collection de 370 épreuves dans des lieux aussi divers que la noble habitation Kischgarten de Bâle, l'antichambre de la gallerie Whitechappel de Londres (1997), l'association hispano-américaine de New York (2007) ou la monastère Santo Domingos de Silos de Burgos (2010), se transforme en collectionneur de façon à tirer partie de la relation de l'œuvre avec son environnement. L'artiste qui produit son œuvre tente de maîtriser une technique, voire d' illustrer un concept ou une idée. Le changement de main conduit à une sorte de désincarnation de l'œuvre. Elle « oublie » sa raison d'être pour devenir un élément du patrimoine affectif et sentimental d'une autre personne. A ce moment, elle s'intègre à un nouvel environnement et devient très souvent un élément de décor. On prétend aujourd'hui haut et fort que l'art actuel n'a rien à voir avec l'esthétique, mais la démarche de Francis Alÿs tend à prouver, tout au moins à montrer du doigt, que passant entre les mains du collectionneur, ce personnage qui assure le quotidien de l'artiste, l'œuvre se doit de trouver une justification esthétique, sinon décorative. Contre-sens ou réalité ? Plaçant les 370 éléments de sa collection dans les pièces de cet intérieur bourgeois de Kirschgarten, au milieu des bibelots ou des autres éléments de décoration, la démonstration prend de la force. Peu importe l'œuvre, elle devient un élément intégré au décor et contribue au « charme » de l'habitation. Cela conduit alors à poser des questions essentielles sur la nature de l'œuvre artistique et concourt à montrer que la mise en scène de l'œuvre peut parfois devenir prédominante et permet, sans doute dans des cas d'exception (?), à faire passer pour œuvres majeures de simples balbutiements. A méditer. Bernard Blum
Basel, mars 2011
Francis Alÿs : Fabiola 12 mars au 28 août 2011
Schaulager en l'hôtel du Kischgarten à Bâle Haus zum Kirschgarten, Elisabethenstrasse 27, Basel Schaulager Ruchfeldstrasse 19 CH-4142 Münchenstein www.schaulager.org - tél. : +41 61 335 32 32 catalogue : Hefte Serie du Schaulager, publié par la Fondation Laurenz, Schaulager, Bâle 100 pages, format 21cmx29,7, ISBN 978-3-9523403-6-3 (anglais) Lire aussi : Francis Alÿs, du religieux dans l'art contemporain |